Michael Kunze et Sylvester Levay, figures incontournables du musical germanique (Elisabeth, Mozart!), signent avec Rebecca – inspirée du roman de Daphné du Maurier – une œuvre glaçante qui trouve son chemin jusqu’à Bruxelles. Présentée pour la première fois en français dans le cadre du Festival Bruxellons!, cette superproduction frappe fort et confirme l’ambition de présenter des œuvres toujours plus saisissantes à un niveau professionnel.
Rebecca : Le thriller musical fait frissonner Bruxelles
Dès les premières minutes, le ton est donné. Si le prologue peut légèrement surprendre par sa rapidité, il permet d’installer avec efficacité les personnages et les enjeux. Très vite, le spectateur se trouve happé par une mécanique dramatique implacable : certitudes ébranlées, visages qui se transforment, confiance qui se fissure, jusqu’à l’angoisse dans un crescendo suffocant. Pendant près de 2h30, les tableaux s’enchaînent avec fluidité, malgré le décor fixe présent dès le début.

Loin d’être un obstacle, ce décor unique est d’une redoutable efficacité, car il regorge de détails et d’aspects qui nous permettent de nous promener au gré des besoins de la narration, d’un hôtel de Monaco jusqu’au manoir de Manderley, d’une plage embrumée à une salle d’audience. La mise en scène, ingénieuse et millimétrée, transforme chaque transition en un morceau de spectacle à part entière, et les nombreux accessoires menés et déplacés à vue, parfois en quelques secondes, permettent d’installer immédiatement le cadre de l’action. Ces éléments physiques créent des scènes où l’esprit du spectateur est guidé, on imagine aisément la chambre de Rebecca avec vue sur la mer, et l’ambiance oppressante est renforcée par les effets de fumée et les lumières froides, parfaitement pensées.
Tout participe à récréer parfaitement l’atmosphère toute à la fois thriller et drame intime. Brouillard, ombres mouvantes et fumée enveloppent les protagonistes comme autant d’esprits. On respire à peine, tant la tension monte jusqu’à l’explosion finale. La dernière scène, magnifiquement orchestrée, emporte le public après des révélations glaçantes, le tout renforcée par des effets pyrotechniques.



Une partition exigeante et un casting cinq étoiles
La musique joue ici un rôle central. Interprétée en direct, la partition exigeante de Sylvester Levay se distingue par son souffle opératique et ses couleurs orchestrales sombres, dominées par des cuivres oppressants. Elle respecte les codes de la comédie musicale — ouverture, numéros d’ensemble, chansons « I want » — tout en intégrant des formes plus rares dans le musical anglo-saxon : récitatifs, solos proches de l’air d’opéra, scènes où la musique supplante le texte pour exprimer ce que les mots ne sauraient dire. On y reconnaît la patte européenne, raffinée et dramatique, qui donne à Rebecca une identité forte. Bruxellons! respecte et honore ces codes, voulus par les créatifs et qui procurent au public une expérience rarement vécue.
Côté interprètes, le plateau est tout simplement irréprochable. Laura Tardino captive par son timbre clair et son intensité fragile dans le rôle de « Je ». Liesbeth Roose impressionne en Mrs Danvers, présence magnétique et voix puissante. Jeremy Petit fait preuve d’une élégance vocale indéniable, Marie-Aline Thomassin apporte fantaisie et légèreté, tandis que Nathan Desnyder (révélation masculine lors de la 7e cérémonie des Trophées de la Comédie Musicale) incarne un Jack Favell retors et cynique, loin des rôles défendus dans ses derniers spectacles. Chacun marque par son engagement, et l’ensemble fonctionne comme une véritable troupe soudée. On passe avec délice des duos tendus aux ensembles flamboyants, sans jamais sentir de baisse d’intensité, le tout entrecoupé de séquences romantiques qui viennent donner de la respiration dans l’atmosphère pesante.
Les costumes, nombreux et flatteurs à l’œil — mention spéciale à ceux du bal masqué — participent à la réussite visuelle. Les traductions de Stéphane Laporte se révèlent fluides, élégantes et fidèles à l’esprit du début du XXᵉ siècle. C’est une véritable chance pour le public francophone de pouvoir découvrir cette œuvre dans une langue connue, permettant d’appréhender toutes les subtilités du mystère et des révélations qui émaillent le spectacle.
Au final, Rebecca s’impose comme une réussite éclatante, un modèle de rigueur et de sensibilité. Le Festival Bruxellons! confirme son rôle moteur en matière de comédie musicale avec cette production ambitieuse, qui restera dans les mémoires. À découvrir sans hésiter jusqu’au 4 septembre prochain (pour réserver, c’est par ICI).
Et pour les amateurs, le festival ne s’arrête pas là : il propose aussi Goodbye Norma Jeane – la dernière nuit de Marylin Monroe, une fiction qui promet d’être un autre rendez-vous musical majeur de l’été bruxellois – du 24 août au 23 septembre 2025.
Crédit photos : © Grégory Navarra