Depuis sa création en 2016 à Londres, la comédie musicale Groundhog Day a su conquérir le public grâce à son humour cinglant, son propos existentiel et surtout sa partition musicale signée Tim Minchin. L’album de la production de Broadway, est une véritable démonstration de son habileté à jongler entre ironie mordante et inventivité orchestrale.
L’histoire est adaptée du célèbre film Un jour sans fin de 1993 avec Bill Murray dans le rôle principal. Elle suit Phil Connors, un présentateur météo cynique et égoïste, qui se retrouve piégé dans une boucle temporelle, revivant sans cesse le même jour, le 2 février, à Punxsutawney (une ville de Pennsylvanie), lors de la célébration du « Jour de la Marmotte ». Au fur et à mesure qu’il rejoue cette journée, Phil commence à changer, passant de la frustration à l’introspection, et découvre l’importance de l’amour, de la générosité et du changement personnel.
Connu pour son travail acclamé sur Matilda the Musical, le compositeur australien s’attelle ici à une tâche plus complexe : traduire en musique la répétition cyclique d’une journée interminable, tout en maintenant l’intérêt de l’auditeur.
Tim Minchin, un compositeur atypique
Tim Minchin s’est fait connaître par son humour acerbe, ses chansons satiriques et son talent pour des mélodies qui semblent légères tout en portant des messages profonds. C’est dans ce registre qu’il donne de nombreux concerts-spectacles en solo, ou accompagné d’un orchestre symphonique.
Là où Matilda explore l’enfance et la rébellion à travers des chansons malicieuses aux paroles très travaillées, Groundhog Day s’attaque à des questions plus philosophiques : la monotonie de l’existence, la rédemption personnelle et la quête de sens. La musique reste toujours fidèle à l’esprit narquois du compositeur, mais adopte ici une palette plus large, passant du sarcasme à des moments de douceur pure.
Groundhog Day tire sa force de sa structure narrative musicale : Minchin utilise la répétition non pas comme un artifice, mais comme une composante essentielle du récit. Certains motifs mélodiques reviennent subtilement tout au long du spectacle, créant un sentiment de familiarité tout en laissant deviner des variations qui accompagnent l’évolution du personnage principal.
En écoutant par exemple le titre « Philandering », on remarque à quel point Minchin arrive à torturer les premiers thèmes du spectacle pour former un nouveau morceau instrumental particulièrement jouissif.
Une partition ingénieuse et sophistiquée
L’orchestration, signée Christopher Nightingale (Matilda, Ghost), joue un rôle clé dans la dynamique de cet album. L’ensemble instrumental repose sur une section rythmique pop-rock (guitares électriques, claviers, batterie), rehaussée par des cordes, des cuivres et des bois qui confèrent une profondeur cinématographique à la partition. La boucle infernale dans laquelle Phil Connors se retrouve piégé prend ainsi vie à travers des arrangements tantôt nerveux, tantôt introspectifs.
Les synthétiseurs utilisent des sons choisis avec beaucoup de précision comme certains claviers vintages pour accentuer l’aspect mécanique des séquences répétitives. A l’inverse, les cordes et les cuivres apportent une chaleur humaine qui souligne la transformation progressive du héros. Par exemple dans la chanson Hope, le leitmotiv du piano semble bloqué dans une boucle minimaliste, avant que l’orchestration ne s’épanouisse dans une envolée symphonique, symbolisant l’espoir naissant de Phil.
L’utilisation des chœurs est également marquante. Dans des titres comme « One Day », les voix renforcent l’idée d’un monde immuable où chaque jour se ressemble, mais où une lumière peut percer l’obscurité.
La répétition comme moteur musical
L’un des plus grands défis en adaptant le film en comédie musicale réside dans la gestion du recommencement perpetuel. Mais Tim Minchin transforme cette contrainte en une opportunité créative ! Plutôt que de simplement répéter des morceaux à l’identique, il en modifie subtilement l’harmonie, l’orchestration ou la dynamique pour refléter l’évolution intérieure de Phil Connors.
Par exemple, la chanson « Day One » revient à plusieurs reprises sur l’album, mais avec des variations subtiles qui traduisent le désespoir croissant du personnage. Ce procédé permet à la musique de devenir un véritable moteur dramatique, guidant l’auditeur à travers le voyage spirituel du protagoniste sans pour autant tomber dans la monotonie.
Le morceau « If I Had My Time Again », véritable point de bascule de l’intrigue, illustre parfaitement cette approche. L’air enjoué et entraînant masque une réflexion plus profonde sur le regret et la seconde chance, avec des arrangements de cuivres puissants qui évoluent progressivement vers une texture plus chaleureuse à mesure que Phil commence à accepter son destin.
Une distribution éclatante
Pour donner vie à cette boucle temporelle, la comédie musicale repose sur une distribution exceptionnelle qui transmet une énergie communicative.
Au cœur de la distribution, Andy Karl (Legally Blonde, Pretty Woman, Wicked) incarne Phil Connors, le présentateur météo cynique pris au piège de cette fameuse journée sans fin. Sa performance vocale est l’élément central de l’album, oscillant entre sarcasme, désespoir et vulnérabilité. Dès la troisième piste de l’album intitulée « Day One », Karl établit la personnalité grinçante de Phil avec une diction mordante et une énergie contenue.
Son interprétation atteint des sommets dans « Hope », où sa voix se fait tour à tour résignée et pleine d’espoir, traduisant l’évolution émotionnelle du personnage. Dans « Seeing You », son timbre chaleureux exprime une sincérité nouvelle, soulignant la transformation finale de Phil.
Barrett Doss, dans le rôle de Rita Hanson, offre une prestation lumineuse. Sa voix claire et expressive illumine « If I Had My Time Again », un duo entraînant qui illustre la complicité naissante entre Rita et Phil.
Les personnages secondaires, tels que Ned Ryerson (campé par John Sanders) ou Nancy Taylor (Rebecca Faulkenberry), bénéficient également de moments de grâce. La chanson « Playing Nancy », interprétée par Faulkenberry, transforme un personnage secondaire en une figure poignante, évoquant avec délicatesse les rêves déçus.
Une boucle temporelle inoubliable
Le Top 3 de Nicolas
La partition de Tim Minchin brille par sa diversité stylistique. La chanson « Stuck » joue sur une rythmique nerveuse pour exprimer la frustration de Phil, tandis que « Night Will Come » adopte un ton plus méditatif, porté par des harmonies apaisantes.
L’album Groundhog Day témoigne de la virtuosité de Tim Minchin, qui parvient à mêler humour, émotion et complexité musicale dans une partition profondément narrative. Si la bande originale ne possède pas la même immédiateté mélodique que Matilda, elle séduit par sa richesse thématique et sa capacité à sublimer le concept de répétition pour en faire le cœur même de l’expérience musicale.
Grâce à une orchestration brillante, des performances vocales impeccables et une écriture qui oscille entre cynisme et tendresse, Groundhog Day s’impose comme l’un des albums les plus audacieux de la comédie musicale contemporaine. Une œuvre qui, à force de tourner en rond, finit par toucher en plein cœur.
- One Day : une ballade poignante où Rita exprime ses rêves d’une vie meilleure, accompagnée de chœurs aux harmonies absolument magnifiques
- If I Had My Time Again : un duo rock entraînant et optimiste où Phil et Rita imaginent comment ils changeraient leur vie s’ils avaient une seconde chance
- Seeing You : une chanson émouvante et superbement orchestrée où Phil exprime sa gratitude pour les petites merveilles de la vie qu’il découvre en voyant vraiment les autres pour la première fois.
Points forts
- Une partition entrainante, sophistiquée et variée (malgré la redondance assumée de certains thèmes)
- L'humour décalé et intelligent de Tim Minchin
- La performance toute en justesse d'Andy Karl
- Une orchestration riche et imposante
Points faibles
- L'absence des dialogues du spectacle rend parfois la compréhension compliquée et ôte certaines touches d'humour pourtant bienvenues. Le spectacle aurait mérité un enregistrement live plus complet
Écouter l'album
Groundhog Day est accessible sur les plateformes de streaming Deezer, Spotify et Apple Music. Il est également disponible en version physique (1 CD + livret de 28 pages contenant les paroles des chansons et plusieurs photos du spectacle).
