Adapter une œuvre aussi monumentale que Sweeney Todd de Stephen Sondheim n’est jamais une entreprise anodine. Partition complexe, livret exigeant et ambiance macabre à souhait, le musical culte demande autant de rigueur que d’inventivité. Pour leurs travaux de fin d’études, les élèves du Cours Florent ont choisi de se mesurer à ce monstre sacré du théâtre musical, et l’on ne peut que saluer leur audace.
du travail et beaucoup de volonté
Le spectacle s’ouvre dans une atmosphère dense, où les premiers instants laissent percevoir quelques hésitations : un son parfois capricieux, une justesse encore fragile. Mais très vite, le groupe trouve son rythme, l’énergie collective prend le dessus et les personnages prennent vie avec conviction. On sent la passion et le travail investis dans ce projet.
Le duo principal – Sweeney Todd et Madame Lovett – constitue indéniablement le cœur battant de la représentation. Leur complicité et leur justesse de jeu insufflent à l’ensemble une dynamique dramatique sincère. Jacques Gignoux campe un Sweeney torturé, habité par la vengeance et la douleur, tout en conservant une part d’humanité qui rend son personnage touchant. Au fil des scènes, il gagne en intensité, jusqu’à atteindre une folie meurtrière, parfaitement en phase avec la noirceur de la partition de Sondheim.



Face à lui, Juliette Ferrier brille dans le rôle de Madame Lovett. Dès son entrée en scène, elle impose sa présence : démarche affirmée, regard acéré, sourire en coin et ironie mordante. Elle incarne cette commerçante opportuniste avec un mélange savoureux de cynisme et de détachement, jouant avec le public, flirtant avec intérêt pour le macabre et la manipulation. Sa gestuelle et son jeu donnent vie au personnage qui fait frissonner la salle par moment.
Si le reste du cast semble parfois un peu plus en retrait, c’est sans doute en raison du format resserré — environ une heure et quart — qui condense une intrigue dense et riche en ramifications. Le spectacle est présenté en français, les élèves du Cours Florent ayant encore une fois assuré l’adaptation. La cohérence du livret est parfois difficile à maintenir, certains personnages sont présentés de manière fugace, ne laissant pas toujours le temps au spectateur de saisir rapidement les interactions entre les protagonistes. Le rythme s’accélère ensuite et le final, haletant, ne déçoit pas. On ressort avec le sentiment d’avoir assisté à une véritable appropriation du mythe, portée par une énergie collective sincère et communicative.
Une mise en scène pensée au service de l’atmosphère
La mise en scène témoigne d’une réflexion soignée, d’autant plus remarquable que les moyens matériels sont limités. Les étudiants ont su exploiter la noirceur du sol et des murs de la salle Ophlus du Cours Florent pour installer dès notre entrée cette atmosphère si particulière, transformant les contraintes en atouts. Les quelques objets servant de décors, simples mais astucieux, se déploient à vue et se recomposent au fil des scènes, permettant de suggérer les multiples lieux de l’intrigue. La boutique de Madame Lovett et le cabinet du barbier, surélevé sur plateforme, sont immédiatement identifiables.




Les lumières participent habilement à la création de cette atmosphère sombre et gothique propre à Sweeney Todd. Malgré la modestie du dispositif, le travail sur les teintes et les contrastes est globalement réussi : les éclairages rouges du final, notamment, rappellent le sang et la folie – accompagnés par l’ouverture de rideaux dévoilant l’horreur qui s’est jouée dans ce lieu – tandis que des effets stroboscopiques accompagnent les exécutions. On aurait pu souhaiter que cette dimension macabre soit poussée un peu plus loin.
Une belle promesse d’avenir
Sur le plan musical, les efforts sont palpables. Sondheim n’est pas tendre avec les interprètes. La cohésion vocale du groupe est honorable. Même lorsque la technique vacille, la sincérité de l’interprétation compense largement. Le public perçoit la volonté de bien faire, de défendre cette œuvre monumentale avec respect et enthousiasme. Le collectif met la main à la pâte, au sens propre comme au figuré. Les ensembles s’impliquent non seulement dans le chant, mais aussi dans la manipulation des décors, les changements de costumes et assurent la polyvalence des personnages lorsque cela est nécessaire.
Malgré les contraintes techniques d’une salle intimiste et les moyens limités, le groupe livre un spectacle sincère et souvent inspiré. Ce Sweeney Todd version Cours Florent n’a certes pas la démesure d’une production professionnelle, mais il possède l’âme. Les élèves signent un travail courageux, révélant déjà de solides bases d’interprétation et une belle conscience de groupe. Oser Sondheim pour conclure un cycle de formation est un pari risqué ; ils l’ont relevé avec engagement.



Crédit photos : Musical Avenue