Rencontre : Gilles Ganzmann (French West End), producteur de "The Full Monty" au Théâtre Comédia à partir du 5 avril 2013

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Rencontre : Gilles Ganzmann (French West End), producteur de "The Full Monty" au Théâtre Comédia à partir du 5 avril 2013

Nouveau venu dans le paysage de la comédie musicale à Paris, le producteur Gilles Ganzmann fait des infidélités à la télévision (il a notamment été directeur du développement chez Fremantle Media – Oui Chef ; Nouvelle Star – et a produit l’émission We Love Céline pour NRJ12) et s’apprête avec sa société French West End à lancer The Full Monty, son tout premier spectacle au Théâtre Comédia, à compter du 5 avril 2013.
Accompagné de Julien Baptist – directeur artistique à ses côtés – il a accepté de nous rencontrer pour tout nous expliquer de ce lancement ambitieux qui compte bien contribuer au rayonnement de la France dans le monde du musical.

Musical Avenue : Quel est le parcours qui vous a mené à produire votre première comédie musicale ?

Gilles Ganzmann : J’ai vu Les Misérables à Montréal en 1992. Cela a été un vrai choc de découvrir ce qu’avaient fait Alain Boublil, Claude-Michel Schönberg et Cameron Mackintosh, et pour la première fois je voyais du cinéma sur scène, quelque chose qui me faisait rêver. Ce que je trouvais incroyable c’est qu’on passait du bagne aux égouts en passant par tant d’autres lieux. Cela m’a fait rêver et je me suis dit "Un jour, je ferai ça". C’est parti de là.

Pourquoi vous êtes-vous décidé à le faire aujourd’hui ?

Quand je suis allé voir les gens qui financent de grosses comédies musicales, mon dossier n’avait ni logo, ni accroche : c’était une simple page blanche sur laquelle était écrit "The Perfect Time". Je pense qu’il y a des moments clés pour se lancer. À l’époque, il y avait [à Paris] deux producteurs qui ne faisaient pas de la comédie musicale haut de gamme et qui venaient de mettre la clef sous la porte. À part Stage Entertainement France et le Théâtre du Châtelet, il n’y a aujourd’hui personne d’autre sur le marché pour aller dans cette voie en se donnant les moyens comme à Londres et à Broadway.
1789 ou Robin des Bois sont de grosses productions qui trouvent leur public chez les adolescents et ceux qui ont aimé le disque, mais je ne m’adresse pas à cette cible. Pour moi c’est une autre forme de comédie musicale, mais Stage Entertainment a amené la comédie musicale originale à Paris. C’est dans leur prolongement que nous nous inscrivons.

À ce propos, quel est le positionnement de French West End ? Qu’est-ce qui va faire la particularité de votre société de production ?

Nous irons d’une part sur ce qui fait le succès à Londres. Ils ont 12 ou 14 pièces en simultané là où nous n’en avons qu’une : en avoir deux, ce n’est tout de même pas le bout du monde. Après, c’est une histoire de savoir-faire.
L’autre chose c’est de comprendre pourquoi les spectacles anglais et américains fonctionnent : 60% du chiffre d’affaires des comédies musicales à Londres est fait par les touristes. En France, nous n’avons aucun spectacle de ce type pour eux. Ils n’ont le choix qu’entre la Nouvelle Ève, le Moulin Rouge et le Lido. Nous allons nous adresser aux spectateurs étrangers et jouer en version originale trois représentations par semaine, les mardi, mercredi et vendredi, avec une troupe anglaise. Nous suivons le même schéma que les Anglais et les Américains : notre but n’est pas que les billets soient achetés à Paris mais que les touristes sachent qu’il y a quelque chose à aller voir à Paris au moment où ils préparent leur voyage. Quand on va à New York, on visite l’Empire State Building et on voit Wicked. Ici, je veux qu’on visite la Tour Eiffel et qu’on aille voir The Full Monty.

Au-delà de cette offre à destination des touristes, que faites-vous de différent par rapport à ce qu’on connaît du musical en France ?

Les règles dans le musical, ce sont des changements de décors à vue, des voix étonnantes ou anonymes qui nous font vibrer, un vrai orchestre, une vraie magie. Je vais essayer de suivre ces principes parce que je dois être à la hauteur pour les touristes anglais et américains qui ont de tels repères.
Nous allons également chouchouter le public dès son entrée dans le théâtre, avec des hommes bien bâtis qui vendront les programmes du spectacle. On réserve aussi une énorme surprise sur la devanture du théâtre, qui a même nécessité une autorisation de la préfecture.

Autre particularité, vous avez choisi de faire des auditions fermées.

Ce qui m’intéressait comme démarche dans mon travail de producteur, c’était d’aller chercher des talents et de ne pas attendre qu’ils viennent à moi. Nous avons donc fait ce qu’on appelle des workshops : on a passé dix heures avec des personnes à qui on a envoyé en moyenne quatre chansons et cinq textes du musical. Je suis très content de ce travail parce qu’on a respecté les gens, ils ont pu se tromper sur une chanson et être géniaux sur une autre, et nous faire douter. On a pris le temps de leur donner la chance et les moyens d’être des comédiens, et non des gens qui passent à la boucherie pendant une minute. On n’a pas vu beaucoup de gens, c’est le seul souci de ce système-là.

On retrouve également dans la distribution deux personnalités qui sont un peu plus médiatiques : Julie, la révélation de la Nouvelle Star, et Lina Lamara qui avait participé à The Voice l’année dernière.

Julie ça a été un vrai coup de cœur en la voyant. Dès le premier prime-time de la Nouvelle Star, Julien m’a appelé pour attirer mon attention sur elle. Lorsqu’elle a été éliminée, nous avions un rôle féminin disponible. Fremantle [NDLR : la société de production de l’émission] c’est mon ancienne maison, j’ai donc appelé Marie Genest [directrice des divertissements et des magazines] le soir de l’élimination de Julie. Ça a aidé ! Julie m’a rappelé très peu de temps après. Elle a reçu plusieurs propositions, mais c’est The Full Monty qu’elle a choisi de rejoindre. Ça s’est passé très vite.
Avec Lina, ça s’est fait en un coup de téléphone grâce à Grégory Amsis, qui fait partie de la troupe de The Full Monty et qui avait travaillé avec elle dans Kid Manoir. C’est lui qui m’a dit d’aller la voir.
Julien Baptist :
Comme les autres comédiens, elle a passé une audition et elle a bluffé tout le monde.
Gilles Ganzmann : Le défi c’est que son rôle ne chante presque pas, c’est l’actrice que nous sommes allés chercher.

Pourquoi avoir choisi The Full Monty ?

Ce qui m’intéresse tout d’abord, c’est que cette comédie musicale c’est exactement ce que vivent les gens actuellement. Aujourd’hui, il vaut mieux avoir un beau corps que d’être un ouvrier qualifié. Avoir passé 15 ans ou 30 ans sur chaîne, connaître parfaitement sa machine et ce qu’on construit, ça n’a plus aucune valeur. La valeur, ce sont des gens qui font de la télé-réalité et qui peuvent gagner dix fois plus qu’un ouvrier. Il vaut mieux faire un calendrier nu pour avoir la notoriété que d’avoir un CAP et travailler.
The Full Monty s’adresse à tous les Good Year, les Lejabi, les PSA, les ArcelorMittal, et raconte la désindustrialisation d’un pays. C’est la vie d’hommes qui sont sur le carreau et se disent "Pourquoi pas nous ?" quand ils voient à côté des mecs un peu sexys qui gagnent dix fois plus qu’eux.
La pièce n’est pas uniquement une satire sociale, elle propose également des moments d’émotions très fortes : il y a des passages très drôles mais aussi de vrais drames. Les femmes sont aussi très présentes dans la pièce. D’ailleurs, on peut aller voir le spectacle entres copines et revenir le voir avec son copain : on le verra différemment.

Ensuite, The Full Monty est une marque connue des Américains et des Français. C’était très important pour moi d’avoir une marque internationale. Tout le monde a vu ces ouvriers qui faisaient du strip-tease, tout le monde en connaît l’histoire. Enfin, rappelons que le film est l’un des plus petits budgets du cinéma anglais, et il a rapporté six fois la mise. C’est assez magique.

Prisca Desmarez ne mettra finalement pas en scène le spectacle. Qui la remplace ?

Certaines rencontres se font, d’autres pas, c’est comme dans la vie : on fait la connaissance de quelqu’un et au bout d’une semaine on se rend compte que les affinités ne se font pas. La rencontre artistique ne s’est pas faite par rapport au projet.

Julien Baptist : Au moment où vous êtes venus faire votre reportage, nous faisions nos castings. Nous étions dans un processus où l’on apprenait à la fois à travailler ensemble et on découvrait ceux avec qui on avait envie de travailler. On était tous en casting les uns des autres globalement. L’envie était là mais ça n’a pas marché.
C’est donc la metteuse en scène Anne Bouvier qui coache aujourd’hui les comédiens. Avec elle, ça a été beaucoup plus évident, il y a une connexion qui s’est faite instinctivement, sans le moindre effort.
Anne vient du théâtre, pas du musical, et elle a grandi dans une famille d’acteurs. Elle est coach pour le cinéma et travaille avec de nombreux artistes comme Nicolas Duvauchelle qu’elle prépare à un rôle pour un film.
Elle est aussi metteur en scène, adaptatrice, elle écrit : c’est quelqu’un de polyvalent, qui a une vision globale de cette école du cinéma et de la théâtralité. C’est quelque chose qui nous intéressait car en général ce qu’on reproche aux comédies musicales en France c’est que ça chante toujours très très bien, mais ça ne joue pas toujours très juste. On avait besoin d’avoir quelqu’un qui sache diriger les acteurs et Anne c’est sa spécialité.

Gilles Ganzmann : Nous allons appliquer la mise en scène et la mise en place qui ont été créées à Broadway et à Londres. En revanche, de la même façon que nous avons amené Fauve Hautot pour développer les chorégraphies du spectacles, nous voulions qu’il y ait un vrai coaching des acteurs. Ce qui m’intéressait, c’était d’avoir une femme qui déshabille ces hommes, qui les désire et sache comment elle pourrait se mettre à la place du public féminin. Nous sommes vraiment complices avec Anne. Ce qui est intéressant chez elle c’est qu’elle a une formation de danseuse et sa mise en espace est très chorégraphiée. Et ensuite c’est Fauve qui prend le relais.

Quel travail Fauve Hautot réalise-t-elle sur le spectacle ?

À l’origine, il n’y a pas beaucoup de chorégraphies dans The Full Monty, mais il y en a deux qui sont très importantes : une partie de basket-ball et le strip-tease final. Fauve m’a dit tout de suite oui parce qu’elle est touchée par cette histoire et ça l’amuse d’avoir six hommes à déshabiller et à chorégraphier.
La comédie musicale The Full Monty ne repose pas sur des chorégraphies compliquées comme peuvent l’être celles de A Chorus Line, mais Fauve a quand même l’ambition de créer des numéros qui vont faire rêver le public.

Pourquoi l’adaptation française a-t-elle deux auteurs ?

Pour l’adaptation, je voulais absolument des gens qui aient un regard neuf sur le théâtre musical et qui le connaissent.
Il y a dix ans, j’ai vu The Full Monty en Angleterre avec Baptiste Charden, qui a un vrai sens de l’écriture et un vrai amour de la comédie musicale, et qui travaillait avec moi à l’époque. Quand je suis revenu, je lui ai dit que j’adorerais faire ça, et un soir, entre potes, avec Nathaniel Brendel, on a regardé le livret et les chansons. Ce soir-là, trois chansons ont été écrites, deux par Nathaniel, une par Baptiste Charden. Ils se sont ensuite donné rendez-vous et dix jours après, toutes les chansons avaient été adaptées. L’émulation entre les deux auteurs a forcément tiré l’adaptation vers le haut.
Nathaniel, actuellement directeur des Emmy Awards International, écrivait avant tout des chansons (il a écrit entre autres "Dans les yeux d’un autre" pour Julie Zenatti). C’est quelqu’un qui ne veut pas en faire son métier et souhaite que la chanson et l’écriture restent un plaisir. Il y a un an, quand je l’ai appelé pour lui demander si ça l’intéressait d’écrire aussi le livret de The Full Monty, il a accepté, mais je lui ai imposé de le faire rapidement. Il m’a répondu qu’il avait la même semaine deux déplacements à faire, un New York–New Delhi et un New York–Tokyo, et qu’il pensait que durant ces deux vols il pourrait le faire. Au premier atterrissage, il avait fini ! Le trajet vers le Japon a servi à relire le livret et les chansons.

Quelles sont vos ambitions à moyen et à long terme ?

Je me suis fixé deux objectifs : d’abord, être profitable à Paris. Il faut arrêter de considérer qu’on fera de l’argent avec la tournée en province. Je veux aussi me prouver que le musical, tel qu’il est fait à Londres, à Broadway ou par Stage Entertainment, peut exister économiq
uement en France.
J’espère que notre stratégie à destination des touristes sera aussi un facteur de succès.
Je sais qu’il m’arrive d’être critique dans mes propos à l’égard des productions bas de gamme, mais selon moi, lorsqu’on trahit son public et ceux qui ont payé dans cette période de crise, on ne fait pas son travail de producteur de spectacles.
C’est aussi pour ça que j’ai choisi le Théâtre Comédia : c’est l’un des rares à être équipé en cintres [NDLR : espace au-dessus de la scène où l’on remonte les décors], en lumières, qui permet des changements de décors, avec un ascenseur sous la scène. J’ai un théâtre qui me suit à 100% et qui n’a qu’une envie, c’est de réussir : quand j’ai rencontré Fabien De Beurmann [directeur du Comédia] pour The Full Monty, il m’a dit que c’était le spectacle qu’il attendait pour ce théâtre.
Voulez-vous connaître mon plus grand défi ? C’est qu’en règle général, quand on sort d’un spectacle en France, on va au restaurant avec ses amis et on se raconte tout ce qu’on n’a pas aimé. Or, quand on va voir un spectacle à Broadway ou à Londres, on se raconte tout ce qu’on a aimé en sortant. Je veux que les spectateurs sortent de The Full Monty en se racontant tout ce qu’ils ont aimé parce qu’on aura été parfait sur tellement de points que le reste ne s’est pas vu. Ça c’est le vrai défi.

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