Critique : « Cher Evan Hansen » au Théâtre de la Madeleine

Temps de lecture approx. 7 min.

Adapter Dear Evan Hansen n’est pas chose aisée. L’œuvre de Benj Pasek et Justin Paul (qui étaient d’ailleurs présents dans la salle le 11 octobre dernier), récompensée de six Tony Awards, aborde des thèmes aussi délicats que la solitude, la santé mentale, la pression sociale ou encore la quête de reconnaissance à l’ère numérique. Spectacle très attendu de cette saison, Olivier Solivérès signe ici une version fidèle à l’esprit du spectacle d’origine tout en assumant une identité résolument française. Musical Avenue vous fait  partager toute l’émotion de cette comédie musicale.

L'avis de Nicolas

L'avis de Nicolas

J’ai passé un excellent moment devant Cher Evan Hansen. Le spectacle réussit à être à la fois drôle, touchant et plein d’énergie. L’histoire nous embarque immédiatement, on rit, on pleure, on s’attache aux personnages – impossible de décrocher.

La mise en scène, sobre mais soignée, s’appuie sur un travail vidéo et lumineux de grande qualité. Tout s’articule autour de blocs lumineux disposés sur scène, qui deviennent tour à tour une table, un lit ou un bureau. Contrairement à la production originale, où ces éléments étaient représentés par de véritables meubles, ici tout est suggéré — mais c’est très clair pour le spectateur. Ce choix donne à la mise en scène un aspect moderne, presque abstrait, tout en restant lisible et immersif. On passe d’ambiances froides et intimistes à des moments chaleureux et pleins de vie, ce qui renforce la force du propos.

Les traductions françaises m’ont agréablement surpris : les textes sonnent naturellement, sans trahir l’esprit de la version originale. Connaissant l’album en anglais par cœur, je redoutais une perte d’émotion, mais c’est loin d’être le cas.

Côté interprétation, le casting est vraiment excellent ! Les comédiens jouent avec sincérité et justesse, et s’ils frôlent parfois la limite vocale sur certaines notes, l’émotion prime largement sur la perfection technique. Antoine Le Provost, dans le rôle-titre, est bluffant : il vit littéralement son personnage, habité par ses tics, son anxiété et sa fragilité, tout en livrant un chant d’une grande justesse émotionnelle. Une performance remarquable !

Mention spéciale également à Lou Nagy dans le rôle d’une Zoé particulièrement touchante et à Fanny Chelim qui interprète Alana tout aussi talentueusement.

Lors des dix dernières minutes de la représentation (le 8 octobre), une panne technique a soudainement réduit le théâtre au silence. Sans micros, sans retours, sans musique, les acteurs ont pourtant continué à jouer et chanter a cappella, sans jamais perdre le fil. Là où la situation aurait pu tourner à la catastrophe et interrompre le spectacle, les artistes ont fait preuve de professionnalisme en démontrant la solidarité de toute l’équipe.

Enfin, avoir des musiciens en live dans un théâtre aussi intimiste que la Madeleine est un vrai luxe. Sous la direction de Léa Rulh, les quatre instrumentistes livrent une prestation impeccable, soutenus par quelques pistes pré-enregistrées pour compléter les parties manquantes de l’orchestration de Broadway qui compte 4 musiciens de plus. C’est un compromis réussi étant donné l’absence d’une fosse d’orchestre qui limite forcément l’espace disponible pour les musiciens.

Quel plaisir plaisir de voir un théâtre parisien programmer une comédie musicale de cette qualité ! On ne peut qu’espérer que cela donnera envie à d’autres salles d’en faire autant (oui c’est déjà le cas, mais on en veut toujours plus )

En résumé, Cher Evan Hansen version française est une très belle réussite : un spectacle émouvant, intelligemment adapté et porté par des artistes investis.

L'avis de Fabrice

Le rideau ne se lève pas sur Cher Evan Hansen – et c’est déjà tout un symbole. Des écrans défilent, des notifications s’affichent : le monde numérique prend place avant même la première note. Après des mois de communication soutenue, d’attente nourrie par les réseaux sociaux et de curiosité grandissante depuis le showcase de juin 2025, la version française du musical culte de Broadway est enfin là. Et le pari, audacieux, est largement tenu.

Tous les dialogues et chansons, adaptés en français, offrent au public la possibilité d’une immersion totale, sans barrière linguistique. Le résultat est dans son ensemble remarquable (même si nous pouvons toujours trouver à redire ici ou là comme certaines critiques aiment le souligner). L’adaptation ne trahit jamais l’œuvre : les mots sonnent justes, les expressions s’ancrent dans notre culture, et les personnages trouvent un nouvel écho. Les références scolaires, les codes sociaux et les attitudes sont transposés pour parler à un public hexagonal.

Le casting, très attendu, tient toutes ses promesses. Antoine Le Provost – que l’on qualifie déjà de révélation cette saison – livre une performance de haut vol, sans quasiment jamais quitter la scène pendant deux heures (une performance rare). Il oscille entre fragilité, vulnérabilité et assurance, tout en jouant les émotions sur le fil du rasoir, tant dans sa gestuelle que sur son visage, Il conjugue fébrilité vocale qui sied au personnage avec une grande maîtrise technique lui permettant d’assurer la partition si exigeante de son rôle.

Le tour de force est cependant d’avoir su réunir un casting où chacun apparait comme une évidence pour le personnage qu’il incarne. Lou Nagy (Zoé Murphy) offre une interprétation poignante, toute en retenue et sincérité. Son jeu, d’une grande maturité, donne une vraie authenticité au personnage adolescent, plus ancrée dans le réel, avec une multitude de nuances et d’attitudes (sans compter sa voix éclatante – notamment sur « Requiem » – ou lors de son duo avec Evan). Kevin Barnachea apporte quant à lui une énergie communicative et un brin de cynisme salutaire, tandis qu’Antoine Galey, bien qu’un peu moins présent sur scène, illumine chacune de ses apparitions par une présence magnétique.

Les rôles adultes ne sont pas en reste : ils incarnent, avec pudeur et justesse, les failles et les contradictions des parents face à l’impensable. Comment aimer, comment comprendre, comment accompagner ? Quelques gestes, un tremblement, une larme – et tout est dit. L’émotion traverse la salle, et nous avons vu de nombreux spectateurs essuyer discrètement leurs larmes au coin des yeux. Cher Evan Hansen n’impose pas d’émotion – il la provoque naturellement.

La mise en scène, sobre (voire dépouillée mais permettant de se concentrer sur l’humain), renforce l’émotion générale. Lorsque cela est nécessaire, des projections sur des panneaux amovibles ou sur l’écran en fond de plateau soutiennent l’action. Les lumières jouent aussi un rôle essentiel, jusqu’à traduire par moments l’état d’esprit d’Evan (comme pour  “À l’infini” – adaptation de « For Forever » – avec la projection d’un mur qui laisse passer de plus en plus de lumière au fur et à mesure de la chanson, comme si cela émanait du personnage lui-même).

Le spectacle, resserré autour de deux heures sans entracte (encore un défi pour les comédiens!), conserve toute sa cohérence. Si certaines relations secondaires (notamment entre Evan et Larry Murphy, le père de substitution) auraient mérité un développement plus appuyé, le rythme reste fluide et équilibré. Les grands moments attendus sont évidemment au rendez-vous : “Cordialement, moi”, et bien sûr “Quelqu’un viendra” (adaptation bouleversante de « You will be found ») déclenchent des salves d’applaudissements.

Cher Evan Hansen n’est pas un spectacle triste. C’est une œuvre sur la reconstruction, sur l’empathie, la possibilité du pardon. Derrière les notes parfois mélancoliques se cache un appel à la curiosité de l’autre, à la communication dans une société saturée de connexions déshumanisées. En choisissant de raconter cette histoire, Olivier Solivérès et son équipe rappellent que la comédie musicale n’est pas qu’un divertissement : c’est un miroir de notre époque. Un miroir où se reflètent nos peurs, nos espoirs aussi. Que l’on connaisse ou non la version originale, il serait dommage de passer à côté de cette proposition sincère, moderne. Un spectacle qui touche à notre humanité et nous relie les uns aux autres.

Crédit photos : Musical Avenue

Cher Evan Hansen
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