Pour son cinquième spectacle, le collectif Singing on the Roof propose sa version de Curtains, une œuvre de John Kander et Fred Ebb inédite en France. Une histoire de meurtre et de comédie musicale rocambolesque que nous avons pu découvrir avec plaisir à la MPAA Saint-Germain.
Something Rotten!, The Wild Party ou encore 9 to 5 : autant de comédies musicales américaines qui ont vu leur première française se faire à la MPAA Saint-Germain. Depuis quelques années, les troupes amatrices ou semi-professionnelles de comédies musicales redoublent en effet de motivation et d’audace pour présenter des titres moins connus du répertoire à un public avide de nouveautés. C’est le cas de la compagnie Singing on the Roof. Fondé en 2016, ce collectif a déjà présenté quatre spectacles au Funambule Montmartre : Spamalot, Urinetown, The Drowsy Chaperone et Big Fish. Pour leur cinquième production, la joyeuse bande se délocalise à la MPAA Saint-Germain, devenue un lieu incontournable pour tou.te.s les aficionados du genre, avec Curtains.

Meurtre et paillettes
L’action se déroule à Boston, en plein rodage de la comédie musicale Robbin’ Hood (une transposition en western des aventures de Robin des Bois). Alors que la troupe et l’équipe créative se font démolir par la presse locale, Jessica Cranshaw, la vedette, est mystérieusement assassinée. Un lieutenant de police, passionné par le monde du théâtre, s’empare de l’enquête, bien résolu à démasquer le coupable et sauver le spectacle.
Créée à Los Angeles en 2006 avant d’aller à Broadway l’année suivante, cette comédie musicale est l’une dernières du célèbre duo John Kander et Fred Ebb, plus connus pour être les auteurs de Cabaret et Chicago. Fred Ebb ne verra d’ailleurs jamais le spectacle de son vivant. Originellement, le livret était de Peter Stone, mais fut repris après son décès par Rupert Holmes. Ce dernier s’y connaît bien en histoire de meurtre pour avoir transposé en comédie musicale Le Mystère d’Edwin Drood, la nouvelle inachevée de Charles Dickens (oui, cela fait beaucoup d’auteurs morts en pleine écriture cette histoire). La distribution d’origine réunit des interprètes chevronné.es de Broadway avec en tête David Hyde Pierce (actuellement dans Pirates! The Penzance Musical) dans le rôle du Lieutenant Frank Cioffi, qui lui a valu le Tony Award du meilleur acteur.

Si l’accueil du public et des critiques est assez honorable, le succès de la pièce reste modeste et l’œuvre semble un peu oubliée. Il faut dire qu’au moment de sa création, la tendance allait plutôt vers les comédies musicales aux sonorités plus modernes telles que Spring Awakening, le gros succès de cette saison, et In The Heights qui arrivera l’année suivante. Il est vrai qu’à côté, Curtains peut paraître « old school ». Il y a pourtant de belles choses dans cette œuvre, comme nous avons pu le découvrir grâce à cette version proposée par Singing on the Roof.
La magie des comédies musicales
Si l’enquête policière sert de toile de fond, Curtains est avant tout un « backstage musicals » qui taquine tous les travers du monde du spectacle. On y retrouve avec plaisir les clichés indémodables – la productrice arriviste, le metteur en scène fantasque, les premiers rôles à l’égo démesuré, la jeune danseuse prête à tout pour avoir un rôle, le régisseur discret mais qui sait tout sur tout le monde -, maniés avec beaucoup d’humour et d’affection. Mais au delà de la comédie, cette œuvre livre une belle déclaration d’amour au théâtre, mettant l’accent sur le pouvoir qu’il peut avoir sur la vie des spectateur.rice.s. Tout le monde peut se reconnaître dans la touchante ballade du personnage principal, « Coffee Shop Nights », révélant que sa passion pour les comédies musicales l’aide à tenir malgré un quotidien morose.

Cette passion était justement bien présente sur le plateau lors de cette série de représentations. Comme le prouve le livret, monter une comédie musicale est un véritable challenge et les artistes de Singing on the Roof s’en sont emparé.e.s avec un enthousiasme communicatif. Sans faire de coupes (2h30 de spectacle) et tout en anglais, iels ont donné vie à cette œuvre sans montrer de signes d’hésitation. La pièce offrant une large galerie de personnages fait que tout le monde y trouve son compte. Pour cette version, le rôle du lieutenant Frank Cioffi se féminise. Interprété de manière très touchante par Nolweenn Bruneel, ce changement de genre apporte à la romance principale un côté queer bienvenu et permet de mieux faire passer la pilule sur certaines blagues (déjà) un peu datées. La comédienne est également la co-metteuse en scène avec Cybill Clerger, qui joue quant à elle la redoutable Carmen Bernstein, sorte de pendant féminin du Max Bialystock des Producteurs. Mais toute la troupe mérite d’être citée de par son bel engagement tout au long de la soirée, chacun.e ayant l’opportunité de montrer ses talents et, surtout, de se faire plaisir.
Et puis il y a surtout la partition très efficace de Kander et Ebb, interprétée par huit musicien.ne.s en live (soit six fois plus que la majorité des productions parisiennes, et ça fait plaisir). Peut-être moins cynique et plus enjouée que ce qu’on a l’habitude d’entendre de leur part, mais toujours avec des mélodies entraînantes et des paroles truculentes. À ce niveau, « Thataway », le final de l’acte 1, et « It’s a Business » sont assez irrésistibles. Au-delà de ces grands numéros très « Broadway », la chanson qui sort du lot est la complainte déchirante d’Aaron Fox, « I Miss The Music », où le compositeur parle de sa rupture avec son épouse et parolière. Même si ce n’était pas l’intention première lors de la création, difficile en l’écoutant de ne pas penser à John Kander, qui venait de perdre son partenaire d’écriture lors du montage du spectacle. Une belle parenthèse au milieu de cette farce grand guignolesque.

C’est donc une soirée très sympathique qui nous a été donnée de passer en compagnie des Singing on the Roof. Il est toujours plaisant, grâce à ces collectifs, de voir des œuvres jamais ou trop peu montées en France. À ce titre, Curtains est une charmante découverte et les écoles professionnelles de comédie musicale feraient bien de se pencher dessus pour leurs spectacles de fin d’année.