Rencontre : Nos lecteurs interrogent Laurent Bentata, PDG de Stage Entertainment [4ème partie]

Temps de lecture approx. 17 min.

Voici la quatrième et dernière partie de notre rencontre avec Laurent Bentata (PDG de Stage Entertainment) et Arnaud Cazet (Directeur Commercial et Marketing). Dans cette partie, nous avons abordé les projets de la société de production. C’est aussi à ce moment, après une heure de dialogue, que nous avons laissé de côté le fil conducteur et que l’entretien est devenu une discussion amicale. Nous ne résistons pas au plaisir de vous faire partager ce moment.

Guy : Quel est votre spectacle préféré a titre personnel ?

Laurent Bentata : J’ai été très touché par Billy Eliott. Par d’autres spectacles également, mais si vous me demandez d’en choisir un… J’hésite entre Billy Eliott et Les Misérables.

Arnaud Cazet : Le spectacle qui m’a donné envie de rentrer dans ce business, c’est Les Misérables à Londres.

Guy : Je l’ai vu ici avec Jérôme Pradon et Patrick Rocca. A l’époque, c’était 450 francs le billet !

AC : Le meilleur rang, c’est le premier rang de corbeille. Pierre Stonina est le directeur technique ici depuis 1973. J’adore discuter avec lui. Il m’a raconté que François Mitterrand s’installait là pour venir voir Barbara. C’est grâce à elle que le théâtre a été sauvegardé et inscrit à l’inventaire des monuments historiques dans les années 1980. Elle a elle-même fait ses débuts ici en tant que choriste dans une opérette. On a ainsi pu bénéficier de tout le savoir des architectes des bâtiments de France pour la rénovation du théâtre… Je suis sorti des Misérables, et j’ai adoré. Avec mon ami Sébastien Durand, j’ai créé votre concurrent qui est Regard en Coulisse.
J’étais en larmes en sortant des Misérables. Billy Eliott parle aussi à toute personne qui a un rêve dans sa vie. C’est un spectacle sur l’estime et l’affirmation de soi. Je suis comme Laurent, je pourrais en citer des tonnes. Avec Regard en Coulisse, on avait rencontré Schönberg, le père lors d’une interview. Mais c’est à son fils, qui travaille avec Cameron Mackintosh, que j’ai dit à Londres : "Si je travaille dans ce milieu, c’est grâce à votre père".

Baptiste : Billy Eliott et Les Misérables font-ils partie du catalogue de Stage Entertainment ?

LB : Les Misérables oui, et Billy Eliott en partie. C’est à l’étude. Mais ne faites pas de plans sur la comète par rapport à nos réponses. Ne pensez pas que vous tenez la programmation officielle de la prochaine saison de Stage Entertainment ! (rires)

Guy : En tous cas, avec Billy Eliott vous auriez de nouveau un problème pour trouver un Billy. Il en faudrait plusieurs.

Baptiste : Sandrine Mouras disait à l’époque que si on voulait créer ce spectacle en France il faudrait avant tout créer une école pour le premier rôle.

AC : J’ai vu Billy Eliott et Mary Poppins le même jour que celui de mon entretien chez Stage Entertainment. Comme je savais que Le Roi Lion était prévu, il fallait que je voie le dernier spectacle pour lequel a travaillé Elton John, donc Billy Eliott. Je voulais également voir la dernière création Disney donc Mary Poppins. L’après midi, j’ai vu Billy Eliott et le soir Mary Poppins. Il y avait eu des attentats dans le métro à Londres, donc la ville était vide. C’était en plein mois de juillet 2005. J’adore Mary Poppins, j’adore le film mais je trouve aussi le spectacle génial. Je suis un grand fan des chansons des frères Sherman. Pour moi c’est un crève-cœur de ne pas faire Mary Poppins.

Maintenant, Je voudrais compléter ce que dit Laurent sur la qualité des artistes français : ils sont moins techniciens mais plus chaleureux. C’est une chose dont on s’est toujours rendu compte. A Londres ou à New York. Il y a une machine incroyable, mais il y a rarement la chaleur humaine et l’engagement d’un artiste français. Alors qu’en France, c’est peut-être un peu plus imparfait mais la sincérité est là et dans le jeu, il y a quelque chose qui fait qu’à un moment donné ça fait "tilt".

LB : Et c’est d’ailleurs reconnu. On a quelques-uns de nos artistes qui sont partis à l’international. L’un d’entre eux fait partie de Cabaret à Broadway, un autre qui joue dans Le Roi Lion en Allemagne. Notre metteur en scène du Roi Lion à Paris a été metteur en scène à Londres pendant des années.

AC : Les artistes français ont un certain niveau, mais je suis d’accord avec Margot sur les auditions. Il faut s’entrainer toute l’année, car si on attend l’audition c’est déjà presque trop tard. Je me souviens quand on a fait Zorro, il fallait faire du flamenco. Il y a un moment donné où il faut embaucher les gens qui font vraiment du flamenco parce que vous n’avez pas le choix.
Thierry Gondet, un artiste français, jouait Lumière dans La Belle et la Bête en Allemagne. Son problème était qu’il ne trouvait pas de productions de qualité à Paris. Eric Jetner qui a joué chez nous dans Cabaret est en train de tenter sa chance à l’étranger. Il a joué également dans Cabaret à Broadway. On peut aussi citer Virginie Perrier.
Quand vous cherchez un artiste et que vous ne trouvez pas, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de talents. Cela veut dire qu’il n’y a pas de talents disponibles au moment ou vous cherchez. Sur Zorro, il a fallu trouver le rôle d’Inez. C’est arrivé avec Géraldine Larrosa.

AC : C’est une espagnole, Géraldine. Elle est fantastique. C’est un amour dans la vie, elle a un talent monstrueux. Elle a joué le rôle de Belle pendant des années à Madrid.
C’est une chose que Stage Entertainment étudie en arrivant sur un marché. Est-ce qu’il y a la communauté artistique suffisamment formée pour faire les spectacles? Je crois que Stage Entertainment ne pourrait pas investir dans un spectacle s’il n’y a pas la communauté pour le faire. Pour Mary Poppins, c’est plus
une question de malchance. Pour nous, c’est un crève-cœur.
Vous imaginez, depuis le temps qu’on travaille dessus…

LB : On n’est pas en train de jeter le bébé avec l’eau du bain. Sur ce spectacle là, on n’a pas trouvé. L’exigence de qualité nous oblige à une sélection encore plus dure. Des compromis sur l’artistique, en général, on n’en fait pas.
 
Margot : Vers quoi vous dirigez-vous aujourd’hui ? Avez-vous quelques pistes ?

LB : On cherche, on est sur plusieurs pistes. Je n’en parlerai pas là parce qu’il faut laisser du suspense. D’ici quelques semaines, on sera en mesure d’apporter des réponses précises sur tout ça. [La rencontre a eu lieu avant l’annonce concernant La Belle et la Bête ndlr]

AC : Paris, c’est 400 spectacles par soir minimum. Cela va du one-man-show à des choses plus élaborées comme l’opéra. C’est la ville où tous les artistes internationaux passent au moins une fois. Vous avez la possibilité d’accéder à tous types de création, donc le public est très exigeant. Le choix se fait aussi par rapport à un certain public. A New York ou à Londres, il y a plus de musicals alors qu’ici, il y a tous les genres. Même si le bassin d’habitants sur l’Ile de France est de 11 millions d’habitants, la concurrence est beaucoup plus forte.

LB : Cela veut dire qu’il nous faut trouver des titres très forts qui puissent créer cette nouvelle famille de spectateurs et de spectacles. On ne peut pas pour l’instant – peut être demain – prendre des titres plus à la marge. Il nous faut taper un coup fort et donc il nous faut des titres forts.

Baptiste : Certains de nos lecteurs se portent très critiques sur les choix que vous avez pu faire. Selon eux, vous avez cédé au coté familial plutôt qu’à des choses plus ambitieuses, plus originales. Ils jugent que Zorro, c’est du Disney comme Le Roi Lion et que c’est un peu la facilité. Pour eux Sister Act n’est pas un si grand succès que ça à l’étranger, ça n’a pas tenu si longtemps l’affiche à Broadway.

LB : Je crois que j’ai répondu à cette question. On est en train de développer une nouvelle forme de spectacles donc on essaye de toucher les gens en nombre. Nous essayons de voir plus grand et de donner envie aux gens d’aller voir un musical dans un théâtre. A Broadway, il y a pleins de spectacles qui pourraient nous intéresser. On est en train d’éduquer le public. Quand on aura créé cette famille Stage ou cette famille Musical, on pourra faire du sur mesure. Si vous décidez de faire Le Bal des vampires, combien de temps va durer le spectacle ? On choisit de faire ces spectacles pas forcement parce qu’on en est amoureux, mais parce qu’on croit en leur potentiel. C’est ma responsabilité vis à vis de Stage Entertainment et de toute l’équipe. Si demain, je dis : "On va faire ce spectacle par ce que je l’adore", je ne suis pas sur que je resterai très longtemps en poste.

AC : En plus, à Paris, on a le Théâtre du Châtelet. Nous sommes deux opérateurs très complémentaires. Je crois que le Théâtre du Chatelet peut se permettre financièrement d’avoir des œuvres qui se jouent en même temps, soit parce qu’ils les coproduisent avec un autre théâtre dans le monde, soit parce qu’ils vont les amener ailleurs, soit parce qu’ils ont des subventions. C’est bien que Jean-Luc Choplin propose aujourd’hui du Sondheim, sans compter West Side Story. Que je puisse voir enfin sur scène Showboat, je trouve ça extraordinaire.
Nous sommes dans une logique plus commerciale car nous avons besoin de durer. Nos investissements sont propres. Nous sommes plus sur une forme de culture populaire et le Théâtre du Châtelet est sur une culture un peu plus élitiste, sur du patrimoine. Mais je pense que Le Roi Lion fera partie du patrimoine un jour. Ca m’amuse de voir qu’on joue une opérette actuellement à l’opéra comique. Mais Sister Act, c’est quoi ? C’est une opérette du XXIème siècle. C’est une histoire touchante, émouvante qui alterne dialogues et chansons, avec des airs qu’on a envie de chanter en sortant de la salle. L’opérette c’est du théâtre musical populaire.

LB : Pour répondre à votre question, ce n’est pas notre vocation pour le moment. Je peux comprendre la déception, mais ce qu’on fait avec le Châtelet est très complémentaire. Jean-Luc (Choplin) vient à nos premières, on se soutient mutuellement. Monter Les Misérables et West Side Story ici, ça crée une émulation positive. 


AC : Quand ils ont joué West Side Story en fin d’année, vous aviez tous les soirs des gens habillés en bleu qui distribuaient des flyers. On a fait ça à l’entrée de tous les spectacles musicaux pendant les fêtes de fin d’année, parce que nous sommes de la même famille. Les artistes de Sister Act ont envoyé une photo qui souhaitait bonne chance à la troupe de Salut les copains pour leur première. Et ce n’est pas nous qui l’avons commandé.


Source : Facebook officiel de Sister Act

LB : Nous sommes concurrents mais, nous nous parlons et nous respectons. Nous savons à quel point ce métier est difficile.

Margot : Allez-vous acheter un deuxième théâtre ?

LB : On regarde. Je vous disais tout à l’heure que nous avions besoin de créer cette famille. Les théâtres ne se trouvent pas à tous les coins de rues.

Margot : Si vous en achetiez un ce serait pour l’exploiter comment ?

LB : Si nous prenons un théâtre, c’est pour y mettre nos propres productions. C’est pour développer le modèle appliqué à Mogador.

Guy : Vous avez pourtant loué les Folies Bergère pour Cabaret.

AC : C’est parce que nous ne pouvions pas le faire ici. Savez-vous pourquoi nous avons lancé Cabaret ? Nous devions lancer Le Roi Lion en 2006. Joop van den Ende, le fondateur de Stage Entertainment, a racheté le Théâtre Mogador en 2005. Joop vient visiter Mogador et voir les bureaux mitoyens en travaux, qui appartenaien
t alors à une société d’assurance. Il dit "Je pense qu’il faut qu’on rachète l’immeuble à coté." Ce ne sont pas que les travaux ont pris du temps, c’est que le concept a évolué. Joop a dit: "On va passer de 250 m² de foyers à 1000 m² ". Ca faisait 50 ans que les foyers n’étaient plus ouverts ! Il a complètement rénové ce lieu. Nous avons du décaler les travaux, demander de nouvelles autorisations, avec l’idée de monter Le Roi Lion. Entre temps, nous avons reçu un mail de la Hollande en anglais : "Si tu lançais Cabaret à Paris, tu ferais quelle grille tarifaire ?"

Nous envoyons une grille tarifaire, et deux jours après, on nous dit : "Il faut que vous veniez voir le spectacle a Amsterdam et vous lancez Cabaret à Paris, aux Folies Bergère".
Nous n’avions pas lancé les auditions, nous ne savions rien. Nous sommes allés à Amsterdam et vu le spectacle qui était en néerlandais. Magnifique ! Joop arrive dans la salle, il prend une chaise et nous dit : "Comment voulez-vous lancer le spectacle à Paris ?" La réunion s’est finie à minuit et demi dans une ambiance magique.
En somme, les travaux n’ont pas pris de retard, c’est juste l’idée géniale qu’a eu Joop de dire "Je veux faire un accueil encore meilleur à Paris".

LB : Quand ils ont ouvert la filiale en France, ils sont venus chercher un théâtre. Son associé l’a dirigé vers Mogador mais Joop avait toujours dans la tête de racheter les Folies Bergère. Dans sa tête, Cabaret aux Folies Bergère, c’était une évidence. C’est son coté visionnaire.

AC : C’était une folie de monter Cabaret. Les gens se demandaient combien de temps ça allait tenir. Sam Mendes ne s’est jamais déplacé sur les adaptations internationales. Il a monté le spectacle à Londres puis à Broadway au studio 54. Après, il laissait son associé gérer. Il est venu à Paris pour la centième. Nous avions quand même obtenu la une du Monde, du Figaro, du Parisien… A Paris, il a dit : "Quand j’ai créé Cabaret à Londres, j’imaginais que ça puisse avoir lieu aux Folies Bergère. Pour moi, le théâtre qui symbolise le mieux le cabaret berlinois des années 1930, c’est les Folies Bergère. Et le fait qu’aujourd’hui ça puisse se jouer là, c’est incroyable pour moi." Son épouse Kate Winslet est venue très discrètement quelques mois plus tard et un nombre incalculable de personnalités a suivi. Joop connaissait Sam Mendes mais ne savait pas qu’il avait pensé aux Folies Bergère en créant Cabaret. Il y a quelque chose de naturel qui fait l’interactivité entre l’interprète et le public dans l’architecture de la salle.

Arnaud : Est-ce que parmi les spectacles qui sont dans le portefeuille Stage, il y en a que vous n’aimez pas ? Si oui, est-ce que vous seriez prêts à les produire en France ?

LB : Je vous ai dit tout à l’heure qu’on ne faisait pas que des spectacles qu’on aime. Oui, il y a des spectacles qui me plaisent moins que d’autres, je ne dirai pas lesquels.

Nathalie : L’expérience humaine qui en découlera fera peut-être que vous l’apprécierez…

AC : Merci, c’est exactement ce que je voulais rajouter. Je vais vous dire : j’aimais bien Zorro, mais ce n’était pas ma tasse de thé. Il y a plein de choses que j’aimais dans le spectacle. Qui m’aurait dit un jour que j’allais rencontrer les Gipsy Kings ? Ce sont des personnes adorables.

LB : Quand on se lance dans un spectacle, la passion est là. On met vite de coté notre avis. On travaille avec des gens extraordinaires. Quel que soit le corps de métier, techniciens, chorégraphes, comédiens, ce sont des rencontres humaines très enrichissantes. Quand arrive le jour de la première, c’est l’aboutissement d’un ou deux ans de travail. On défendra chaque spectacle – même celui qui a moins bien marché -avec la même énergie parce que pour nous ça représente du temps, des rencontres et de la passion.

Guy : Dans le catalogue, vous avez des spécificités selon les pays. Est ce qu’il y a l’idée à court, moyen ou long terme de créations françaises ?

LB : Oui, on regarde. On n’est jamais à l’abri d’une bonne idée et d’un concept. Après, il faut trouver la bonne histoire. C’est une question d’écriture, il faut les bonnes chansons, de l’émotion. S’il y a de la qualité, si elles sont bien écrites, toutes les histoires peuvent être racontées.

Nous tenons à adresser à Laurent Bentata et Arnaud Cazet, un immense merci pour l’accueil chaleureux et le temps précieux qu’ils nous ont accordé. Nous tenons également à remercier nos lecteurs, Arnaud, Guy, Margot et Nathalie qui ont si bien joué le jeu.


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