Compte-rendu : "Les Misérables", en Français à Lausanne

Temps de lecture approx. 9 min.

Comme nous vous l’annoncions en avril dernier, la production suisse des Misérables a pris ses quartiers au théâtre de Beaulieu de Lausanne depuis le 11 septembre 2009. L’équipe de Musical Avenue vous propose un compte-rendu du spectacle et des deux représentations (12 et 16 septembre) auxquelles nous avons pu assister. Les représentations sont prévues pour durer jusqu’au 3 octobre, avec une prolongation possible mais non encore annoncée.

De l’ambition et des moyens

Un beau théâtre de 1800 places, 40 musiciens, 33 comédiens-chanteurs, 300 costumes sans compter la machinerie complexe des décors, des moyens importants de communication, on ne s’y trompe pas : La société Comédie Musicale Suisse a vu les choses en grand pour sa première production. Le prix du billet s’en ressent, et les attentes du public sont donc légitimement importantes.

Le premier grand plaisir pour le spectateur est sans conteste cet orchestre formidable de 40 musiciens. A part peut-être à Londres, il est très rare de profiter d’un orchestre aussi riche dans les productions européennes. On ne peut qu’applaudir ce choix audacieux financièrement, qui offre une qualité sonore et une certaine envergure au spectacle. Les costumes ont également été très soignés, avec un grand nombre de perruques et d’accessoires. Si les costumes les plus marquants sont certainement ceux de Javert, on regrettera peut-être l’absence de perruque pour Yoni Amar (Enjolras), peu en adéquation avec les critères esthétiques supposés de l’époque.

Pour la musique, le choix a été fait de ralentir le rythme de certaines mélodies, afin probablement d’augmenter un peu plus le lyrisme global de la pièce et d’accentuer les moments très sentencieux. Cette option est plutôt appréciable sur certaines chansons comme "Seul devant ces tables vides", ou "Souviens-toi des jours passés". Cependant, "Le grand jour", final du premier acte, pâtit légèrement de ce choix, car le rythme assez lent est légèrement pesant, nuisant ainsi à l’énergie globale du tableau.

Une mise en scène originale

Avec la première production de Cameron Mackintosh à Londres, Trevor Nunn et John Caird ont introduit le concept ingénieux de scène tournante. A Lausanne, l’abandon de cet élément conduit à une approche plus traditionnelle. Du fait de la nouvelle approche scénique, quelques arrangements musicaux créés spécialement pour la scène tournante ont été logiquement supprimés.

Nous avons trouvé la mise en scène globalement très réussie. Si elle reprend plusieurs éléments incontournables de la production actuellement à l’affiche à Londres, nous tenons à souligner le travail d’inventivité qui a été fait sur le spectacle. La mécanique des changements de décor est assez subtile et discrète, parfois même esthétique, comme sur "Tournent, tournent" où l’on en oublierait presque que les femmes décrochent des éléments de décor tant ces mouvements s’insèrent dans la poésie globale du tableau. A contrario, la mort de Javert écrasé sous un pan de barricade est assez étrange, très loin du lyrisme de la version anglaise, et on ne comprend pas bien son retour ainsi que l’apparition des Thénardier sur le final pour reprendre "A la volonté du peuple".

La scénographie fait par ailleurs preuve d’un certain manque de cohérence d’ensemble, en mélangeant certains tableaux très figuratifs, avec des décors suggérés, et d’autres très concrets et visuels. Ainsi, on regrettera le manque de soin accordé par exemple à l’auberge des Thénardier, représentée par une table unique et deux tabourets, ou encore à "Seul devant ces tables vides", où seules les étoffes suggérant le mouvement étudiant sont présentes. Ces séquences sont en opposition avec celles du Café ABC et des barricades, dont le décor est très riche d’éléments et d’accessoires, et qui sont parmi les plus réussies du spectacle.

Plus ennuyeux, un certain nombre d’erreurs techniques sont venues émailler les représentations. Quelques soucis d’allumage de micro, notamment sur les tableaux de groupe de la barricade, et des erreurs liées à la vidéo-projection, très utilisée pendant le spectacle et constituant une idée intéressante, ont nui à l’immersion dans l’univers visuel. Enfin, pour les spectateurs placés aux premiers rangs, le volume des micros était souvent un peu faible par rapport à celui de l’orchestre.

Une troupe exceptionnelle

La grande force de cette production suisse est incontestablement son casting : une troupe extrêmement talentueuse, internationale, et dont le profil des interprètes correspond parfaitement aux rôles pour lesquels ils ont été choisis. Ayant eu l’opportunité d’assister à deux représentations, nous avons pu apprécier quelques changements dans la troupe, en particulier une rotation sur les rôles de Javert, Marius et Cosette.

René Lajoie, artiste québécois, nous a fait à deux reprises une excellente impression malgré une ou deux rares imprécisions sur les notes très hautes. Il incarne à merveille un Jean Valjean puissant mais touchant, parfait vocalement. Malheureusement, celui-ci a annoncé sur Facebook une blessure au mollet qui l’empêchera probablement de remonter sur scène. Valéry Rodriguez assurera donc l’intérim.
Concernant le rôle de Javert, Pierre Babolat a été très convaincant, quoi qu’un peu en deçà de René Lajoie au niveau de la puissance. Quant à Stéphane Métro dans le même rôle, il nous a tout simplement éblouis par son absence d’émotions apparente, sa puissance et son charisme.

Julien Salvia a été parfait en Marius, tout en émotion et impeccable vocalement. Malgré son statut de doublure, il fait mieux que rivaliser avec son compère Virgile Le Dreff. Ce dernier correspond plus à la vision "londonienne" du rôle, étant d’une dizaine d’années plus âgé. Mickael Viguier (Maître Thénardier) a également enchanté les spectateurs par son charisme, son formidable jeu d’acteur, et une certaine grâce dans ses déplacements, plaçant son épouse jouée par Sandrine Seubille un peu en retrait. Yoni Amar incarne quant à lui un puissant et charismatique Enjolras, qu’on suivrait bien volontiers sur les barricades.

Jyaleen constitue l’autre très belle surprise de ces Misérables. Si elle n’avait pas semblé très à l’aise la première fois, en particulier dans les aigus, elle semble avoir pris ses marques et propose une Eponine très juste, fougueuse, mais fragile. La première représentation nous avait également laissé quelques réserves quant à la prestation de Brigitte Annoff, dans le rôle de Fantine. Pénalisée par un accent hollandais prononcé, des problèmes de rythme dans le phrasé en Français, et quelques limites vocales dans les aigus. Elle a semble-t-il travaillé pour gommer ses défauts et propose une Fantine convaincante, à défaut d’être inoubliable. Enfin, Manon Taris incarne une Cosette très émouvante, alors que sa doublure Lauranne Jaquier assure le rôle de façon peut-être un peu trop académique.

Enfin, les interprètes de l’ensemble ont tous un très bon niveau. Certains sont davantage mis en avant, à l’instar de François Borand (contremaître, client de l’auberge, …), Emmanuel Vacarisas ou encore Yvonne Tondolo, mais tous s’investissent énormément et contribuent à la très belle impression laissée par les tableaux de groupe.

Les Misérables, et après ?

Malgré les quelques défauts techniques mentionnés plus haut, cette nouvelle version francophone des Misérables est très intéressante sous bien des aspects, et rivalise tout à fait avec les productions londoniennes par la qualité des interprètes, l’orchestre, les costumes et la mise en scène. Initialement prévu jusqu’au 3 octobre, le spectacle pourrait être prolongé pour une dizaine de dates. C’est bien là tout le mal que l’on souhaite à la troupe ! Il est d’ailleurs dommage qu’aucun enregistrement ne soit prévu pour le moment.

Les Misérables reste une des comédies musicales incontournables dans le monde, et de nouvelles productions fleurissent régulièrement. La saison dernière avait déjà vu une autre production française au théâtre Capitole de la ville de Québec, avec pour l’occasion de nouveaux arrangements entièrement acoustique et un album studio. Par ailleurs, rappelons que la tournée européenne des Misérables fera son retour à Paris au théâtre du Châtelet au printemps 2010, dans sa version en Anglais surtitrée. A l’instar de la production suisse, celle-ci proposera une mise en scène inédite et de nouveaux décors.

Enfin, Comédie Musicale Suisse SA a annoncé sur le programme des Misérables vendu au théâtre de Beaulieu la production prochaine de la comédie musicale Evita, d’Andrew Lloyd Webber, rendue célèbre par l’adaptation cinématographique d’Alan Parker de 1996, avec Madonna et Antonio Banderas. Ce nouveau projet devrait voir le jour courant 2010, dans une version française inédite. Après Stage Entertainment France, il semblerait que la comédie musicale francophone dispose désormais d’une grosse société de production en Suisse. Pour notre plus grand plaisir !


Sophie Dussaussoy et Stephany Kong ont assisté à la représentation du 12 septembre, et Samuel Sebban à celle du 16 septembre 2009.
Crédits photos : Musical Avenue

Le site du spectacle à Lausanne : http://www.lesmiserableslausanne.ch/
Le site de la production française québécoise : http://www.lesmiserables.ca/

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