Critique : « Miss Saigon » à The Alexandra, Birmingham

Temps de lecture approx. 6 min.

Direction le froid de l’Angleterre pour Vibrer dans la chaleur de Saigon !
Sur l’impulsion de l’incontournable producteur Cameron Mackintosh, une nouvelle création de Miss Saigon tourne en ce moment au Royaume-Uni. Son idée, depuis 2017 : créer un spectacle qui ne soit plus une simple réplique de l’original de 1989, et prouver qu’il fonctionne et séduit, même sans la somptuosité romanesque de la première mise en scène. C’est donc dans une version un peu actualisée mise en scène par Jean-Pierre van der Spuy et co-produite par Michael Harrison que Musical Avenue a (re)découvert ce grand classique de la comédie musicale.

L’avis de Marie:

Quelle belle soirée, au Alexandra de Birmingham, quelle belle surprise !! Grande amoureuse de l’intégral original de Miss Saigon (1989) dont je me suis rebattu les oreilles dans ma prime jeunesse, j’avais eu la chance de voir la production londonienne il y a 10 ans. Une production qui m’avait, peut-être à force d’attente, un peu déçue : les changements de partition m’avaient désarçonnée, et l’interprétation ne m’avait pas particulièrement marquée. Cette fois-ci, en revanche, le souvenir restera, c’est sûr !

La mise en scène, plus réaliste mais non moins belle, met en valeur l’urgence de sentiments transcendés par leurs interprètes. Leur justesse est épatante. Mention spéciale à Julianne Pundan, une Kim absolument stupéfiante qui ne porte de colère que pour son passé, même lors de la rencontre avec Ellen ; son jeu, tout en fragilité, ne fait qu’ajouter à l’injustice du drame qui la frappe. Face à elle, Emily Langham est une Ellen bouleversante, notamment lors de sa chanson « Maybe » qui remplace avec délicatesse et brio « Now that I’ve seen her » / « It’s Her of Me». L’accent est mis ici sur la compassion bien plus que dans les productions précédentes, qui tendaient à opposer les personnages de manière plus brutale. On regrette cependant toujours un peu quelques modifications de partition lorsque certains moments clés ne sont plus que parlés (notamment le début de « Room 317 ») ; et le remplacement du solo final de Kim « The Sacred Bird » – toujours beau cependant -, devenu « Little God of my Heart » depuis 1994. J’avais un vague espoir qu’il resurgirait car l’affiche du spectacle met en avant le phœnix mentionné dans la chanson originale, à la place de l’hélicoptère du flashback… Un manque vite oublié face à l’intensité du final.

(Petite réflexion puisque j’évoque l’affiche 2025 : on peut s’interroger sur l’étonnante mise en avant d’un Engineer (Seann Miley Moore) qui aurait pu être excellent s’il n’était d’une vulgarité constante. Sa silhouette apparait en effet sur le poster de manière assez illogique – son personnage n’est pas aussi bien intentionné que le suggère la composition -, si ce n’est que Seann Miley Moore semble être une caution production grâce à sa célébrité dans le monde anglophone : iel a ainsi droit aux éloges un brin exagérés à mon sens de l’équipe dans le programme, et a l’honneur d’arriver le.a dernier.e sur scène lors des saluts…)

Je referme ma parenthèse, revenons au théâtre. Une belle trouvaille, dans cette mise en scène : le climax lors de la séparation de Kim et Chris, qui se fait sans grand étalage d’effets. Point d’immense grille démarquant l’ambassade américaine comme en 2015, cette fois juste un carré central, la foule des Vietnamiens désespérés de fuir à l’extérieur, les GI à l’intérieur, et une chorégraphie qui échange les places et les points de vue en les faisant circuler d’un côté à l’autre de la délimitation. Grâce à ce stratagème, la supplication de Kim, habituellement dirigée vers le fond de scène, se fait alors face au public ; la puissance dramatique n’en est que multipliée. C’est, me semble-t-il, la spécificité de cette production : le spectaculaire laisse place à l’humanité et la compassion. Il suffit de voir le traitement des compagnes d’infortune de Kim, pleines de bienveillance, dont on devine sans peine la douceur et la douleur des rêves évanouis lors d’un très beau « Movie In my Mind » dont la finesse de l’interprétation rattrape une réécriture justifiée mais moins poétique. En supprimant les clichés artificiels d’exotisme romantisé, cette nouvelle production de Miss Saigon ne met soudain plus à distance les personnages ; comment ne pas vibrer alors face à leurs efforts désespérés pour s’en sortir et trouver une once de bonheur dans un monde qui s’effondre ? La partition, toujours superbe, et la perfection vocale des interprètes en font un spectacle exceptionnel – plus exceptionnel encore qu’il est rarement présenté -. À (re)voir, donc, sans hésiter, si l’on en a l’occasion !

L’avis d’Eve-Marie:

Il y a de ces spectacles pour lesquels ça vaut la peine de faire un peu de route. Laissant le West End de côté le temps d’une soirée, j’ai répondu sans hésitation au rendez-vous donné par la production de Miss Saigon à Birmingham, qui m’a littéralement laissé sans voix. 

Comme Marie – en moins experte -, j’affectionne particulièrement cette œuvre dans ce qu’elle raconte de l’humanité qui a fait l’histoire. Et c’est justement pour cette raison que cette version s’inscrit dans une perfection quasi absolue, si cela est possible au théâtre : la justesse des intentions et la quête de vérité guident le récit au travers d’une scénographie qui entend instruire la réalité des événements.  Une réalité dans toutes les dimensions du spectacle : les décors – riches et en mouvement – nous plongent dans un Saïgon sordide et pas du tout idéalisé; la direction d’acteurs tend vers un jeu fort et physique favorisant une immersion sans concession; les variations de l’éclairage à la fois chaud du Dreamland et poétique lors du mariage de Kim et Chris…Réalité oblige, nous sommes happés et convaincus par cette histoire d’amour débordant de sincérité et de dramaturgie. 

En parlant de dramaturgie, comment rester insensible devant l’interprétation de “This Is the Hour” faîte par Julianne Pundan qui habite la protection d’une mère face à la menace faite à son jeune fils de façon remarquable. Si la comédie musicale devait se représenter via un seul de ses morceaux, le final de l’Acte 1 résume à lui seul tout l’enjeu de l’histoire – le sacrifice par amour -, combiné à des prouesses techniques comme Claude-Michel Schönberg et Alain Boublil aiment les imaginer. 

Aussi, l’ensemble de la distribution est convaincante et chacun dans son rôle, participe à dimensionner le spectacle comme il le mérite. La seule déception aura été la représentation et l’interprétation faite de l’Engineer qui, malgré ses formidables vocalises (dans cette version, il chante enfin !), déploie une vulgarité dont on se serait bien passé ; le proxénétisme et le trafic sexuel omniprésent faisant déjà l’essentiel du travail.  

Un dernier point marquant dans ce voyage aura été de le partager dans un environnement moins façonné et peut être moins élitiste que le West End. J’ai ressenti chez le public de Birmingham une simplicité dans les retrouvailles avec le spectacle et le plaisir – pour ma part –  de découvrir sur scène un grand classique de la comédie musicale qui peut encore et toujours rivaliser face aux propositions actuelles.

Convaincus? , on vous invite à lire le focus album de Nicolas ;  Miss Saigon: The Definitive Live Recording, capturé lors de la célébration du 25ème anniversaire du spectacle à Londres pour revivre le spectacle.

Miss Saigon
Image de Marie Laugaa

Marie Laugaa

Tombée dans la comédie musicale en même temps que le cinéma, avec mes premiers films -Le Magicien d’Oz, Les Demoiselles de Rochefort, et Disney, évidemment-, la révélation se fait lorsqu’à 12 ans je découvre la version scénique du Passe-Muraille mise en musique par Michel Legrand. Puis Notre-Dame de Paris finit de me rendre addict… Quelques années plus tard, c’est Londres, Le Roi Lion, et ses théâtres à perte de vue : un coup de foudre instantané ! Côté français, le Vingtième Théâtre devient mon QG, les événements Diva ma fête nationale, mais le genre reste encore assez confidentiel… Depuis, bonheur !, on ne compte plus les productions, la comédie musicale ayant enfin commencé à débarquer en fanfare si méritée. Allez, on se fait plaisir et on en discute ?
Partager l'article :

NOS PODCASTS

Retrouvez tous nos épisodes de "Musical Avenue, le Podcast" ! Infos, anecdotes, rires ou coups de gueule sont au rendez-vous de ce nouveau format lancé en mai 2022

Dossiers "une saison de musicals 2025-2026"

Que voir en France, à Broadway, dans le West End ou ailleurs dans le monde ? Retrouvez notre sélection de la saison !

Partenaire officiel des Trophées de la Comédie Musicale

Retrouvez tous les informations sur la prochaine cérémonie des Trophées de la Comédie Musicale

Un peu de lecture ?

Articles de la même catégorie