Critique : "Les Sept péchés capitaux" de Bertolt Brecht et Kurt Weill au Théâtre de l'Athénée

Temps de lecture approx. 5 min.

Pour sa réouverture, après de longs mois sans public, le Théâtre de l’Athénée nous propose Les Sept péchés capitaux. Une belle occasion de découvrir cette œuvre, un peu moins connue, du tandem Kurt Weill/Bertolt Brecht.

Alors que de nombreuses compagnies théâtrales à travers le monde se sont emparées de L’Opéra de Quat’Sous, et que Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny est régulièrement programmé dans les maisons d’opéra, il est plus rare de voir Les Sept péchés capitaux à l’affiche. Heureusement le Théâtre de l’Athénée a eu la bonne idée de programmer cette œuvre, la dernière collaboration entre Kurt Weill et Bertolt Brecht, pour la reprise des représentations.

De la paresse à l’envie, entre Memphis et San Francisco

Dans cette fable satirique, nous sommes invité.e.s à suivre le périple de deux sœurs, Anna 1 et Anna 2, traversant les États-Unis pour retrouver leur Louisiane natale. Un voyage long de sept années. À chaque année sa ville, et à chaque ville son péché. Anna 1, interprétée par la chanteuse Natalie Pérez, fait office de narratrice et de guide pour sa sœur Anna 2, incarnée par la danseuse Noémie Ettlin, en prise avec les sept péchés.

Ce ballet chanté, intégralement en allemand, a été créé à Paris en 1933. Kurt Weill avait alors trouvé refuge dans la capitale française après avoir fui son Allemagne natale où ses œuvres commençaient à être interdites. Il s’agit d’une commande des Ballets 1933, une division des anciens Ballets Russes de Diaghilev, qui lui demandent une partition pour un ballet sur le thème des péchés capitaux. À la création, le rôle de Anna 1 était interprété par Lotte Lenya, muse et épouse du compositeur. En plus de ses interprétations de références dans les œuvres de Kurt Weill (elle a remporté un Tony Award pour le rôle de Jenny dans L’Opéra de Quat’Sous), elle est également connue pour avoir créé le rôle de Fraulein Schneider dans Cabaret.

© Pierre Grosbois

Dès que les premières notes retentissent, on se retrouve directement plongé dans l’univers musical de Kurt Weill. Son style si reconnaissable transparaît tout au long de la partition, avec ses mélodies sinueuses et nonchalantes, légèrement dissonantes. Une musique qui se marie parfaitement avec la plume caustique et acerbe de Bertolt Brecht. Si l’œuvre se voulait comme un miroir de la société de l’époque, cette fable apparaît comme très actuelle. Après tout, les sept péchés capitaux sont les mêmes aujourd’hui qu’en 1933.

Une présentation sobre et efficace

La mise en scène de Jacques Osinski, qui avait déjà officié à l’Athénée La Dernière bande de Samuel Beckett, s’appuie sur l’intemporalité de la pièce. Des costumes sobres et de notre époque, un plateau presque nu avec seulement quelques barres d’échafaudages et des néons. Une mise en scène épurée mais efficace laissant l’œuvre s’exprimer par elle-même, ce que malheureusement beaucoup de metteur en scène ont tendance à oublier. On regrettera néanmoins la présence d’un écran projetant des vidéos assez peu pertinentes, donnant une illustration un peu trop littérale du thème. On peut parler de la gourmandise sans nous projeter des images de chocolat fondu.

Mais ce que l’on retient de ce spectacle est le duo formé par Natalie Pérez et Noémie Ettlin dans les rôles des deux Anna. La première, dont le timbre chaud et envoûtant convient parfaitement à la musique de Kurt Weill, délivre sa partition avec l’ironie et le détachement qui sied à son rôle de narratrice. La seconde interprète sa propre chorégraphie avec une fougue et une candeur qui la rend d’emblée très attachante. Mais au-delà de leur prestation individuelle, c’est leur alchimie qui nous charme. Le contraste entre leur tempérament les rend complémentaires et on finit par se demander s’ il ne s’agit pas des deux voix d’une seule personne au lieu de deux personnages distincts.

© Pierre Grosbois

Nos deux héroïnes sont accompagnées de quatre voix masculines, interprétant leur famille qui les attend en Louisiane. Plus discrets de par la taille de leur rôle et de par leur positionnement au fond du plateau, les quatre chanteurs apportent un côté comique bienvenu. Florent Baffi, qui interprète la mère des Anna, se distingue particulièrement avec sa belle voix de basse.

De manière générale, cette production est une belle façon de découvrir cette œuvre qui charmera forcément les amateurs des œuvres de Kurt Weill et de Bertolt Brecht. De plus, pour remplir un peu plus la soirée (Les Sept péchés capitaux ne durant pas plus d’une quarantaine de minutes), trois chansons issues du répertoire français de Kurt Weill ont été intégrées (« Complainte de la Seine », « Je ne t’aime pas » et « Youkali »). Si on peut s’interroger sur leur présence au milieu de l’œuvre, elles apportent une touche de douceur et de mélancolie qui dénote, certes, mais qui est fort agréable.

C’est au final une très bonne soirée que l’on passe dans l’enceinte de l’intimiste Théâtre de l’Athénée. Le public, qui a été d’un silence presque religieux tout au long de la représentation, ne manque pas de témoigner son enthousiasme à l’issue du spectacle, exalté de revoir, enfin, un spectacle vivant.


Les Sept péchés capitaux, de Bertolt Brecht et Kurt Weill
Du 27 mai au 5 juin 2021 au Théâtre de l’Athénée
Square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau, 75009 Paris

Direction musicale : Benjamin Levy ; Mise en scène : Jacques Osinski ; Scénographie et vidéos : Yann Chapotel ; Lumières : Catherine Verheyde ; Costumes : Hélène Kritikos ; Mouvements : Noémie Ettlin

Paroles pour « Complainte de la Seine » et « Je ne t’aime pas » : Maurice Magre ; Paroles pour « Youkali » : Roger Fernay

Avec : Natalie Pérez (Anna 1) ; Noémie Ettlin (Anna 2) ; Guillaume Andrieux (le père) ; Florent Baffi (la mère) ; Manuel Nunez Camelino (frère 1) ; Camille Tresmontant (frère 2)

Avec l’Orchestre de chambre Pelléas

Romain Lambert

Romain Lambert

Membre de Musical Avenue depuis juin 2012, je suis passionné bien évidemment de comédies musicales mais aussi de ballets. Je passe la majorité de mes soirées entre l'Opéra Garnier, Bastille et le Théâtre du Châtelet. Je voue un véritable culte a Stephen Sondheim et j'essaye de chanter "Glitter and be Gay" sous la douche.
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