Critique : "Nine", de Rob Marshall

Temps de lecture approx. 6 min.

Critique : "Nine", de Rob MarshallNine, au cinéma depuis le 3 mars 2010.

Après Chichago, Rob Marshall signe une nouvelle adaptation très (trop) libre d’un musical de Broadway.

Adapté d’une pièce éponyme, elle-même inspirée du film 8 1/2 de Federico Fellini, Nine narre les errances d’un réalisateur de cinéma italien (Daniel Day-Lewis) qui a perdu l’inspiration et se débat entre toutes les femmes de sa vie : sa femme (Marion Cotillard), son égérie (Nicole Kidman), sa maîtresse (Penélope Cruz), sa costumière (Judi Dench), une journaliste peu farouche (Kate Hudson), et  fantôme de sa mère (Sophia Loren) et d’une prostituée (Fergie).

En dépit d’une bande-annonce léchée qui nous mettait l’eau à la bouche depuis plusieurs mois et d’un casting quatre étoiles, la sauce (bolognèse) de cette comédie ritale ne prend pas.

Une intrigue décousue et décevante

Comme dans Chicago, Rob Marshall se heurte à la difficulté d’adapter au cinéma une œuvre théâtrale complexe tout en lui rendant justice.
Dans son précédant film, il avait pris le parti d’ajouter une dimension réaliste à une œuvre qui jouait exclusivement sur le registre artificiel et fantasmagorique du cabaret.
À l’inverse, Marshall insuffle dès le début à Nine une dimension onirique sensée justifier l’intervention de numéros musicaux inégaux.
C’est là la faiblesse principale de ce long-métrage : en détachant les tableaux chantés et dansés du reste de l’histoire, Marshall leur retire tout intérêt.

Le scénario, remanié par Anthony Minghella (le réalisateur récemment décédé du Patient Anglais, à qui Nine est dédié) et Michael Tolkin (Dawn of the Dead), transforme Nine en un patchwork malhabile qui fait se succéder sans grande cohérence une intrigue qu’on semble survoler, flashbacks en noir et blanc (quelle originalité…) et numéros musicaux.
Ces tableaux, pourtant, témoignent d’une volonté louable de faire dans le spectaculaire : mis en scène sur un plateau de cinéma au décor grandiose, ils se prêtent quelque fois à de jolis moments (comme le "Be Italian" de Fergie) qui donneraient presque envie d’applaudir.

Mais s’ils sont fondamentalement intégrés à l’histoire dans la pièce, ils interviennent dans le film comme des pastilles soporifiques dont on peine à comprendre l’intérêt. Si les auteurs et le réalisateur s’étaient attachés à respecter davantage leur matériel de base et en suivre plus scrupuleusement la trame, ils auraient donné à Nine une force et une crédibilité dont le film manque cruellement.

Pourquoi Marshall part-il du postulat que le public n’est pas capable de comprendre que, dans une comédie musicale, les personnages puissent soudain se mettre à chanter sans prévenir dans leur quotidien, aussi atypique soit-il ?
En cherchant à justifier le chant en le faisant vivre dans l’imagination perturbée d’un homme sur le fil du rasoir, le réalisateur n’est en tout cas pas parvenu à nous faire croire à ces personnages chantants.

On regrettera aussi que tout un pan de la pièce ait été oublié (le film que Guido est incapable de tourner : un hommage à toutes les femmes de sa vie, dans lequel elles jouent toutes) et que la façon dont est traitée l’intrigue n’aide pas à comprendre en quoi les événements que le héros a vécu à l’âge de neuf ans ("nine" en anglais) ont conditionné sa vie et ses rapports aux femmes.

Une partition qui sauve le film du naufrage

Ce qui reste de la comédie musicale créée à Broadway en 1982 (après une dizaine d’années de gestation), ce sont les compositions élégantes de Maury Yeston. L’"Overture delle Donne" qui ouvre (tardivement) le film est sublime, mais sa mise en scène dans le film laisse perplexe.
De "Be Italian", sensuel et exaltant, au très sensible "My Husband Makes Movies" interprété par Marion Cotillard, en passant par les "Folies Bergère" (dont l’intervention dans le film est incompréhensible) de Judi Dench, la partition nous plonge dans une ambiance italienne agréablement désuette.

C’était sans compter sur les nouvelles chansons créées spécifiquement pour le film et ses interprètes : "Guarda la luna", berceuse écrite pour Sophia Loren sur l’air d’un des morceaux de la pièce, remplit à la perfection son rôle de somnifère.
Quant au "Cinema Italiano" de Kate Hudson, il tient plus de l’horrible remake de Spice World, le film des Spice Girls, que de l’hommage aux plus grands cinéastes italiens…

Acteurs : de talent. Personnages : que du vent

Les comédiens donnent l’impression d’être de jolies coquilles dont l’aura, la célébrité et le physique servent à enrober… un grand vide.
Bien sûr, le personnage principal de Guido campé par Daniel-Day Lewis arrive par moment à nous entraîner dans le tourbillon suffocant dans lequel il se trouve pris, et ses partenaires féminines sont un hommage glamour à sa passion pour les femmes.
Malgré le talent d’une telle distribution, les acteurs ne peuvent pas aller bien loin avec des personnages qui sont traités en superficie par le scénario du film.

Malgré ces défauts et un accueil public et critique décevant, Nine est un film taillé pour les Oscars. Si le long-métrage a remporté quelques prix dans des cérémonies de moindre importance, pas sûr qu’il parvienne à s’imposer dans l’une des quatre catégories pour lesquelles il est nominé aux Oscars : Meilleur Second Rôle (Penélope Cruz), Meilleure Direction Artistique, Meilleurs Costumes, Meilleure Chanson Originale ("Take it All", de Maury Yeston, par Marion Cotillard).


Nine, de Rob Marshall
Depuis le 3 mars au cinéma.
Produit par Rob Marshall, Marc Platt, Harvey Weinstein, John de Luca & Maury Yeston.
Écrit par Anthony Minghella & Michael Tolkin, d’après le livret d’Arthur Kopit.
Chansons de Maury Yeston. Musique d’Andrea Guerra.

Avec : Daniel Day-Lewis, Marion Cotillard, Penélope Cruz, Judi Dench, Fergie, Kate Hudson, Nicole Kidman, Sophia Loren.

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