Critique : « A Funny Thing Happened on The Way to the Forum », au Lido 2 Paris du 01 décembre 2023 au 04 février 2024

Temps de lecture approx. 7 min.

C’est avec un sentiment d’excitation, mêlé de curiosité que nous nous sommes rendus à la Générale du très attendu A Funny Thing Happened on the Way to the Forum, à l’affiche du nouveau Lido, le Lido 2 Paris. Reconnue comme étant peut-être la plus drôle des comédies musicales jamais écrites dans l’histoire, que pouvons-nous en dire 60 ans plus tard ?

“Le Lido 2 Paris sera une attraction unique” annonçait Jean-Luc Choplin dans un article du Journal Le Monde il y a quelques jours. Effectivement, oubliez le mythique Lido à plumes et laissez place au Lido 2 Paris, nouvelle scène dédiée au théâtre musical, repensée dans un style plus neutre, l’effet cabaret en moins. Grand fidèle de Stephen Sondheim, Jean-Luc Choplin, nouveau Directeur, lui dédie sa réouverture. Après les représentations glaçantes de Cabaret en décembre dernier, le monument incontestable du maître en la matière – Stephen Sondheim – est présenté au public français.

De Plaute au Lido 2 Paris

A première vue, il n’existe pas grand-chose entre le dramaturge latin et la salle qui rappelle le Paris d’après-guerre si ce n’est peut être un sentiment commun d’allégresse et de légèreté. L’histoire nous amène à la rencontre de Pseudolus, esclave romain qui n’a qu’un seul rêve, celui d’être libre. Une seule façon d’y parvenir, aider Hero, le fils de ses maîtres à conquérir l’être aimée – Philia -, qui n’est autre que sa voisine courtisane, promise à un autre. Et c’est là que les ennuis commencent…

Appelé à la rescousse lors de la tournée d’essai, Jerome Robbins avait demandé à Stephen Sondheim de revoir l’ouverture à quelques jours de la grande première. Cette ouverture, “Comedy Tonight”, est encore aujourd’hui l’un des plus emblématiques numéros d’ouverture, prenant le temps de présenter l’intrigue et de passer en revue les personnages ; subtile stratagème pour ne pas perdre le public dans ce dédale de patronymes romains imprononçables. En un tour de main, les notes virevoltantes de ce méga tube sont reprises par la vingtaine d’artistes recréant la société romaine antique comme on se l’imagine.

L’immersion est facilitée par les éléments de décors particulièrement réussis et moins chargés que dans les précédentes productions. Les colonnes art déco ont laissé place à de grandes colonnes romaines découvrant les maisons des trois familles dans un réalisme très juste. Jusqu’au revêtement factice en marbre de la scène, le parti pris est de recréer un univers le plus descriptif et raffiné possible. On le constate aussi dans la création de costumes de Takis, qui avec beaucoup d’élégance nous donne presque envie de revêtir les robes soyeuses des personnages féminins. On imagine aussi un petit clin d’œil aux Bluebells Girls du Lido dans les tenues colorées et voluptueuses de l’ensemble des danseuses ;  l’acrobate Senayt nous subjuge de ses contorsions spectaculaires. 

Incontestablement, la scénographie de Tim Hatley dessine parfaitement les péripéties du récit et s’octroie l’utilisation à 100% de l’espace donné (le public est même sollicité !). A la création lumières, Giuseppe Di Lorio n’est pas avare de mouvements aux multiples couleurs pour attirer ou dévier notre attention quand il le faut. Il aura fallu attendre le second acte pour faire revivre les entrailles du Lido, le temps de “Funeral Sequence and Dance ». Devant des spectateurs toujours aussi ébahis, le sol est comme aspiré pour laisser découvrir avec beaucoup de panache, la piscine et les fontaines ayant fait la renommée de la salle. Cet interlude surprise et festif est le bienvenu pour contrebalancer le temps le plus drôle de la pièce. On adore.

Une troupe exemplaire

La distribution choisie est à la hauteur de l’exigence demandée par l’œuvre. Les allures et physiques différents des comédiens créent un groupe hétérogène permettant à chacun de s’exprimer peu importe leur degré d’importance dans l’histoire. La mise en scène résolument active signée Cal Maccrystal développe notamment l’alchimie nécessaire aux duos comiques, amoureux ou même amoureux/comiques. Leurs expériences professionnelles respectives font foi et sont mises à contribution en particulier dans les scènes d’ensemble dans lesquelles une unité de jeu et vocale est présente. Nous noterons toutefois une petite différence dans l’interprétation, nous éloignant parfois de la nature pastiche du spectacle. Le duo Hero et Philia est très caricatural et contribue à la nature parodique de la comédie ; le jeu de Pseudolus est plus mesuré et extérieur le positionnant comme narrateur et donc exclu de la farce.

Rufus Hound tient donc le rôle du facétieux Pseudolus. En constante interaction avec le public, il propose un jeu plus déterminé que drôle dans sa quête de liberté et ça fonctionne. Il est entouré notamment d’Hystérium interprété par Andrew Pepper, qui passe son temps à arranger les bêtises des autres. Notre coup de cœur va à John Owen-Jones en Miles Gloriosus. Dans l’exagération ultime, ce personnage est la caricature du mâle prétentieux. Quoi de mieux que des effets de cheveux comme gimmick pour incarner ce rôle et décrocher le rire du public.

Côté personnages féminins, on ne peut pas dire qu’ils aient été épargnés. La soprano française Valérie Gabail incarne Domina, la mère de l’amoureux transis Hero. Sous le tonnerre annonçant son arrivée, ses excès de voix évoquent ceux de la Castafiore avec le même résultat. Nous découvrons avec amusement la puissance comique de Neima Naouri sous les traits de Philia. Elle forme d’ailleurs un binôme tordant avec Josh St Clair. Leur chanson “Lovely” reste un moment truculent. Quant à “Everybody Ought to Have a Maid”, il nous a totalement séduit. Côté musique, 18 musiciens répartis aux abords de la scène confirment la beauté des notes de Stephen Sondheim et la plus-value des spectacles en capacité de se doter d’instrumentistes.

Une œuvre face à son temps

A l’heure où les comédies musicales parodiques connaissent un bel engouement, A Funny Thing Happened on the Way to the Forum s’inscrit assez naturellement dans la liste des divertissements dont le pari peut sembler gagné d’avance. Succès théâtral et cinématographique, les grands noms tels que Nathan Lane ou même Whoopi Goldberg ont revêtu la toge de Pseudolus. La Générale nous a montré que, même l’excellence peut parfois souffrir du temps qui passe. Un temps concurrentiel qui n’est plus celui où les péplums très en vogue à la création de l’œuvre en 1962 avaient certainement participé à son succès, après 5 années et plusieurs modifications de l’équipe créative pour trouver le ton voulu.

Face à un public peu enclin à se laisser porter, le vaudeville musical a des difficultés à prendre de la hauteur et s’apprécier tel que ses auteurs l’ont pensé à l’époque. Là où le sujet est basé sur un comique de répétition fort (un peu daté), les apports de 2023 ont des difficultés à trouver leur place. On ne comprend pas très bien l’utilité de la marionnette du soldat Protean par exemple. La barrière de la langue y est aussi peut-être pour quelque chose. Les représentations exclusivement en anglais, sous-titrées en français peuvent altérer la spontanéité nécessaire à la compréhension et donc l’appréciation des nombreuses clowneries. Convaincus qu’une œuvre s’apprécie à sa juste valeur dans sa version originale, nous ne sommes pas tous à l’aise avec la langue de Shakespeare. Aussi, nous avons tendance à rester spectateurs de l’histoire et rester un peu loin des enjeux  et rebondissements malgré l’énergie et le talent incontestable de cette production.

Nous en retiendrons la singularité de l’œuvre dont la production est à la hauteur du travail que Jean-Luc Choplin nous propose depuis plusieurs années. A y bien réfléchir, l’appréciation d’une expérience musicale comme celle-ci dépend de beaucoup de facteurs dont l’appétence de chacun en matière de théâtre musical, mais aussi de l’émulation collective qui se fait ou pas selon la soirée. 

A Funny Thing Happened on the Way to the Forum au Lido 2 Paris est l’opportunité pour un public moins averti (n’y voyez aucun jugement) de découvrir l’œuvre de Stephen Sondheim dans des conditions – nous devons le dire – quasi uniques.

Pour vous faire votre propre avis (et nous vous le recommandons), vous n’avez plus qu’à prendre vos places par ici.

Crédit Photos : Julien Benhamou

A Funny Thing Happened on The Way to the Forum
Eve-Marie Leroy

Eve-Marie Leroy

Enfant d’une mère passionnée de films musicaux et d’un père amateur de jazz et d’opéra, je ne pouvais que tomber dans la marmite des comédies musicales. Cela fait 30 ans que Mary Poppins est entrée dans ma vie et depuis, je jongle entre les classiques de Broadway mêlant claquettes et chapeaux haut de forme et les propositions plus avant-gardistes. Grande admiratrice d’Andrew Lloyd Webber dans un corps de Responsable Ressources Humaines, MusicalAvenue est l’occasion pour moi d’intégrer une troupe de passionnés de cette belle discipline qu’est le Musical
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