Le Festival d’Avignon bat son plein, et cette édition 2025 s’annonce encore une fois riche en propositions musicales et théâtrales. Entre créations originales et découvertes inattendues, Musical Avenue a assisté à plusieurs spectacles marquants de cette saison foisonnante.
Afin de partager cette richesse artistique avec nos lecteurs, nous proposerons plusieurs articles. Une invitation à parcourir le Off autrement, au rythme de nos découvertes musicales.
Enfers et contre tous
Et si les dieux de l’Olympe avaient le sens du show ? Enfers et Contre Tous revisite avec audace la mythologie grecque dans une comédie musicale pop queer joyeusement anachronique, portée par une jeune troupe aussi généreuse qu’enthousiaste. Au cœur du récit, Alcmène, redoutable guerrière et fille de Zeus, voit son bonheur menacé lorsque Hadès, irrité par son manque de piété, décide d’enlever son bien-aimé, le nymphe Leucée. Il ne lui laisse que deux jours pour braver les Enfers et le sauver… sous peine de lui effacer la mémoire, oubliant jusqu'à son amour pour Alcmène. Commence alors un voyage initiatique haletant et burlesque, où se croisent dieux capricieux, gardiennes énigmatiques, créatures farfelues et clins d’œil à notre époque.
Le spectacle, porté par une écriture vive et structurée, introduit dès l’ouverture les personnages et les enjeux, chantés par la Muse qui – à la manière du film Disney Hercules dont on soupçonne une forte inspiration – donne le ton dans un numéro d’ouverture rythmé. Le ton est donné : ce sera une aventure hors des sentiers battus, où les codes de Broadway rencontrent ceux du stand-up, du rock et des comédies musicales cultes. À travers une mise en scène qui se renouvèle au cours du spectacle, le spectateur découvre les multiples facettes de la dizaine de personnages qui gravitent autour d’Alcmène. Thomas Chailliou campe un Hadès très assuré, tout droit sorti de Drag Race, tandis que Joséphine Lefebvre insuffle à Alcmène une énergie profonde, mêlant intensité dramatique et autodérision.
Les comédiens se glissent tour à tour dans la peau (ou les plumes) de plusieurs personnages ; on salue l’engagement de l’ensemble de la troupe, qui se donne corps et âme malgré les contraintes et l’étroitesse de la scène. Les rôles que l’on dit parfois secondaires sont ici essentiels, et tous participent à la dynamique du spectacle, grâce à leur jeu marqué et aux traits caricaturaux (mais pas du tout ridicule) des personnages qu’ils incarnent. Peu de décors, mais notre imagination suffit (aidé par les interventions de la Muse qui permet de recentrer l’action quand cela est nécessaire). Les costumes sont nombreux, pailletés quand il le faut, ou parfois effrayant (mention spéciale pour Arachnée, très réussie). Quant aux chorégraphies, elles insufflent un vrai souffle épique, et s’inspirent par moment des mouvements classiques de Broadway, clin d’œil toujours plaisant pour les passionnés.
Certes, quelques détails trahissent encore une certaine jeunesse dans la production – quelques imprécisions de jeu, des éléments de costumes capricieux, ou une puissance vocale perfectible –, mais la sincérité, l’énergie et l’inventivité de la mise en scène emportent l’adhésion du public. L’humour est omniprésent, les ruptures du quatrième mur bien dosées, et les références contemporaines habilement glissées sans forcer le trait. Enfers et Contre Tous est un spectacle qui mérite d’être vu, soutenu, et surtout, que l’on espère voir grandir. Un projet prometteur, intelligent et drôle, porté par des artistes qui n’attendent qu’une scène plus grande pour faire briller pleinement leurs Enfers sur-mesure.
Un conseil : foncez. Hadès vous attend… et il a le sens du spectacle.
Par la compagnie Enblok ; avec Mané Abrahamyan, Thomas Chailliou, Sébastien Dameron, Joséphine Lefebvre, James Pierre, Killyan Schmitt
Du 13 au 26 juillet relâche les 15 et 22 juillet – 16h35. CHAPEAU ROUGE THEATRE
La tête ailleurs
Première apparition au Festival d’Avignon pour La tête Ailleurs, et déjà une salle comble à plusieurs reprises, comme ce fut le cas ce 14 juillet, preuve d’un bouche-à-oreille qui ne cesse d’enfler. Ce spectacle musical, sensible et d’une rare intensité, a déjà conquis le public. Sur scène, deux artistes suffisent à créer un monde entier. Youri Rebeko – véritable caméléon, nommé aux Trophées de la Comédie Musicale 2025 comme révélation masculine – impressionne par sa capacité à se glisser dans une galerie de personnages, masculins comme féminins, avec fluidité. À ses côtés, Camélia Acef mène le fil narratif avec finesse. Son interprétation tout en tension progressive, entre intériorité et éclats d’émotion, capte le public jusqu’au vertige du final.
Le duo, complice et magnétique, occupe l’espace avec une telle aisance qu’on croirait une troupe entière à l’œuvre. La mise en scène, sobre et millimétrée, se met au service du propos sans jamais en faire trop, épousant les méandres de l’esprit de Norah, dont on explore le subconscient comme un labyrinthe.
La partition musicale, éclectique et exigeante – entre tango, raï et variétés – accompagne parfaitement les textes, ciselés et percutants (le livret ayant lui aussi été nommé lors de la dernière édition des Trophées de la Comédie Musicale). On rit parfois, on est souvent bouleversé, et on ressort marqué. Rarement un spectacle musical aura sonné aussi juste dans toutes ses composantes : livret, direction musicale, interprétation.
Si vous avez manqué ce moment suspendu à Avignon, La tête Ailleurs sera à retrouver à Paris dès novembre. Ne passez pas à côté.
Compagnie Minds at Work ; avec Camélia Acef, Youri Rebeko
Du 5 au 24 juillet, relâche les 11 et 18 juillet – 14h55 – 11 AVIGNON
