Rencontre avec Julien Baptist : Le bilan de « The Full Monty », un an après…

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Cela fait maintenant plus d’un an que le spectacle The Full Monty a donné sa dernière représentation au Théâtre Comédia à Paris. Musical Avenue avait rencontré Gilles Ganzmann, son producteur, avant la première du spectacle lors d’une interview. The Full Monty était annoncé comme une révolution qui allait bouleverser à la fois l’industrie et la communauté du spectacle musical en France. Le spectacle dût finalement tirer le rideau au bout d’un mois de représentations. Julien Baptist, le directeur artistique du spectacle, revient sur cette aventure et nous explique sa théorie sur les causes éventuelles de l’échec de ce dernier et tente de remettre les choses à plat sur ce qui a été dit ou non dit. Portrait d’une production musicale qui s’avéra titanesque : majestueuse mais pas insubmersible. 

 

Musical Avenue : On parle encore de la controverse The Full Monty dans la communauté du spectacle musical…

Julien Baptist : Oui on m’en parle encore dans le milieu professionnel, notamment au sein des communautés de chanteurs, de comédiens ou autres artistes qui travaillent sur les spectacles musicaux et qui ont été sensibles au discours qui avait été tenu à l’époque de la création du spectacle. Beaucoup de personnes ont été impliquées dans cette aventure car elles ont été auditionnées. Ceux qui ont joués dans le spectacle connaissent l’histoire mais ceux qui ont dû finalement observer de l’extérieur ne la connaissent pas. Il y a une sorte d’impression de "pas fini", de "pas très clair" sur la façon dont s’est créé The Full Monty et sur la façon dont il s’est éteint.

Musical Avenue : Cette impression était perceptible dès le départ de l’aventure?

J.B : On avait une production ambitieuse qui tenait un discours presque vindicatif. Il y avait pas mal de commentaires quant aux productions précédentes, tant sur le contenu artistique que sur la gestion de la production. Le discours très ambitieux de notre producteur était du genre : "finies les productions lowcost sans décor, sans costume, où les gens sont payés au lance pierre, voire pas du tout pendant les répétitions, etc…". Ce discours-là était plutôt séduisant, même si parfois un peu rude. Disons qu’il s’était positionné dans une optique de remonter le niveau, sans forcément atteindre celui de Stage Entertainment, mais en se servant de ce dernier comme un maître étalon. Bien évidemment, nous n’avions pas la solidité logistique de Stage Entertainment mais l’idée était de rejoindre ça.
Il est vrai que ces dernières années sur scène, notamment entre 2009 et 2012, les spectacles n’étaient pas forcément de grande qualité. On a vu se monter des "licences Broadway", vu aux US ou à Londres. On nous les annonçait "formule Broadway", la fameuse formule que l’on glisse sous le titre, et finalement ça ressemblait plus au spectacle de la MJC du coin. C’est un avis qu’on a tous eu, même si on est tous d’accord pour dire que les artistes sur scène sont tous de qualité. Ce n’était pas tant le talent le problème, c’était plutôt la façon dont on exploitait ce talent. Et encore une fois le manque de financement, la façon dont on vend le spectacle, les répétitions toujours à la va-vite, etc… Certains spectacles étaient montés en deux semaines de répétitions, c’est impensable! On s’est retrouvé avec des artistes frustrés qui avaient envie d’être sur scène. Ils étaient partagés entre la conscience que tout ce système était bancal, voire illégal sur divers aspects et l’envie dévorante de montrer ce qu’ils savaient faire, de bosser.

Notre producteur avait tendance à les pointer du doigt: il fallait, selon lui, refuser de passer des castings pour ces spectacles car c’était alimenter un process qui n’était pas bon pour le spectacle musical. Son discours était à la fois très juste par rapport à ce qui se créait, et en même temps, très opportuniste. Il y eut des commentaires comme "Qui c’est celui-là qui va révolutionner le genre ?" Ou encore "Il est bien gentil mais pour l’instant il n’a pas fait grand-chose donc on va voir ce qu’il va faire". Du coup, il a embarqué des comédiens, des équipes artistiques dans cette histoire qui se sont retrouvés, non pas complices, mais impliqués par ce discours. Nous avions l’obligation de faire quelque chose de bien car on nous attendait au tournant. Malgré cette énorme pression, au niveau de mon positionnement en tant que directeur artistique du spectacle, bien évidemment, ça me parlait. On se dit que c’est bien, il y a quelqu’un qui est ambitieux et qui nous dit : "Je vais mettre les moyens, je vais m’associer avec plein de partenaires, on va avoir de l’argent, on va avoir de la communication, une vraie production, on va avoir la télé, etc…", donc on y va franco.

 

 

Musical Avenue : Quand est-ce que les choses ont commencé à se compliquer ?

J.B : Il y a eu des moments très compliqués et mal gérés en terme de communication, que ce soit en interne ou vis-à-vis de l’extérieur. Par exemple, le changement de metteur en scène : au mois d’août, on annonce Prisca Demarez comme metteur en scène. Quatre mois plus tard, lorsque la production démarrait, elle avait disparue. C’était devenu tendu entre la production et elle. Je pense qu’il y a eu une maldonne dans la façon avec laquelle la production s’est séparée de Prisca. Ce n’était plus clair pour personne. Pourquoi Prisca n’était plus metteur en scène ? Quel était vraiment son rôle de metteur en scène ? Dans Musical Avenue, on avait carrément un encart sur elle. Ce fut d’ailleurs le premier article sur le spectacle. Et du jour au lendemain, elle disparaissait sans explication. Déjà c’était un signe alertant à l’extérieur et pour nous aussi en interne. On a commencé à se demander quel était le problème.
Encore une fois, je ne veux pas rentrer dans une délation, mais la production avait une fâcheuse tendance à "diviser pour mieux régner". Ce qui m’a mis dans une situation de porte-à-faux vis-à-vis de Prisca. J’ai pris quand même le parti de la production. C’est la chose que je me reproche le plus, en faisant le bilan de The Full Monty aujourd’hui. Humainement et artistiquement, j’aurais dû en parler avec elle, sauf que cette conversation, on ne l’a jamais eu parce qu’une fois que tu es parti dans le truc, il faut prendre des décisions, il faut avancer. Et puis, je ne suis pas le producteur. Si le producteur décide que finalement, ce n’est pas elle qui sera metteur en scène car cela ne correspond pas à ses attentes à lui, je n’ai pas à interférer.

Musical Avenue : A quels autres problèmes avez-vous dû faire face au cours de la production ?

J.B : Nous n’avons pas eu assez de moyens pendant les semaines de répétition. On nous a coupé nos budgets. C’était très complexe de monter un spectacle dans ces conditions. Encore une fois parce qu’il y a eu beaucoup de promesses, beaucoup de choses dites officiellement par voie de presse et finalement derrière, on n’avait pas l’argent, pas les partenaires, pas les décors qu’on voulait ou dans les temps, pas le temps de répétition nécessaire… Je te passe les détails de la troupe anglaise, auditionnée à Londres qui a été tout bonnement annulée deux jours avant son arrivée à Paris. Une fois qu’on s’est rendu compte que les promesses étaient vaines, on avait deux solutions : soit tout le monde arrêtait et on se barrait tous en courant, soit on s’accrochait, on se disait qu’on n’avait pas travaillé pendant des mois sur ce spectacle pour ne pas qu’il existe au final. On a pris sur nous, serré la ceinture et a monté ce spectacle pour nous parce qu’on avait envie que ça existe.

C’est en ça que ce spectacle est malgré tout une réussite car avec tous les problèmes qu’on a eu, on a tout de même réussi à monter un musical qui tenait la route. Encore une fois, j’insiste, pas la première semaine. On n’avait jamais fait de filage!

Le soir de la première, on a fait notre premier filage en public avec David Yazbek, le compositeur du spectacle original dans la salle. Je ne te dis pas comme on était stressé derrière! Évidemment "pas de budget" signifie : pas les équipes suffisantes. Résultat : personne pour toper le show. Tout ceux qui ont bossé sur une comédie musicale savent à quel point le toppeur est important. La seule personne qui connaissait le spectacle de bout en bout, c’était moi. Je me suis retrouvé avec le casque sur les oreilles à travailler avec des équipes techniques avec qui je n’avais jamais travaillé, avec des régisseurs plateaux avec qui je n’avais jamais travaillé, à devoir lancer les comédiens qui étaient mort de trac… C’était un cauchemar, mais on l’a fait. A la fin notre plus grande récompense, c’est David Yazbek, qui est venu nous voir pour nous dire que c’était l’une des meilleures troupes qu’il avait vue ces dernières années.

 

 

Musical Avenue : En effet, quelle belle récompense… 

J.B : C’était plutôt rassurant, mais c’était un cadeau empoisonné en même temps. Car le producteur s’est dit : "Si ça marche comme ça, pourquoi pas ?". Sauf qu’au fur et à mesure de l’exploitation, il faut sans cesse réinjecter de l’argent, ne serait-ce qu’en communication. Un spectacle ne se tient pas juste sur un bouche à oreille sur les premières semaines. Les deux premières semaines ont été compliquées, ça remplissait difficilement. Mais les deux dernières, car ça a duré un mois, on était plein tous les soirs. Sauf qu’il était trop tard pour renflouer les caisses, pour relancer la machine… Résultat, complètement oppressé par les dettes, par les factures impayées, par une troupe malmenée, par un théâtre qui était très inquiet, car lui aussi s’est vu promettre plein de choses sans rien voir venir, le spectacle a fermé. Le théâtre a mis la pression sur la production pour que l’affaire s’arrête le plus vite possible.
Voilà pourquoi The Full Monty s’est arrêté. Pas parce que c’était un mauvais spectacle, mais parce que sur beaucoup de promesses qui étaient ambitieuses et optimistes, on s’est retrouvé dans le même carcan que les précédentes productions "made in Broadway" et on s’est fait avoir de la même manière. C’est important d’insister sur ce point-là, l’idée n’est pas d’accuser, c’est d’expliquer qu’à la base, c’était parti d’une bonne intention et finalement, le modèle n’était pas si fiable.

Musical Avenue : Gilles Ganzmann était producteur de télévision à la base, l’erreur a-t-elle été de croire que l’on peut produire un spectacle musical comme on peut produire un concept télévisé?

J.B : Je crois que c’était peut-être son défaut en effet. Sur plein de choses, il avait raison. Il avait une méthodologie, une méthode de travail de télévision qui peut s’appliquer sur un spectacle et je fus le premier à défendre ça car je bosse également en télévision. En revanche, il y a plein de choses qui ne se font pas comme en télévision, ne serait-ce que le langage. Les gens ne se parlent pas de la même manière dans le spectacle qu’à la télévision, c’est beaucoup plus dur à la télévison en terme de communication en interne. Ça a aussi compliqué les relations entre la production et les artistes mais encore une fois on a réussi à consolider et à créer quelque chose de très très fort. Je pense que la troupe a été très très unie et nous a beaucoup soutenu, nous l’équipe artistique, comme on les a également beaucoup soutenu aussi.

Nous avons fait de belles rencontres sur ce spectacle, notamment l’équipe des techniciens, et l’équipe du plateau du Comédia. Ce sont des gens qui se sont investis, engagés. Ça a été un bonheur de travailler avec eux, parce que tout le monde y croyait. J’ai souvent répété au producteur : "La chance que tu as eu, c’est que tout le monde y a cru à ton spectacle. Tu aurais rencontré des personnes différentes, on n’y serait peut-être jamais arrivé".

 

 

Musical Avenue : La production French West End Production n’existe plus aujourd’hui. Elle a déposé le bilan. Que retient-on de cette histoire ?

 

J.B : Qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours… En fait, l’image globale de The Full Monty au moment de sa création était "Ils sont en train de nous apprendre comment on fait un spectacle". Je peux vous assurer que de toute l’équipe artistique, de tous les comédiens, il n’y en a jamais un qui s’est présenté en disant : "Vous allez voir, moi je sais comment on fait". On sait juste faire notre métier et on a essayé de le faire au mieux. Le problème, c’est qu’on a tous hérité de ce label. On a été épinglé dès le départ. On nous attendait au tournant et on ne nous a pas raté.

Pour être très honnête, il manquait une semaine de travail ,voilà.

Mais j’insiste, j’en suis persuadé, on avait vraiment un excellent spectacle et une très bonne troupe. Les gens qui ont vu le spectacle au début et à la fin, ont remarqué des améliorations, en terme de rythme, en terme de qualité, en terme de fluidité. On n’a pas eu les moyens de retravailler de façon à ce que les choses évoluent naturellement, mais  les derniers décors ont pu être livrés. On a répété sur le temps libre des comédiens, retravaillé des quelques scènes… On n’avait pas non plus un grand média derrière pour maintenir le focus sur le spectacle. Contrairement à, par exemple Robin des Bois, on n’avait pas Matt Pokora sur scène. On avait Fauve Hautot.

Fauve a fait un excellent travail mais elle ne faisait pas partie de la distribution. Ça aussi, c’est encore une erreur de communication : Fauve était la chorégraphe et elle était un vecteur de média, c’est sûr, mais tout miser là-dessus en terme de communication, alors qu’elle n’est pas sur scène, c’était une erreur.  Elle était pourtant la première à mettre en avant les "cocos" qui se donnaient sur scène. Je reconnais que je ne l’ai pas vu venir non plus. Mais je ne suis pas attaché de presse et ce n’est pas ça qui a fait fermer le spectacle.

Je trouve cela dommage qu’on puisse résumer cette histoire à un échec. Tout le monde a appris de cette histoire. Comme dans tous les spectacles, quand il y a une bonne volonté derrière, quand il y a l’envie de bien faire les choses, forcément, à un moment, ça se ressent et je pense que le spectateur le ressent également. Quoiqu’il en soit, ce fut une aventure riche de belles rencontres et de collaborations. Je continue d’ailleurs à travailler avec la plupart des artistes que j’ai rencontré sur The Full Monty. Et certain ont d’ailleurs pu rebondir grâce à ce spectacle. Donc, non ce n’est pas un échec.

 

 

Crédits photo : Julien Vachon, Delphine Goldstzejn, Ludovic Baron.

Margot Capespine

Margot Capespine

Etudiante en cinéma, c'est ce dernier qui m'a mené à la comédie musicale en visionnant les perles de l'âge d'or d'Hollywood. Le virus s'est développé avec une passion pour la version spectacle vivant de ce genre, jusqu'à envahir ma vie professionnelle puisque je produis les spectacles et parades d'un célèbre parc d'attractions dans l'est parisien. J'ai rejoint Musical Avenue et sa merveilleuse équipe en 2013 par envie de développer la légitimité et la popularisation de ce genre qui mérite d'être incontournable à Paris.
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