Gypsy arrive à Paris pour quatre représentations à la Philarmonie de Paris avec grand orchestre et mise en espace. Une occasion à ne pas manquer ?
Le public français à la rencontre de Gypsy
Gypsy est une comédie musicale qui rassemble les trois quart de l’équipe de West Side Story : Stephen Sondheim aux paroles, Arthur Laurents au livret, Jerome Robbins à la chorégraphie. Seule la musique est composée – non par Leonard Bernstein – mais par Jule Styne à qui l’on doit également Funny Girl. Créé en 1959, le spectacle s’inspire des mémoires de Gypsy Rose Lee, une célèbre artiste de Burlesque de la première moitié du XXe siècle. La particularité de cette œuvre est de se concentrer non pas sur le personnage de Louise – qui deviendra Gypsy par la suite – mais sur le personnage de sa mère, une femme haute en couleur qui accompagne et pousse ses deux filles sur la route du succès.
Chef d’œuvre de la comédie musicale, ce spectacle est enfin présenté au public français dans une version française avec les chansons en langue anglaise dans le cadre d’une tournée dans des maisons d’opéra. A la Philharmonie, les spectateurs découvrent avec bonheur la présence de l’Orchestre de chambre de Paris sur la scène, mené par Gareth Valentine (chef d’orchestre habitué du Châtelet ou du Théâtre du Lido) : un privilège rare que d’avoir autant de musiciens au service d’une telle partition. Dès que retentissent les premières notes de l’ouverture, le public réalise la chance qu’il a de découvrir cette œuvre dans de telles conditions.

Une mise en espace très sobre pour une comédie musicale
Le spectacle présente moins une mise en scène qu’une mise en espace qui n’évolue pas véritablement sur la durée : les interprètes évoluent en effet autour de l’orchestre sur un plateau à plusieurs niveaux entouré d’ampoules. Quelques chaises et quelques valises complètent cette scénographie très sobre. Les personnages conservent les mêmes costumes tout au long du spectacle.
Pour correspondre à cette version semi-concert, le livret a été resserré et des dialogues supprimés. Cette décision nuit à la fluidité des transitions entre les numéros et prive la mise en scène de plusieurs ressors comiques. Quelque peu décorrélés de leur contexte, plusieurs traits d’humour ne parviennent pas à susciter les rires qu’ils devraient. Il y a cependant quelques belles surprises, comme la transition entre la troupe des enfants et celle des adultes pour signifier le temps qui passe, ou le numéro de Louise illustrant son ascension dans le show business ; deux belles trouvailles de mise en scène dans un espace scénique contraint. Cette sobriété permet cependant de recentrer l’attention sur les interprètes qui portent le spectacle, ne pouvant pas s’appuyer sur des éléments de décor.

Madame Rose, ses filles et les autres
Gypsy est un spectacle porté par son personnage principal : Rose. Présente sur scène pendant presque toutes les scènes, elle est l’âme et l’énergie de cette comédie musicale sans laquelle ce ne serait qu’une classique histoire de coulisses. L’interprète doit refléter la complexité psychologique passionnante de Rose, cette mère possessive qui vit ses rêves à travers ses enfants, savant mélange entre Pygmalion et Médée. Dans cette production française, le choix s’est porté sur une figure habituée des maisons d’opéras : Nathalie Dessay, que l’on a pu découvrir dans Passion ou Les Parapluies de Cherbourg. Habituée aux grands rôles de solistes, il est facile de comprendre ce qui lui aura plu chez Rose. Son interprétation manque pourtant d’aura, d’ampleur et de précision. Ce n’est que dans sa scène finale, le numéro iconique « Rose’s turn », qu’elle parvient enfin à capter le spectateur en nous offrant enfin toute la démence et la tortuosité d’un personnage qui réalise qu’il a vécu toute sa vie à travers les autres.

Face à elle, ses deux filles sont interprétées respectivement par Medya Zana dans le rôle de June et Neïma Naouri dans le rôle de Louise. Toutes deux incarnent avec beaucoup de justesse leurs personnages, en particulier dans leur duo. Cependant, s’il ne fallait retenir qu’un seul moment de ce spectacle, ce serait le strip-tease de Gypsy Rose Lee incarné avec une telle présence par Neïma Naouri (A Funny Thing Happened on the Way to the Forum, Company) que tout le public retient son souffle devant sa performance. Elle a tout compris de la transformation de Louise, qu’elle offre avec humour et sens du détail aux spectateurs.
L’ensemble du spectacle n’est pas en reste. Que ce soient les quatre garçons ou les quatre Hollywood blondes, ils apportent leur énergie et leur polyvalence dans de grands numéros dansés et chantés. Mention spéciale pour Antoine Le Provost qui allie avec brio ses talents de danseur et de chanteur.

Gypsy est donc un spectacle à ne pas manquer à la Philharmonie de Paris jusqu’au 19 avril 2025. Bien que l’on aurait souhaité que le spectacle ait droit à une véritable mise en scène avec une scénographie à la hauteur de la qualité de l’œuvre, cette production demeure l’occasion précieuse de redécouvrir une partition sublime dans une orchestration unique avec des interprètes de talent ! Il reste quelques places pour les prochaines dates avant que le spectacle ne continue sa tournée.