Critique : "Myths and Hymns" au West End Theatre (New York)

Temps de lecture approx. 7 min.

Critique : "Myths and Hymns" au West End Theatre (New York)Nous collectionnons tous des photos, des souvenirs, ou même nos propres mémoires pour garder trace des évènements marquants de nos vies. Chaque album est comme une capsule témoin miniature, une boîte de Pandore émotionnelle.
Prospect Theater Company a ouvert une capsule musicale pour mettre au monde un nouveau spectacle audacieux, Myths and Hymns, qui met l’accent sur les thèmes du souvenir et de reconsidération du passé. Cette œuvre du compositeur reconnu Adam Guettel (The Light in the Piazza ; Floyd Collins) avait été oubliée depuis 1998 lorsqu’elle fut présentée au Public Theater sous la forme d’un concert intitulé Saturn Returns.

Pour Saturn Returns, Guettel avait écrit ces chansons en revisitant des mythe séculaires : Icare et Dédale, Héro et Léandre, Pégase et Bellérophon, et Sisyphe. Avec cette nouvelle production, la metteuse en scène Elizabeth Lucas (Clear Blue Tuesday) a dépoussiéré le cycle de chansons, réarrangé les morceaux, et créé un fil narratif pour faire tenir l’ensemble.
Le nouveau récit se concentre sur une femme âgée qui revisite les étapes importantes de sa vie. Laissée muette par une attaque cérébrale et bouleversée par la vente imminente de sa maison aux enchères, elle se réfugie dans le grenier de la maison de bord de mer de sa famille et se sert des souvenirs qu’elle y retrouve pour se replier dans sa mémoire.

De gauche à droite : Bob Stillman, Linda Balgord et Ally Bonino dans "Myths  and Hymns"

Comme la plupart des souvenirs, ceux de la femme sont composés d’images, de couleurs, d’humeurs et de sons, mais rarement de paroles. Par conséquent, pour contraster avec les quelques mots que la fille dit à sa mère dans les passages dont l’action se déroule dans le présent, ses souvenirs ne recourent à aucun dialogue.
Cette décision audacieuse est destinée à amener le spectateur dans l’esprit et les émotions de la vieille dame. Bien que cet objectif soit atteint, nous éprouvons malheureusement également la frustration qui émerge de leur incapacité à communiquer et se comprendre.

Dans le rôle de la Femme, Linda Balgord (Gypsy ; The Pirate Queen) fait un effort courageux pour exprimer les émotions de chaque souvenir d’un personnage silencieux aussi complexe, mais elle paraît néanmoins distante et ses expressions deviennent banales. Peut-être est-ce le résultat de la mise en scène de son personnage, sur le côté ou au milieu de chaque mémoire, ce qui l’oblige à constamment réagir à l’action en cours, ou peut-être est-ce dû à la nature fugace des souvenirs. Peu importe, on peine à se sentir concerné par ce personnage qui agit essentiellement comme une maîtresse de cérémonie de ces souvenirs.
À l’inverse, Anika Larsen (Xanadu ; All Shook Up) touche la corde sensible dans le rôle de la fille, tout particulièrement dans son solo "How Can I Lose You?". Elle offre une prestation en profondeur dans un rôle tout aussi compliqué, se transformant magnifiquement d’une enfant joyeuse à une adolescente aimante, jusqu’à une adulte en deuil.

De gauche à droite : Matthew Farcher et Anika Larsen dans "Myths and Hymns"

À Balgord et Larsen se joignent deux autres membres de la famille, autour desquels s’axent plusieurs des albums souvenirs de la Femme, ainsi qu’un trio polyvalent qui fait office de chœur et ajoute profondeur et matière aux vignettes.

Bob Stillamn (Grey Gardens ; déjà à l’affiche de la version originale Saturn Returns) dans le rôle du Mari et Lucas Steele (The Threepenny Opera) dans celui du Fils complètent cette famille nucléaire.
S’ils sont tous deux ténors, Stillman montre un meilleur contrôle dans les notes hautes, alors que Steele chante quelques notes aiguës particulièrement fausses, bien que les deux rôles paraissent vocalement trop élevés.
Stillman montre également une plus grande souplesse vocale, parfois très tendre et romantique, sévère et houspilleur à d’autres moments. Les plus grandes aisances de Steel sont sa gestuelle et son interprétation, parfaites dans le rôle d’un jeune homme rebelle et arrogant comparé à Icare.

Ally Bonino (dans le rôle de Trickster) se démarque des autres membres du chœur avec une voix merveilleusement libre de toute difficulté. Matthew Farcher (Lover) fonctionne un peu comme des photos mélancoliques en noir et blanc, apportant beaucoup de tension romantique dans la vie de la Fille, tandis que Donell James Foreman (Shapeshifter) ajoute de vives touches de couleurs vocales dans son interprétation de personnages joyeux pleins de vie.

L’ensemble de chambre composé des trois membres de la famille et des trois membres du chœur crée la bande sonore de la vie de la Femme, mais elle est en paradoxalement absente. Si elle pouvait participer vocalement à ces souvenirs, nous serions en mesure de comprendre ses expériences, et pas seulement la regarder en être le témoin.

Lucas Steele (avec les ailes) et la troupe de "Myths and Hymns".

En dépit de l’impossibilité de s’attacher à la Femme, les tableaux à couper le souffle donnent envie aux spectateurs de capturer ces images dans leur mémoire.
La scénographie de Ann Bartek métamorphose un grenier réaliste en interprétations abstraites des décors des souvenirs comme un quai ou une église, en n’utilisant guère plus que des cartons de différentes tailles et des planches de bois.
Ces changements de scènes sont pour la plupart des transitions en douceur qui glisse d’un souvenir à l’autre, comme lorsque les lumières de Herrick Goldman passent de l’obscurité du grenier à des jaunes dorés célestes, ou quand sont utilisés des effets sonores tels que des vagues ou des cornes de brume.

Malgré l’utilisation réussie de ces effets, l’ingénieur du son Janie Ballard n’offre pas un travail réussi. Certaines chansons sont tellement confuses que les paroles sont indiscernables par-dessus l’orchestre de six
musiciens, malgré la taille intimiste du théâtre. Un son équilibré et des décors et lumières charmants sont essentiels pour ce type de pièce de chambre qui s’appuie fortement sur des images scéniques en l’absence de dialogue.

Le récit dépourvu de dialogue d’Elizabeth Lucas offre un scénario fonctionnel mais  affligé de nombreux défauts qui paraît bien faible en comparaison avec les chansons de Guettel. L’histoire fournit un cadre et une intrigue appropriés mais les chansons du compositeur ont en elles plus que ce qu’elles disent sur ces personnages. Comme le matériel mythologique et religieux qui en est à la source, ses chansons sont intemporelles et universelles.
Le récit de Lucas est une entreprise artistique courageuse, mais n’est qu’une adaptation et un nouveau véhicule pour ces chansons. Peut-être qu’en ajoutant des dialogues ou en incorporant la Femme dans les chansons de ses souvenirs, le public ressentirait un lien plus fort avec elle, ce qui ferait de Myths and Hymns une œuvre intrinsèquement plus forte.

Lire la version originale de cette critique

Photos : Richard Termine


Myths and Hymns, de Adam Guettel et Elizabeth Lucas

Jusqu’au 26 février 2012
Prospect Theater Company à The West End Theater
263 West 86th Street, Manhattan

Musique et paroles: Adam Guettel ; nouveau récit et mise en scène : Elizabeth Lucas ; chorégraphie : Wendy Seyb ; supervision musicale : Robert Meffe; direction musicale : Katya Stanislavskaya ; régisseuse: Kristine Ayers ; scénographie : Ann Bartek; costumes : Emily Morgan DeAngelis ; création lumières : Herrick Goldman ; sourd design : Janie Bullard ; directeur de casting : Jason Najjoum.

Avec : Linda Balgord, Ally Bonino, Matthew Farcher, Donell James Foreman, Anika Larsen, Bob Stillman, Lucas Steele.

Chef d’orchestre / Piano : Katya Stanislavskaya; violon : Adam Waddell ; contrebasse : Alden Terry; percussion : Jay Mack; guitare : Jonathan Russ; violoncelle : Allison Seidner.

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