Critique : "Jonas, la comédie musicale" en CD

Temps de lecture approx. 7 min.

Suite à l’annonce de la reprise de Jonas, la comédie musicale, nous nous sommes procurés l’album de ce musical, que nous avons écouté avec attention. Sur des musiques d’Etienne Tarneaud et des paroles de Jocelyne Tarneaud, sa mère, cinq artistes interprètent 18 titres sur le CD édité par Rejoyce. Nous vous proposons ici quelques commentaires sur ce disque, en attendant la critique du spectacle que nous publierons à la mi-octobre.

Une comédie musicale… et un album de variétés

Le disque témoigne d’une volonté claire d’atteindre deux objectifs : le premier s’inscrit dans la plus pure tradition du musical anglosaxon dont une des règles sacro-saintes est que chaque chanson fait avancer l’histoire. Si la simple lecture des titres donne des indications à ce sujet, l’écoute complète confirme que les deux auteurs ont effectué un travail important sur le livret.

Mais non contents de cet effort notable, Etienne et Jocelyne Tarneaud ont atteint le second objectif qui consiste à ce que l’album puisse avoir une vie et une cohérence au delà du spectacle. En effet, chaque chanson a été travaillée comme sur un album traditionnel, beaucoup contiennent un refrain, ce qui n’est pas chose courante dans les musicals anglosaxons. Sans trop se mouiller, on peut affirmer que Jonas est une rencontre entre le musical anglosaxon et la comédie musicale française, qui a traditionnellement tendance à mettre l’accent sur l’album de variétés, sacrifiant trop souvent le travail sur un livret digne de ce nom.

La seule chanson qui échappe quelque peu à la cohérence d’ensemble est le final, "La force d’être nous", qui fait penser à "L’envie d’aimer" des Dix Commandements : une chanson très bien faite, très agréable, mais qui n’apporte rien à l’histoire. Pire : "L’envie d’aimer" ne constituait que le rappel des Dix Commandements, point d’orgue de la grosse machinerie commerciale ! Dans le cas de Jonas, il semble qu’il s’agisse davantage d’un final, incontournable quand on parle de musical.

Concernant les textes, il faut bien reconnaître quelques inégalités. La plupart des textes sont très soignés, et d’un excellent niveau de langue (en particulier "Jérusalem", un moment de poésie rare), ce qui est plutôt agréable, voire assez rare dans le milieu du musical français. Cependant, certaines expressions issues d’un langage particulièrement familier à certains moments, en particulier sur la chanson "Les requins", n’apportent pas grand chose à la narration et nuisent plutôt à la qualité globale.

On peut s’interroger sur la nécessité des phrases "Sale bâtard tu vas morfler" ou "Les cafards faut les écraser" (surtout s’agissant de requins !)… Il est d’ailleurs amusant de remarquer qu’à l’instar des hyènes du Roi Lion, les requins sont des personnages assez méchants et qui emploient un vocabulaire familier, voire vulgaire. Fort heureusement, ces moments sont suffisamment rares pour ne pas qu’on s’y attarde.

Un univers musical très riche et une troupe au diapason

Ce qui frappe immédiatement à l’écoute de l’album, c’est la diversité des rythmes et des mélodies. Les titres baignent dans une ambiance musicale très pop, avec des accents très rock sur certains titres ("Viens avec nous à Tarsis"), très variétés sur d’autres ("La baleine" rappelle les plus belles mélodies goldmaniennes), voire R’n’B, en particulier sur le titre "Je n’irai pas". Comme tout musical qui se respecte, on signalera également plusieurs ballades telles "Au bord de la plage", grand moment de douceur et d’harmonie.

Vocalement, Etienne Tarneaud s’est entouré de chanteurs hors pair pour ce travail. Lui-même incarne un Jonas touchant et envoûtant à la voix cristalline, s’accordant parfaitement avec la puissance du tandem Stéphane Métro/Yoni Amar, dont on connaît depuis plusieurs années le talent. On les retrouvera  d’ailleurs dès le 11 septembre dans Les Misérables à Lausanne, respectivement dans les rôles de Javert et Enjolras. Côté féminin, Prisca Demarez et Christine Kandel sont irréprochables et extrêmement talentueuses même si je dois avouer un énorme coup de cœur pour la seconde, dont les interprétations pleines de profondeur et de douceur m’ont beaucoup touché.

Le seul bémol, voire le point noir, se trouve dans les arrangements et les instrumentations. Le disque met en lumière les limites des samples et de la musique par ordinateur. En particulier, les morceaux qui font intervenir des guitares électriques manquent cruellement de pêche, un ordinateur n’ayant jamais su rendre proprement une guitare, et encore moins une distorsion. Le morceau "Les requins" pâtit tout particulièrement de ce problème.

Les percussions sont également très pauvres, et auraient pu être améliorées. Néanmoins, il est tout à fait compréhensible que faute de moyens, Jonas n’ait pas bénéficié de la même qualité d’enregistrement que les superproductions françaises traditionnelles. La qualité des mélodies vient malgré tout compenser cette petite faiblesse.

Une grande fidélité à la Bible pour une histoire universelle

Jocelyne et Etienne Tarneaud se sont largement appuyés sur le texte original, celui de la Bible. L’histoire de Jonas est contée dans le livre de Jonas, qui fait partie de la Bible hébraïque (Ancien testament). Les Evangiles selon Matthieu et Luc renvoient également à son histoire, tandis que le Coran reconnaît Yunus (Jonas en arable) comme prophète. Ainsi, ce personnage intervient dans les trois grandes religions monothéistes. Quoique considéré comme un des "petits prophètes" de la Bible, son histoire constitue un bel exemple de recherche d’absolu, et les Tarneaud sont parvenus à retracer fidèlement son histoire tout en proposant une comédie musicale agréable.

A un point près. Ou comment il est possible de raconter l’histoire de Jonas sans faire intervenir un personnage a priori clé : L’Eternel, lui-même, n’est pas présent. Pire, le mot "dieu" n’est utilisé que pour parler des "dieux de l’Olympe", jamais en référence à celui pour qui Jonas est censé œuvrer comme prophète. La seule référence assez lointaine est celle de l’ange Gabriel, premier interlocuteur de Jonas, qui affirme parler en "Son nom". C’est peut-être une des rares petites entorses au texte de référence, la Bible,
qui évoque de nombreux dialogues entre Jonas et son dieu. Ce choix est intéressant car il offre davantage de perspectives et une approche différente, peut-être plus universelle à l’histoire de Jonas, témoin d’une intention louable de démystifier cette histoire biblique, la rendant ainsi plus accessible.

Au final, Jonas se pose comme une référence et un exemple pour ceux qui veulent défendre la comédie musicale "à la française". Tout en mettant un fort accent sur l’album et les chansons, on sent un réel travail sur le livret et une volonté affichée de ne pas faire un gigantesque concert de variétés avec un enchainement de singles sans réelle cohérence. C’est avec une réelle impatience que nous attendons désormais la reprise du spectacle en région parisienne à partir de cet automne, en commençant par le théâtre Saint Léon dès le 13 octobre.

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