Les présentations de fin d’année du Cours Florent sont devenues des rendez-vous attendus avec curiosité. Cette saison, deux œuvres peu connues du grand public ont été sélectionnées : Ride the Cyclone et Elegies. Un choix audacieux, qui témoigne de la volonté de renouvellement du cursus et de l’ambition pédagogique de l’école. Intéressons-nous tout d’abord à Elegies, une œuvre atypique qui invite à la réflexion plus qu’à la narration, et propose une forme de célébration poétique de la mémoire.
Une œuvre chorale entre méditation et souvenir
Créée au début des années 2000 par William Finn (à qui l’on doit également Falsettos, que nous avions pu découvrir grâce au TFE de Nicolas Chailley), Elegies n’est pas une comédie musicale ordinaire. Il s’agit plutôt d’un cycle de chansons, sans narration linéaire, évoquant tour à tour des figures disparues. La mort devient le fil rouge pour mettre un coup de projecteur sur des éclats de vie d’amis disparus, proches emportés par la maladie ou les attentats, figures du quotidien célébrées dans leur humanité. Dès les premières minutes, les élèves flanqués de part et d’autre de la scène, plantent le décor dans un préambule clair : « Ce n’est pas une histoire ; nous allons parler de ceux qui ne sont plus là, pour les faire revenir un instant. Parfois ça sera drôle, parce que la vie l’est ; parfois ça sera triste, parce que la vie l’est. » Ce choix de mise en contexte permet de préparer le spectateur à une forme libre et une absence de récit structuré dont on a l’habitude ; chaque tableau proposera finalement une émotion, un souvenir, une évocation.
Fidèle à ses habitudes (et nous n’en attendons pas moins), la mise en scène d’Alexandre Faitrouni se fond avec le propos. Les praticables sont déplacés à vue, suggérant une sorte de tourbillon existentiel. Enrichi par quelques ajouts de textes et de scènes théâtrales, les tableaux de chansons marquent nos esprits : la scène en voiture allie simplicité et ingéniosité dans des répliques entremêlées ; le tableau du repas est chorégraphié avec accessoires et vaisselle (clin d’œil à des scènes de musicals), ou encore le final bouleversant, où les élèves, face public, reprennent des extraits réels de messages laissés par des victimes des attentats du 11 septembre – un moment de vérité qui n’est pas sans rappeler l’émotion de Come From Away.

Les thèmes abordés sont profonds : la disparition, la mémoire, la transmission. La question du deuil donne une unité émotionnelle à ce patchwork musical. L’ensemble peut désarçonner : il faut accepter de se laisser porter, sans chercher un fil narratif classique ; nous y voyons davantage un voyage philosophique et musical. Mais le spectacle réserve aussi des moments de légèreté, des sourires au détour d’un souvenir joyeux ou d’une réplique décalée.
Une performance collective empreinte de sincérité
Elegies bouleverse les habitudes. Ici, pas de rôles principaux, ni de distribution par doublons. Tous les élèves partagent la scène dans une dynamique résolument collective. Chaque élève a tour à tour son moment de lumière, avant de se fondre dans le groupe. Le résultat : une performance chorale dense, où les harmonies prennent le pas sur les démonstrations individuelles. Si cela peut empêcher certaines individualités de pleinement se démarquer, cela renforce aussi l’esprit d’équipe et donne à voir une cohésion rare. Ce pari de la solidarité scénique est à saluer : il traduit une volonté d’unité et de mise au service de l’œuvre plutôt que de l’ego.
Les élèves réussissent à s’approprier un matériau singulier, à en exprimer les émotions multiples, tout en maintenant un niveau constant de rigueur vocale, de présence scénique et de précision chorégraphique, ce qui n’a rien d’évident. Les déplacements nombreux, les jeux de regards, les nuances d’interprétation témoignent d’un engagement profond. Même si l’œuvre peut laisser certains spectateurs un peu décontenancés, elle offre à chacun la possibilité de s’identifier à l’un ou l’autre des tableaux, en fonction de son vécu, de sa sensibilité propre. Chacun y trouvera un écho personnel, une chanson qui réveille un souvenir.
Fait rare (voire une première sur un présentation de fin d’année au Cours Florent), le spectacle ne bénéficie pas d’une bande-son pré-enregistrée, mais d’un accompagnement live au piano, assuré avec brio par Nima Santoja (figure incontournable de la comédie musicale, coach vocale, cheffe de chœur pour le Chœur à l’Horizon – entre autre -, pianiste, cheffe de chant de l’Ecole du Roi Lion, et directrice vocale de la prochaine cérémonie des Trophées de la Comédie Musicale). Son jeu au piano, à la fois puissant et nuancé, apporte un soutien indispensable à l’ensemble du spectacle. Dans un format aussi resserré et minimaliste, l’instrument devient un personnage à part entière, porteur d’émotion et de rythme.

Elegies est peut-être une œuvre difficile d’accès, mais elle a le mérite de poser des questions profondes, de sortir le spectateur de ses habitudes, et d’ouvrir un espace de réflexion sensible. Ce soir, ce ne sont pas tant des personnages que nous avons découverts, mais des fragments d’existence – défendus avec sincérité par une promotion engagée et appliquée. Le Cours Florent confirme sa volonté de proposer à ses élèves des expériences diverses, en phase avec la pluralité des formes que peut prendre la comédie musicale contemporaine.
Crédit photos : Musical Avenue