Critique : « Jerome Robbins » au Palais Garnier jusqu’au 12 novembre 2023

Temps de lecture approx. 6 min.

Alors que les représentations de West Side Story viennent de débuter au Théâtre du Châtelet, le Ballet de l’Opéra national de Paris rend hommage à son chorégraphe Jerome Robbins. Une occasion idéale pour approfondir le style de ce génie de la danse.

Cela faisait presque cinq ans que le Ballet de l’Opéra national de Paris n’avait pas proposé d’œuvres de Jerome Robbins sur la scène de Garnier. Il faut remonter au superbe programme réunissant Fancy Free, Suit of Dances, Afternoon of a Faun et le chef d’œuvre Glass Pieces ! Pourtant le chorégraphe américain fait partie intégrante du répertoire de l’institution parisienne depuis les années 70, au même titre que George Balanchine, l’autre maître de la danse classique américaine, mis à l’honneur l’an dernier. Les danseur.euse.s d’aujourd’hui semblent d’ailleurs s’épanouir pleinement dans le style de Robbins, mettant en valeur leur poésie et musicalité, bien plus que dans la vélocité balanchinienne. Lui-même aimait beaucoup travailler avec ces artistes et a légué à la troupe plus d’une dizaine de pièces. Ce programme automnal, montrant au plateau trois ballets très différents du chorégraphe, est donc accueilli avec un grand plaisir, dans la salle comme sur scène.

Grand chorégraphe de ballets, Jerome Robbins est surtout connu pour son immense contribution à l’utilisation de la danse dans la comédies musicales américaines. Si George Balanchine et Agnes De Mille avaient déjà posé des bases (très) solides, Robbins est allé encore plus loin dans la narration chorégraphique à Broadway. On peut le remarquer dans On The Town, mais surtout dans West Side Story où plus personne n’ose toucher son travail.

Swing et maillots de bain

C’est donc dans une ambiance de comédie musicale que la soirée s’ouvre avec En Sol. Le rideau s’ouvre sur six danseuses en maillot de bain, rappelant ainsi les films avec Esther Williams, sur un concerto de Ravel aux accents jazzy. Par moment on croit entendre des bribes mélodiques du fameux American in Paris de Gershwin, composé trois ans plus tôt.

Hugo Marchand et Hannah O'Neill dans En Sol © Svetlana Loboff / OnP

Le ballet a une construction des plus classiques : un premier mouvement où les garçons font du charme à l’Étoile féminine pendant que l’Étoile masculine roule des mécaniques devant les filles, un adage central où les deux Étoiles se retrouvent et un final ébouriffant où tout le monde tourbillonne dans tous les sens.

Si En Sol n’est pas l’une des œuvres majeures du maître, on se laisse aisément emporter par cette ambiance festive et marine. Le couple principal lors de cette soirée de première, Hannah O’Neill et Hugo Marchand, rivalisent de charme et de glamour dans les parties d’ensemble, s’amusant des difficultés techniques et montrent une belle connivence envers le corps de ballet. Ce dernier n’est pas en reste et a livré une belle prestation, surtout du côté des femmes où de fortes personnalités se distinguent. Malheureusement, il manquait au couple étoilé une certaine osmose lors du pas de deux central. C’était très agréable à regarder mais il manquait une pointe d’émotion pour être pleinement emportés.

Une belle nuit étoilée

De l’émotion on en trouve du côté d’In the Night, la deuxième pièce de ce programme. Sur quatre nocturnes de Chopin (le compositeur fétiche du chorégraphe), trois couples se succèdent représentant trois états amoureux. Le premier symbolise le jeune amour, avec sa fraîcheur et ses débordements. Le second montre l’amour mature, plus sage que le premier mais aussi plus sincère. Quant au troisième, le plus dramatique, c’est l’amour passionnel qui est représenté.

Créée en 1970 pour le New York City Ballet, cette pièce est devenue un tube de la danse néo-classique et presque toutes les grandes compagnies le dansent aujourd’hui. On comprend pourquoi ! Ce ballet, véritable parenthèse poétique, offre un moment hors du temps.

Ludmila Pagliero et Mathieu Ganio dans In the Night © Svetlana Loboff / OnP

Accompagné.e.s par la pianiste Ryoko Hisayama, les cinq Étoiles et le premier danseur de cette distribution ont parfaitement su retranscrire les différentes nuances de l’œuvre. Ces trois couples ont l’habitude de danser ensemble et ça se sent. Sae Eun Park impressionne dans le premier pas de deux par la pureté de sa danse. Elle est parfaitement soutenue par son partenaire Paul Marque, même si le rôle masculin de ce passage est peut-être le moins valorisant.

Mais le moment de grâce vient du couple formé par Ludmila Pagliero et Mathieu Ganio. Les deux artistes se connaissent bien et ont une alchimie particulière en scène. Dès le début de leur pas de deux, alors qu’iels sont encore immobiles, une histoire se raconte. C’est beau, profond et les minutes filent en leur compagnie tant on est happé dans leur tourbillon de sentiments. Définitivement le moment fort de cette soirée.

Un éclat de rire chorégraphique

Le programme se conclut sur une note plus légère et enlevée. Toujours sur une partition de Chopin, The Concert nous invite à un récital de piano où les spectateur.rice.s deviennent complètement incontrôlables. Ce ballet nous permet de découvrir une nouvelle facette de Jerome Robbins : son humour. Pour celles et ceux qui pensent que l’on s’ennuie poliment à l’opéra, il faut voir le public de Garnier rire aux éclats devant les facéties présentée sur scène, et ce dès l’arrivée de la pianiste, Vessela Pelovska, qui prend visiblement un malin plaisir à se tourner en dérision.

La distribution du soir a fait un sans faute et semblait véritablement s’amuser sur le plateau. L’Étoile Léonore Baulac est irrésistible dans son rôle de ballerine pimbêche et délurée. Elle se lance à corps perdu dans la chorégraphie, notamment dans l’hilarant pas de deux avec le « shy boy », se jetant violemment dans les bras d’Antoine Kirscher.

Léonore Baulac dans The Concert © Svetlana Loboff / OnP
Léonore Baulac dans The Concert © Svetlana Loboff / OnP

À ses côtés, Arthus Raveau et Héloïse Bourdon, respectivement le mari goujat et l’épouse bourgeoise, surprennent de drôlerie dans un registre où on ne les attendait pas forcément. Cette dernière mène avec Marine Ganio (parfaite en « angry lady ») la Valse des erreurs, un sextet désopilant où les danseuses ne cessent de se tromper, sûrement le clou de cette pièce.

Le tout se termine avec une cavalcade de papillons (oui, oui) qui fait directement allusion au deuxième acte de Giselle. The Concert est un véritable concentré de bonne humeur qui nous donne envie d’enfiler  nos ailes de papillons et de rejoindre le corps de ballet.

En somme une bien belle soirée de danse et un bel hommage à Jerome Robbins, entre swing, poésie et humour ! Ces trois œuvres nous prouvent que, même sans cadre narratif précis, le « chorégraphe de West Side Story » sait parfaitement nous raconter des histoires.

Jerome Robbins
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Romain Lambert

Membre de Musical Avenue depuis juin 2012, je suis passionné bien évidemment de comédies musicales mais aussi de ballets. Je passe la majorité de mes soirées entre l'Opéra Garnier, Bastille et le Théâtre du Châtelet. Je voue un véritable culte a Stephen Sondheim et j'essaye de chanter "Glitter and be Gay" sous la douche.
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