Le Festival d’Avignon bat son plein, et cette édition 2025 s’annonce encore une fois riche en propositions musicales et théâtrales. Entre créations originales et découvertes inattendues, Musical Avenue a assisté à plusieurs spectacles marquants de cette saison foisonnante.
Afin de partager cette richesse artistique avec nos lecteurs, nous proposerons plusieurs articles. Une invitation à parcourir le Off autrement, au rythme de nos découvertes musicales.

Ubu président
Avec Mohamed Kacimi, Ubu n’est plus roi mais bien président. D'après l'œuvre d’Alfred Jarry Ubu Roi, il met en perspective ce personnage profondément grotesque et détestable dans notre société et le fait grimper jusqu’aux marches de l’Elysée. Tout en respectant le surréalisme de l'œuvre originale, il met en scène l’absurdité et les incohérences des jeux de pouvoirs qui nous ne sont pas si étrangers que cela.
Suivre les péripéties de Père et Mère Ubu est un voyage que nous ne sommes pas prêts d’oublier. Tout d’abord, l’esthétique de la pièce nous ramène directement dans l’univers d’Alfred Jarry où l’absurdité visuelle est à la hauteur de celle des protagonistes. Les costumes d’Aurore Popineau sont sacrément travaillés et caractérisent une mise en scène bien loin d’être classique. Isabelle Starkier a pensé cette ascension comme une épreuve de force millimétrée aux yeux de tous. La scénographie est engageante et saisissante.
Ensuite, la musique prend naturellement sa place au milieu de toute cette pagaille. Les paroles sont grinçantes et nourrissent l’énormité de la situation. Les conjoints se mettent en scène et s’imaginent dans un cabaret dont ils sont les stars. Trois musiciens se pressent de les accompagner et interviennent tour à tour pour participer à la mascarade. Les chansons font office de pause dans le texte pour mieux contempler ces personnages en déroute. Père et Mère Ubu sont géniaux. Dans le couple, on a bien compris qui entraînait l’autre à la dérive et c’e n’est pas forcément celui qu’on croit.
Enfin, l’exercice de satire est à la fois formidable et terrible pour les conclusions qu’elle porte de notre société. Personne n’est épargné et tout le monde joue un rôle dans les manipulations évoquées. Un vrai régal pour les yeux, les oreilles et matière grise.
Adaptation contemporaine et musicale du texte d’Alfred Jarry par Mohamed Kacimi. Mise en scène : Isabelle Starkier ; Musiques : Alain Territo ; Avec : Stéphane Barrière, Michelle Brûlé, Stéphane Miquel, Clara Starkier, Virgile Vaugelade ; Costumes : Aurore Popineau
Du 5 au 26 juillet relâche les 10, 17 et 24 juillet – 18h30. THEATRE DU BALCON

le manuel de la jeune mariée 1957
“Tout ce que vous allez entendre aujourd'hui est vrai”. L’introduction de Virginie Lemoine (qui accueille comme à son habitude le public du jour), en dit long sur le contenu de ce manuel qui date un peu mais peut encore bien faire parler. Quel point commun avec le spectacle précédent ? Une absurdité partagée. Ce joyeux manuel distille les bonnes convenances et de précieux conseils à adopter pour les jeunes mariées. Sur un ton très premier degré, Le Manuel de la Jeune Mariée 1957 met en scène cinq futures épouses à la découverte de cette encyclopédie qui en dit long sur la rôle de la femme.
Virginie Lemoine a pris le parti d’une approche littéraire et donc contextuelle sans forcément faire de lien avec le présent. La mise en scène mise sur la lecture du manuel par grandes thématiques et les témoignages personnels de Christiane, Louise, Gilberte, Marguerite et Madeleine. De petites gimmicks signent les conseils et astuces des ménagères avec beaucoup d’humour et une autodérision finement amenée par un petit clin d’œil. Les artistes interprètent avec finesse le modèle des années 50 qui ne dit rien mais n’en pense pas moins. Des femmes contraintes dont la vie toute tracée leur échappe vraisemblablement.
Au fil des scènes, les sourires contrôlés s’étiolent. Chacune partage une anecdote, un secret bien gardé sans jugement, à froid. Cette narration touche le public dans son approche quasi documentaire. Ce mode de lecture crée favorablement une certaine empathie envers les personnages là où on aurait pu croire à une prise de recul du public s’éloignant du sujet. Les cinq comédiennes que sont Ariane Brousse, Nouritza Emmanuelian, Cloé Horry, Mathilde Moulinat et Valérie Zaccomer sont sublimes chacune dans leur rôle. Elles incarnent le tout qu’il faut être : des femmes soignées, éduquées, désirables et alertes. Côté scénographie, tout rappelle cette époque, particulièrement dans les costumes et les motifs affichés.
Les musiques signées Stéphane Corbin sont à l’image de ses précédentes productions. Elles sont à la fois pop, drôles, mordantes et avec cette dose d’émotion qui caractérise ses créations. Derrière son piano, il joue aussi la comédie en représentant le fameux mari à qui il faut préparer les chaussons en rentrant le soir.
Cette pièce s’impose comme un témoignage généreux de parcours, qui servent les contours du cadre marital moderne. Pas de leçons, ni de morale à la clef, Le Manuel de la Jeune Mariée 1957 livre les existences passées avec un regard doux, rieur et à l’évidence tolérant. Ce travail de mémoire est salvateur et fait beaucoup de bien. Nous vous avons épargné les trésors de ce manuel, le mieux étant de les découvrir sur scène.
Texte et mise en scène Virginie Lemoine ; Avec Valérie Zaccomer, Nouritza Emmanuelian, Mathilde Moulinat, Ariane Brousse, Cloé Horry, Stéphane Corbin (au piano)
Du 4 au 26 juillet, relâche les 8, 15 et 22 juillet – 15h45 – THEATRE ACTUEL


