Interview de Claire Diterzi à l'occasion de "Rosa la Rouge" – Partie I

Temps de lecture approx. 10 min.

Claire Diterzi dans Rosa la Rouge

La chanteuse Claire Diterzi jouera à partir du 2 novembre le spectacle Rosa la Rouge sur la scène du théâtre Silvia Monfort à Paris, spectacle qu’elle a écrit et composé et dont Marcial Di Fonzo Bo a signé la mise en scène. Nous avons voulu en savoir plus, sur ce projet qui nous semblait pour le moins novateur.

Dans cette première partie de l’interview qu’elle nous a gentiment accordée, Claire Diterzi nous parle de la genèse du spectacle, et de sa vision de Rosa Luxembourg. Entretien avec une artiste généreuse, sans langue de bois.

Comment s’est passée la rencontre avec Marcial Di Fonzo Bo ?

On se connaissait réciproquement, lui m’avait vue dans Iris de Decouflé et je l’avais vu jouer dans une pièce de Rodrigo Garcia. Je ne connaissais pas son travail de metteur en scène, mais en tant que comédien, il m’avait vraiment scotchée aux rideaux.
Il a fait appel à moi une première fois, pour mettre en musique sa pièce, La Estupidez en 2007. On a eu envie de faire un bébé artistique ensemble. On cherchait un sujet pour notre travail et il m’a proposé l’idée de Rosa Luxembourg, que je ne connaissais pas. J’ai lu une biographie qui a ouvert plein de volets, qui ont donné une foule de sujets pour des chansons, comme la liberté, la politique, la nature (puisqu’elle était très amoureuse de la nature et des oiseaux). J’ai commencé à écrire beaucoup de choses et beaucoup d’images me sont venues. Au bout d’un an, j’ai soumis toutes mes maquettes musicales à Marcial.

C’est à partir de ce moment-là qu’il est intervenu ?

Oui. J’ai recruté des musiciens et Marcial nous a mis en lumière et a fait la scénographie. Dans toute la matière musicale que je lui ai donnée, il a fait son marché. J’ai fait appel à une écrivaine, Leslie Kaplan qui a eu un rôle de dramaturge dans l’histoire. Elle intervenait un peu comme garde fous. Il ne fallait pas que je raconte n’importe quoi et la politique, ce n’est pas trop mon rayon. Elle nous a aidés à canaliser notre propos, dans la musique, dans les paroles, dans les textes, et dans le choix des images.

Le CD qui accompagne le spectacle contient des musiques très modernes comme "Je touche la masse" qui peut se rapprocher du R’n B. Il y a une chanson qui mentionne le sms. Vous êtes-vous imposée des contraintes, des limites pour rester dans un cadre ?

Je voulais que le CD soit présenté non pas comme un album de chansons, mais comme la bande originale du spectacle. Il n’y a pas de cadre, ça part un peu dans tous les sens. C’est ce qui m’intéresse dans le fait de travailler dans le milieu du théâtre, du cinéma ou de la danse, car dans la musique, tout est formaté : on doit faire un disque le plus commercial possible, pour toucher le plus grand nombre de gens.
Là, il y a une liberté énorme dans mon travail. C’est un disque qui a un rapport avec ce que les gens vont voir sur scène. Ce que vous soulevez est très important : on n’avait pas envie avec Marcial de faire une biographie de Rosa Luxembourg. On s’est servis de son parcours pour transposer ce qu’elle aurait pu être aujourd’hui.
Dans ma recherche musicale, je me suis vraiment éclatée en électro par exemple. Le morceau "Rosa la rouge" est limite techno. C’est parfois très rock avec des guitares électriques, il y a des choses violentes et rageuses.

Je vous ai entendue dire que c’était un spectacle plus sur la liberté que sur Rosa Luxembourg…

Absolument. Les gens du théâtre ne comprennent pas, ils disent : "attends, on nous a vendu un spectacle sur Rosa Luxembourg", et bien non ! Dans tout ce qu’on a fait en images, en musique, tout peut être justifié par rapport à son parcours. La musique que j’ai composée est un délire par rapport à sa vie. Je me suis complètement appropriée ses histoires d’amour, ses rêves, ses fantasmes, ses frustrations aussi. Je me suis permis d’imaginer ce qu’elle aurait pu être si elle avait été artiste.
Plutôt que de raconter quelque chose d’assez pathétique, parce qu’elle n’a pas eu une vie facile (Elle a fait beaucoup de prison, et a été assassinée à moins de cinquante ans pour ses idées), j’ai voulu lui amener la fantaisie et un moyen d’expression qu’elle n’a pas eu dans sa vie. Elle écrivait beaucoup, c’était une grande intellectuelle. Mais qu’aurait-elle fait si elle avait pu chanter ?
C’est un spectacle très dynamisant, très énergique et très délirant qui dit qu’il faut relever ses manches pour être heureux, mais que c’est possible. C’est aussi très engagé, car musicalement c’est assez pointu, pas forcément facile d’accès. On retrouve cette liberté dans le choix de faire un duo avec Lambert Wilson dans un style opérette deuxième degré. Rosa rêvait d’avoir un mari, une maison, des enfants, et elle n’a jamais pu avoir ça. Je le lui ai donné dans la chanson. Si elle l’entendait, ça l’énerverait peut-être, elle dirait que c’est un peu léger. Mais dans le disque et dans le spectacle c’est un moment d’humour qui est très plaisant.

Outre ce duo avec Lambert Wilson, quelle est la place de la vidéo dans votre spectacle ? 

C’est un quatrième œil amené par Patrick Volve, cinéaste, qui avait fait un clip fabuleux pour la chanson "Tableau de chasse" sur l’album précédent. Pour Rosa la rouge, il y a mon œil de chanteuse-musicienne, le regard de Marcial qui met en scène et invente un espace, et celui de la dramaturge, Leslie Kaplan. Je trouvais important d’avoir un quatrième œil pour les images. A partir de toutes nos idées, il a amené une dimension poétique au spectacle, mais aussi la dimension carcérale.
Comme on ne voulait pas montrer Rosa dans sa prison, en train de dépérir, on s’est beaucoup inspirés d’artistes plasticiens pour évoquer ce thème. Mon costume évoque une toile d’araignées, donc une cage, et l’idée d’enfermement. Et surtout, l’image transpose les choses en 2010. Ce qu’on projette pendant le spectacle, c’est aussi l’intérieur de la tête de Rosa. Elle faisait des herbiers ; on a beaucoup évoqué l’univers de la nature.

Avez-vous d’autres projets pour ce spectacle, ou pensez-vous au contraire qu’il a vécu sa vie et que vous allez profiter de votre année à la Villa Médicis pour commencer une nouvelle création, un nouvel album
?

Le spectacle est né en avril, c’est tout frais. On a fait une vingtaine de dates en fin de saison, ce qui n’est pas une période terrible pour un nouveau spectacle. On rempile pour une série de vingt dates en automne-hiver qui va rebondir sur la saison 2011-2012. C’est mon fonctionnement, car on est toujours décalé quand on est concepteur. Comme toujours, je suis à cheval entre une tournée, l’exploitation du spectacle et mon antre à la Villa Médicis, mon nid d’aigle pour évidemment faire mûrir la suite des évènements.
Mes spectacles durent deux ans sur scène. A la fin, c’est bien d’avoir quelque chose de prêt. Je m’oriente vers quelque chose de plus sobre et moins conceptuel. J’ai envie de l’inverse de ce qu’on vient de décrire, sans vidéos par exemple. J’ai envie de chansons très simples, avec un arrangement assez homogène, de choses assez profondes mais très personnelles. J’ai envie de mettre la voix et les paroles en avant, je vois quelque chose de très acoustique.

Les critiques sont soit dithyrambiques, soit hyper négatives. Vous ne laissez personne indifférent. Pensez-vous que ce projet dérange, intrigue, déstabilise ?

C’est normal qu’il dérange parce qu’il ne rentre pas dans une case. Je le déplore mais je le trouve finalement très accessible. Quand les gens vont le voir, il y a beaucoup d’émotion. Le sujet est grave, mais on a réussi à en tirer quelque chose d’assez ludique et d’extrêmement énergique. Par contre, je pense qu’en France, une fois de plus, une chanteuse au théâtre intrigue. C’est comme si je goûtais au fruit défendu. De même, un théâtreux qui joue un peu avec la chanson perd un peu de crédit, parce que la chanson a quand même un côté un peu "variétés" en France.
Par contre, les gens des scènes nationales, qui sont d’ailleurs mandatées pour cautionner ce genre de délire (et heureusement, qu’il y a des gens qui prennent des risques), sont vraiment très ouverts et très friands de ce genre de spectacles très neufs. C’est un spectacle, qui est très lourd techniquement, parce que le son est très exigeant. C’est comme un vrai concert de rock. En plus, il y a une scénographie, des lumières et la vidéo.

L’année dernière au Théâtre du Rond-Point, un spectateur, avant le dernier rappel vous aurait demandé, en criant, si vous n’aviez pas honte de trahir la mémoire de Rosa Luxembourg…

C’est arrivé deux ou trois fois. Les puristes ne vont pas retrouver leur idole spartakiste. Je trouve qu’on l’a sublimée en lui amenant des modes d’expression qu’elle n’avait pas à l’époque : la vidéo, la musique, la voix, parce que je lui permets de chanter.
Evidemment, certains délires dérangent les communistes purs et durs parce que ce spectacle n’est pas un manifeste politique d’extrême gauche.
De plus, le fait de rire un peu d’un personnage comme celui-ci dérange aussi parce qu’elle est morte, et qu’elle est la figure emblématique d’un grand mouvement politique. Mais je ne vois pas pourquoi on n’aurait pas le droit d’interpréter les choses avec un peu d’humour. Surtout qu’elle en avait, de l’humour. Au contraire, c’est lui rendre hommage que de faire un spectacle sur elle. On n’est pas obligé d’être dans le premier degré.

Retrouvez prochainement la deuxième partie de l’interview, dans laquelle Claire Diterzi nous parlera de ses projets, de la villa Médicis et de son rapport à la comédie musicale.


Rosa la Rouge de Claire Diterzi et Marcial Di Fonzo Bo

du 2 au 6 novembre 2010

Théâtre Silvia Monfort
106 Rue Brancion,
75015 Paris

Mise en scène : Marcial Di Fonzo Bo ; Images : Patrick Volve ; Dramaturgie : Leslie Kaplan.

Avec Claire Diterzi (Chant et guitare)

Musiciens : Etienne Bonhomme (Batterie et machine à sons), Cédric Chatelain (Hautbois), Baptiste Germser (Cor).

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