Critique : "Colorature – Mrs Jenkins et son pianiste" au Théâtre Le Ranelagh

Temps de lecture approx. 5 min.

Critique : "Colorature - Mrs Jenkins et son pianiste" au Théâtre Le RanelaghC’est l’histoire à peine croyable de Florence Foster Jenkins, une américaine richissime qui chantait comme une casserole et se prenait pour une diva. En 1944, elle s’offrit la plus prestigieuse salle de concert de New York, Carnegie Hall, pour y donner un récital. L’enregistrement de son effarante prestation est parvenu jusqu’à nous. Pour saisir pleinement l’énormité de la situation, il faut entendre Florence Foster Jenkins sur YouTube.
Curieusement, elle avait un public que ses prestations faisaient se tordre de rire. Elle ne se rendait pas compte que son ridicule était la raison de son succès.
Sur la personne de Mrs Jenkins on ne sait pas grand chose, mais son histoire a tellement excité les imaginations que quatre pièces de théâtre ont été écrites sur elle. Elle aurait également inspiré Hergé pour le personnage de la Castafiore.
Colorature – Mrs Jenkins et son pianiste, est l’adaptation française de Souvenirs, la pièce (on ose à peine la qualifier de musicale) de l’Anglais Stephen Temperley. La pièce a été montée par la York Theater Company avant d’être au programme du Berkshire Theater Festival et enfin de s’installer avec succès à Broadway en 2005.

On l’aura compris, Florence Foster Jenkins ne chantait pas mal : elle chantait effroyablement. Ses aigus étaient faux, ses vocalises ressemblaient à des hurlements de chats qu’on égorge et son sens du rythme était nul. Et malgré cela, elle s’attacha des années durant les services d’un pianiste professionnel, Cosmé McMoon qui, comme son nom l’indique, était mexicain d’origine écossaise.
À vrai dire, la personnalité de l’accompagnateur et sa relation avec la chanteuse sont une énigme. Comment cet homme a-t-il pu supporter de travailler avec elle et, pire encore, se produire à ses côtés en public ?! C’est la question centrale de cette pièce qui tourne exclusivement autour des deux personnages.

Au levé du rideau, McMoon (Grégori Baquet) est seul sur scène avec son piano. Il se livre devant nous à une véritable introspection tout en ponctuant ses propos de quelques tubes de jazz des années 40. Profitez-en : Grégori Baquet (Le K ; Roméo et Juliette) a une jolie voix et s’accompagne avec talent. Ce seront les seuls moments de vraie musique. À l’évidence McMoon ne fait pas la carrière dont il aurait rêvé et ce n’est pas sans état d’âme qu’il accepte de collaborer avec Mrs Jenkins (Agnès Bove). On espère juste qu’il n’aura pas eu la seule Mrs Jenkins comme élève au cours de sa triste carrière.

La première répétition est évidemment le clou de la pièce. Moment tant attendu et apocalyptique. À peine Florence Jenkins ouvre-t-elle la bouche que le pauvre McMoon en tombe d’effroi de son tabouret. Les sons qu’elle produit n’ont rien à voir avec de la musique et il est clair que même le meilleur coach musical du monde ne fera jamais de Mrs Jenkins une cantatrice. Les cris d’orfraie d’Agnès Bové (Anne ; New) produisent à peu près le même effet sur le public du Théâtre du Ranelagh que ceux de Mrs Jenkins sur la société New Yorkaise de l’époque : l’hilarité. Cette dernière se produisait régulièrement  dans les salons du Ritz-Carlton de New York.  Elle considérait les éclats de rire comme provenant de rivales rongées de "jalousie professionnelle".

Agnès Bove, elle-même soprano lyrique, assassine Mozart, Verdi et les autres avec drôlerie, et une certaine délectation. On lui tire son chapeau car ça ne doit pas être confortable pour une véritable chanteuse de massacrer sa voix pendant plus d’une heure.

Bien sûr, son personnage  n’admettait jamais qu’elle puisse chanter faux. "Le piano est désaccordé", affirme Mrs Jenkins, péremptoire. C’est un peu facile mais ça fonctionne.  Totalement imperméable aux critiques de son coach accompagnateur, Mrs Jenkins en devient touchante, notamment lorsqu’elle prétend qu’elle a l’oreille absolue ! Elle entend la musique dans sa tête, se défend-elle. Oui, dans sa tête, telle qu’elle a été écrite, pas telle qu’elle la chante !

Au bout du compte, l’auteur a-t-il résolu l’énigme du couple Jenkins / McMoon. "Ce n’était pas mon but", rétorque Stephen Temperley. Il s’agissait pour lui d’écrire une sorte de "fantaisie" à partir de cette femme hallucinante.
Âgée de 76 ans à l’époque, Flora Jenkins a sûrement imaginé que son concert à Carnegie Hall serait l’apothéose de sa carrière. Ce fut son chant du cygne : elle mourut quelques mois plus tard. Preuve que le ridicule tue, parfois…


Colorature – Mrs Jenkins et son pianiste, de Stephen Temperley

Au Théâtre Le Ranelagh jusqu’au 27 janiver 2013
5 rue des Vignes – 75016 Paris

Du mercredi au samedi à 21h, le samedi à 16h30 et le dimanche à 17h.
Relâches les 28 et 29 décembre 2012

Une pièce de Stephen Temperley ; adaptation : Stéphane Laporte ; mise en scène : Agnès Boury ; lumières : Laurent Béal ; costumes : Eymeric François ; décors : Claude Plet.

Avec : Agnès Bove et Grégori Baquet

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