Critique : Quand l’ovni « Fantasio » débarque au Lucernaire

Temps de lecture approx. 6 min.

Si la langue de Musset ne nous est pas totalement inconnue, la compagnie l’Eternel Eté nous dévoile son idée très personnelle du Fantasio de Musset dans une version rock assez folle. O.V.N.I théatro-musical dans la sphère des propositions actuelles, ce Fantasio libère les énergies en tous points et cela fait grandement du bien.

Les origines

Cela fait 12 ans que la compagnie de L’Éternel Été officie en tant que troupe théâtrale avec déjà 12 créations à son actif, présentées en France et à l’étranger. Elle revendique un théâtre populaire et accessible, en plaçant l’esprit d’équipe et la rencontre du public comme réelle éthique de travail. Après une création remarquée à Avignon « Onysos le Furieux » de Laurent Gaudé, se suivent d’autres pièces pour arriver à une période de réappropriations de textes existants comme « Les Fourberies » de Scapin de Molière ou « Ivanov » de Tchekhov dans une traduction inédite.

Fantasio est le troisième arrivé dans ce triptyque réunissant des pièces ayant un prénom en guise de titre ou abordant une thématique de la quête de sens du personnage principal. L’histoire se passe dans un royaume où vit Fantasio, jeune homme désabusé dans une quête perpétuelle de nouveautés et d’amusements. Devenant le bouffon du roi par hasard, il se délecte de la confusion semée dans la haute sphère avec une certaine désinvolture, jusqu’à stopper le mariage princier en préparation. Comme dans beaucoup d’œuvres majeures, les fondements de la pièce de 1833 se révèlent assez modernes et subversifs. Les statuts sociaux sont remis en question et ne sont plus d’actualité.

Une pièce grandiloquente

En charge de la mise en scène et de la scénographie, Emmanuel Besnault s’est attaché à appuyer le caractère immoral et révolutionnaire de la pièce. L’aspect théâtral de l’histoire est amplifié et le caractère des personnages deviennent presque grossiers pour l’occasion. La petite farce du début devient une énorme supercherie et le burlesque fait loi. La Commedia dell’arte est très présente amenant les comédiens à jouer fortement avec leur corps et asseoir des postures. On passe dans une toute autre réalité que celle voulue dans le récit. Dans le même registre, on retrouve les figures classiques du genre : le superbe costume bariolé de Fantasio nous rappelle Arlequin et le jupon blanc de la princesse Elsbeth, Colombine.

La scénographie construite autour d’une scène ou d’une piste de cirque (c’est à vous de voir) permet de créer des espaces dans lesquels les personnages se réfugient. Le plan incliné sert de rampe pour les gesticulations du Prince de Mantou ou de coin secret pour les rêveries de Fantasio. Les personnages eux-mêmes sont rêverie. Qui sont ces êtres mystérieux chorégraphiés vêtus d’une cape blanche et affublés d’un masque à long bec ? Nous n’avons pas forcément toutes les réponses mais peu importe, le théâtre n’est pas réalité et nous permet d’imaginer ce que nous voulons.

Un hommage à la pop culture

Les nombreuses références la pop culture font l’originalité et la puissance de cette version totalement déjantée et assumée dans ce qu’elle revendique. Entre les décors aux allures du « Twin Peaks » de David Lynch, les maquillages rappelant les dessins d’Hayao Miyazaki ou des personnages issus du cinéma, l’harmonie est étonnamment trouvée et la précision du texte est ainsi relevée.

La belle surprise de la pièce est la présence continue de la musique live. Les comédiens se transforment en musiciens sur la seconde scène installée en fond. Un mini-concert reprenant Nick Cave, David Bowie ou des Doors se monte comme un entracte entre chaque scène. Nous avons adoré démarrer et finir la pièce sous le son de l’iconique « Let’s spend the night together » des Stones (encore un groupe qui n’a pas pris une ride). La puissance romantique du rock anglais rappelle la langue de Musset et permet une écoute attentive du texte français. Elle colle aussi parfaitement à la jeunesse des personnages désespérés en quête d’idéaux.

La puissance de la troupe

Les comédiens sont épatants. Ils assurent une performance théâtrale de grande qualité et très précise. La futilité des personnages parvient à être gommée par le jeu puissant de la troupe, amenant une certaine profondeur et tristesse à leur caractère. On assiste à des vrais jeux de scène sur un rythme soutenu. La troupe incarne brillement la pièce en amenant folie et la fougue de la jeunesse.

Benoit Gruel est saisissant en Fantasio. Il n’est plus ce personnage rêveur et devient un trublion vif et incisif provoquant son entourage. Sa gestuelle désarticulée et son humour grinçant ne sont pas sans nous rappeler le Joker de « Batman ». Il est accompagné par Spark l’ami de de toujours de Fantasio, interprété par Deniz Türkmen qui se transforme avec subtilité en gouvernante de la princesse Elsbeth. Elle amène avec Lionel Fournier (Marinoni) une pointe de sagesse et de fraîcheur dans ce groupe en quête de valeur. Lionel Fournier et Manuel le Velly (le Prince de Mantoue) forment un duo désopilant. Ce dernier amène l’égo nécessaire au personnage faisant tout son possible pour séduire la belle princesse à ses risques et périls. Et un beau coup de cœur pour Elisa Oriol qui incarne une princesse encore enfant et dont les mimiques sont jouissives. Dans le prolongement de l’ADN de la pièce, les acteurs poussent leur jeu à l’extrême et donnent à leurs personnages toute la place qu’ils méritent.

Que l’on aime ou que l’on déteste, ce Fantasio ne peut laisser indifférent tant le parti pris est assumé. Toute objectivité gardée, cela fonctionne à 100% grâce à l’harmonie des disciplines crées, aux talents de ses interprètes et sous la une mise en scène folle et élégante d’Emmanuel Besnault.

A ce stade, nous avons juste envie que ce triptyque donne naissance à une nouvelle adaptation pour suivre le travail inventif et racé de la compagnie.
A quand le quatrième opus de l’Eternel Eté ?
Pour prendre sa place, c’est par ici 


 

Fantasio

Au Lucernaire – 53 Rue Notre-Dame-des-Champs – 75006 Paris

Jusqu’au 27 mars 2022   

D’Alfred de Musset

Avec : Lionel Fournier (Marioni, Aide de camp du Prince), Benoit Gruel (Fantasio), Elisa Oriol (Princesse Elsbeth), Deniz Turkmen (La Gouvernante et Spark), Manuel Le Velly (Le Pince de Mantoue)

Mise en scène et Scénographie : Emmanuel Besnault ; Lumières : Cyril Manetta ; Assistante Masques et Accessoires : Juliette Paul ; Costumes et Maquillage : Valentin Perin

 

 

 

 

Eve-Marie Leroy

Eve-Marie Leroy

Enfant d’une mère passionnée de films musicaux et d’un père amateur de jazz et d’opéra, je ne pouvais que tomber dans la marmite des comédies musicales. Cela fait 30 ans que Mary Poppins est entrée dans ma vie et depuis, je jongle entre les classiques de Broadway mêlant claquettes et chapeaux haut de forme et les propositions plus avant-gardistes. Grande admiratrice d’Andrew Lloyd Webber dans un corps de Responsable Ressources Humaines, MusicalAvenue est l’occasion pour moi d’intégrer une troupe de passionnés de cette belle discipline qu’est le Musical
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