Critique : "Dorian Gray" de Thomas le Douarec au Vingtième Théâtre

Temps de lecture approx. 7 min.

Critique : "Dorian Gray" de Thomas le DouarecEn avance de plusieurs semaines sur les autres théâtres parisiens, le Vingtième Théâtre a ouvert sa saison fin août avec Dorian Gray, une adaptation musicale très attendue de l’unique roman d’Oscar Wilde. Une audacieuse entreprise présentée par une partie de l’équipe de Mike – Laisse-nous t’aimer, l’un de nos coups de cœur de la saison passée. Ce Dorian Gray parvient-il tout autant à nous séduire ?

Par la magie d’un vœu, Dorian Gray conserve la grâce et la beauté de sa jeunesse. Seul son portrait vieillira. Le jeune dandy s’adonne alors à toutes les expériences, s’ennivre de sensations et cherche les plaisirs secrets et raffinés.

Le Portrait de Dorian Gray est à n’en pas douter l’œuvre la plus célèbre d’Oscar Wilde. Inspirée par de nombreux auteurs – de Pétrone à Théophile Gautier – l’œuvre a donné lieu à pas moins d’une quinzaine d’adaptation théâtrales (dont une moitié de comédies musicales et un ballet signé Matthew Bourne) auxquelles s’ajoute la version signée Thomas le Douarec qui se joue jusqu’à fin octobre au Vingtième Théâtre.

L’auteur et metteur en scène s’est attaché à retranscrire sur scène la teneur de ce roman scandaleux dont la version censurée vient d’être publiée, plus d’un siècle après sa première parution.

Le destin faustien de Dorian Gray est avant tout prétexte à disserter sur l’art, la beauté, la jeunesse et l’hédonisme. D’aphorismes en grandes phrases métaphysiques, le livret de la pièce s’embourbe dans un discours bavard et pédant à la limite de l’abstraction.

Gilles Nicoleau, Laurent Maurel et Grégory Benchenafi dans "Dorian Gray" au Vingtième Théâtre

En s’appliquant à rester aussi fidèle que possible au texte de Wilde, Le Douarec peine à livrer une lecture personnelle et moderne de l’œuvre : le spectateur se perd dans des scènes fleuves qui relèvent davantage du cours de philosophie que du divertissement musical. Il n’a certes jamais été dit que la comédie musicale ne pouvait être intelligente, mais le parti pris par l’auteur rend l’objet passablement difficile d’accès et peu fascinant.
En outre, Dorian Gray ne parvient jamais à s’ancrer dans la réalité de notre monde actuel en dépit d’une volonté de déconnecter le récit de l’époque victorienne contemporaine d’Oscar Wilde.

Bien que jouant la carte de la sobriété, la mise en scène et la scénographie peu inspirées ne font qu’accentuer l’anachronisme de la pièce, qu’accentuent parfois les lumières (très belles le reste du temps) en contre-plongée de Stéphane Balny, qui ne sont pas sans évoquer le théâtre des XIXème siècle.

On regrettera tout particulièrement que le metteur en scène passe à côté de l’opportunité en or d’explorer la veine fantastique de l’œuvre : le portrait magique, qu’on ne voit jamais, est relégué au simple rang d’accessoire sur un coin de la scène, et la dualité du personnage de Dorian ressort à peine.

Benchenafi à la tête d’une troupe de talent

Pourtant, la troupe cumule les talents d’artistes doués et séduisants dont la plupart avait participé à la dernière mise en scène de Thomas le Douarec.
Grégory Benchenafi (Mike ; La Java des Mémoires) campe un Dorian Gray beau comme un prince Disney qui sait aussi se faire monstre inhumain, démontrant une fois de plus les qualités vocales de l’interprète au passage.

Grégory Benchenafi dans "Dorian Gray" au Vingtième Théâtre

Rien à redire non plus de Gilles Nicoleau (Mike ; Dommage qu’elle soit une putain), touchant en peintre bouleversé par la beauté juvénile de son modèle.

Laurent Maurel (Sa Majesté des Mouches) incarne avec conviction un Lord Henry frivole dont l’influence mène Dorian à sa perte. Le personnage, en dépit du talent de son interprète, contribue malheureusement à nous détacher du propos de la pièce : Lord Henry est un misogyne incorrigible dont le discours terrifiant choque plus qu’il ne parvient à faire sourire, avec ses considérations d’une autre époque qui ne font qu’enfoncer l’œuvre dans un mode de pensée obsolète.

L’excellente Caroline Devismes (Mike ; Hairspray), seule femme à bord, n’a malheureusement pas en main les clefs pour contrebalancer les horreurs proférées par Lord Henry : ses multiples personnages féminins sont tous plus accessoires les uns que les autres dans un univers où la femme est méprisée au bénéfice des désirs homosexuels les mieux refoulés.
Pourtant, Devismes arrache à ses collègues les scènes les plus plaisantes de la pièce, tantôt comiques (sa Juliette de Shakespeare qui perd les pédales est une bouffée d’air rafraîchissante dans l’atmosphère pesante de la pièce) tantôt sexy (dans un numéro de cabaret très réussi) et souvent tragiques.

Caroline Devismes et Grégory Benchenafi dans "Dorian Gray" au Vingtième Théâtre

Au piano, Stefan Corbin (le compositeur ; L’Hôtel des Roches Noirs) intervient ça et là dans le rôle d’un personnage assoiffé de vengeance qui n’offre malheureusement que peu d’intérêt dans l’intrigue transposée sur scène.

Déséquilibre

Il signe une partition à la limite de la monotonie, que viennent rythmer des interludes dont on ne comprend pas vraiment le lien avec l’esthétique musicale qui sous-tend l’œuvre. C’est le cas notamment d’un mini-ballet (chorégraphie par Sophie Tellier) dans lequel se lancent à mi-parcours Benchenafi et Devismes : à la limite du rock gothique, la pièce musicale enregistrée rompt radicalement avec les compositions jouées en direct au piano le reste du temps. Cette rupture maladroite est pourtant bienvenue en nous donnant à voir ce qu’aurait pu être un Dorian Gray aux partis pris moins conventionnels.

Hélas, ce déséquilibre est à l’image de la pièce qui accumule dans sa première partie les scènes interminables et les séquences expéditives dans sa seconde moitié. Les paroles des chansons, co-signées par l’auteur et Michèle Bourdet, souffrent du même manque d’harmonie en plongeant dans un registre de langue trivial qui rompt avec le discours soutenu auquel font appel les personnages dans les passages non chantés.

On aurait espéré débuter la saison théâtrale avec un coup de cœur, mais Dorian Gray, qui s’annonçait pourtant comme une des pièces prometteuses de la rentrée, ne nous aura pas convaincus.


Dorian Gray, d’après la version non censurée du roman d’Oscar Wilde

Vingtième Théâtre
7 rue des Plâtrières, Paris XX
Du 24 août au 30 octobre 2011

Reservations au théâtre et dans les points de vente habituels

Livret et mise en scène : Thomas le Douarec ; Musique originale et direction musicale : Stefan Corbin ; Paroles : Michèle Bourdet et Thomas le Douarec ; Chorégraphe et assistante à la mise en scène : Sophie Tellier ; Décors et costumes : Fréderic Pineau ; Lumières : Stéphane Balny.

Avec : Grégory Benchenafi, Gilles Nicoleau, Laurent Maurel, Caroline Devismes, Stefan Corbin.

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