Pour son second atelier de fin d’année, le Cours Florent poursuit son exploration de territoires artistiques singuliers avec Ride the Cyclone, une œuvre encore peu connue du grand public, mais qui séduit par sa modernité, son audace et sa capacité à interroger le spectateur.
Une fresque détonante, au service de l'imaginaire et de l'interprétation
L’histoire se déroule dans une ville fictive, Uranium, où cinq adolescents membres de la chorale Saint-Cassien périssent dans un accident mortel de montagne russe. Accueillis dans une sorte de purgatoire forain par Karnak, un automate diseur de bonne aventure capable de prédire la mort des gens – dont la sienne -, ils apprennent qu’un seul d’entre eux pourra revenir à la vie. Un sixième protagoniste dont on ignore l’histoire (si ce n’est qu’elle a été décapitée) est déjà là à l’arrivée du petit groupe. Commence alors un étrange jeu de révélations où chacun doit plaider sa cause — ou choisir de céder sa place.
Ce point de départ, aussi ludique que macabre, permet à chacun des personnages de revenir sur son existence, d’en explorer les rêves, les regrets et les fragilités. Dès les premières minutes, l’univers visuel et sonore capte l’attention : l’ambiance de fête foraine s’impose avec des lumières vives, des effets dynamiques, et une bande sonore éclectique où chaque numéro musical épouse l’identité du personnage concerné. L’histoire s’installe rapidement, et les enjeux — pourtant symboliques — sont clairs, bien posés, et soutiennent efficacement l’attention du spectateur.
La mise en scène s’appuie sur un rythme soutenu, une énergie constante et une grande inventivité. Trouvailles visuelles et de ruptures de ton évitent toute monotonie. Les costumes, nombreux et variés, témoignent d’un vrai travail de réflexion et d’anticipation : tango, country, alternance de vêtements blanc éclatant ou noir sobre, chaque univers musical a son esthétique propre. On nous confiait à la sortie que les nombreux changements rapides en coulisses (surement les plus nombreux que l’on ait vu sur une présentation de fin de cycle) ont représenté un défi d’organisation — défi relevé avec brio.
Les lumières, elles aussi, contribuent à la réussite de l’ensemble. Elles soutiennent à la fois l’ambiance foraine omniprésente et les séquences plus intimes, où les personnages se dévoilent.




Le spectacle fait aussi la part belle à la diversité des rôles. Chacun dispose de son moment de lumière, dans une galerie de portraits à la fois fantasques et touchants : une lycéenne à l’ego surdimensionné rappelant Rachel Berry ou Sharpay Evans (Ocean O’Connel Rosenberg), une décapitée au regard glaçant (Jane Doe), un adolescent handicapé rêvant de félins interstellaires, ou encore un jeune homosexuel aspirant à embrasser la carrière d’une prostituée d’après-guerre. L’interprète du rôle de Karnak, construit comme un numéro d’équilibriste, parvient à humaniser une entité mécanique a priori dénuée d’émotion et suscite l’empathie pour son sort, malgré le comportement plutôt toxique du personnage quand on y réfléchit. Même le rat Virgil est un rôle de composition, discret et symbolique. Des propositions parfois audacieuses, mais toujours portées avec sincérité, et sans excès.
Un spectacle pop et sensible, miroir d'une génération
L’ensemble de la promotion fonctionne comme une entité collective soudée, où l’ensemble des danseurs-chœurs est souvent mobilisée sur scène, que ce soit pour les chorégraphies ou les déplacements. On retrouve l’alternance d’interprètes sur un même rôle au cours de la présentation. Ce changement est assumé avec naturel et humour, sans jamais déstabiliser le récit, les deux élèves se fondant naturellement dans le rôle et assurant la continuité du personnage, tout en lui apportant leur touche personnelle. On reconnaît là l’une des marques du Cours Florent : donner à plusieurs élèves la possibilité de s’approprier un même personnage et d’explorer différentes facettes d’un rôle.
Ride the Cyclone se distingue aussi par son humour, subtilement disséminé à travers les dialogues, les mimiques et certains moments qu’on pourrait qualifier de « curriculum vitae scéniques ». L’adaptation française du livret, ponctuée de références à la culture pop ou à des marques bien ancrées dans notre quotidien, participe de cette modernité.




Sous ses airs loufoques, Ride the Cyclone explore des thématiques profondément humaines : le sens de la vie, le besoin d’être aimé, la quête de soi ou l’acceptation. On se sent proche des personnages, qui se révèlent plus complexes et avec bien plus de profondeur que leur archétype du début. On sent d’ailleurs toutes les couches et nuances que les élèves mettent dans l’évolution des personnages (dévoilant leurs failles et doutes) jusqu’au dénouement final. Dans un monde qui déraille, les personnages font autant office de héros que d’anti-héros, chacun ayant une double facette à laquelle il se confronte, dans l’espoir d’emporter l’adhésion de ses compagnons d’infortune – et le nôtre !
À l’image du précédent atelier (Elegies), Ride the Cyclone aborde la mort comme sujet central, mais en empruntant une voie radicalement différente : vive, colorée, pleine d’autodérision. Une variation salutaire, qui permet aux élèves d’explorer un autre registre et de déployer une large palette d’émotions. Le spectacle constitue une vraie bouffée d’air frais, un objet théâtral atypique où la comédie musicale devient terrain d’expérimentation, sans jamais perdre de vue l’essentiel : raconter, émouvoir, et surprendre.
On ressort de cette attraction scénique avec le sentiment d’avoir assisté à une création engagée, généreuse, portée avec panache par des élèves talentueux et une équipe pédagogique toujours en quête de renouvellement. Une très belle découverte qui conclut ces présentations de fin d’année.