Tu seras libre ma fille
Le 15 mai 1898, Léonie Bathiat voit le jour à Courbevoie d’une mère lingère et d’un père conducteur de tramway. Toute sa vie sera faite de rencontres : amicales, amoureuses, cinématographiques. Elle sera « petite femme de revue » au Théâtre des Capucines. En souvenir d’une héroïne de Maupassant, Léonie décidera de s’appeler Arlette, qui deviendra Arletty pour faire plus « angliche » quelques années plus tard.
Esprit libre dès le plus jeune âge, elle qui ne voulait pas faire de cinéma muet profite de l’arrivée du cinéma parlant en 1930 pour commencer sa carrière et deviendra l’une des plus grandes actrices de son siècle avec Hôtel du Nord, Les Visiteurs du Soir, Les enfants du Paradis comme arguments de son talent.
Elle sera aussi cette femme follement amoureuse d’un officier allemand pendant l’occupation qui sera arrêtée en raison de sa liaison affichée. L’occasion de répondre le fameux « Si mon cœur est français, mon cul, lui, est international ! ». Cette liberté de vie, de ton et de choix est joliment retranscrit grâce à la coécriture d’Elodie Menant et Eric Bu, s’étant attelés à apporter de la vérité et du réalisme au récit.
Le témoignage d’une époque
« Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, bienvenue aux Folies Arletty ! Ce soir, je passe ma vie en revue !». Arletty est notre hôte le temps d’un spectacle, créant une proximité immédiate avec un public à l’écoute.
Elodie Menant joue Arletty. Témoins de son existence, elle d’adresse aux spectateurs avec toute sa gouaille parisienne brisant le 4ème mur sans cesse. Cette jonglerie est assez bluffante tant les changements public/scène sont pertinents dans la logique du récit. Le public aurait pu se perdre dans la multitude de références faites. La pièce s’organise habilement nous faisant traverser le XXème siècle en version express mais en se raccrochant à des bribes d’informations parsemées.
Johanna Boyé signe une mise en scène soignée et virevoltante donnant du fil à retordre à la troupe car tout va très vite. La chanson reste présente nous rappelant qu’Arletty elle-même a joué dans plusieurs comédies musicales et enregistré plusieurs chansons. Amoureux du swing ou de la chanson d’entre-deux-guerres, vous ne serez pas déçus.
Les décors aident parfaitement à s’immerger, s’organisant autour de décors toujours en mouvement. Certains éléments restent fixes dont un rideau de cordes transparent pour mieux faire la distinction entre les scènes et appuyer les changements d’épisodes de sa vie mouvementée dont elle se relève toujours plus forte.
Une troupe criante de vérité
Une belle histoire sans de bons acteurs peut vite perdre de sa nature. Elodie Menant (Le Soldat Rose) est bien évidemment sublime dans le rôle-titre donnant à la fois de la force et de la sensibilité au personnage. Pas de caricature mais une étonnante ressemblance qui nous fige dès son arrivée sur scène. Elle devient Arletty jusque dans le phrasé et la posture. Aucun doute sur son identité et l’identité des 35 personnages que ses trois comparses interprètent avec une grande sincérité et subtilité.
C’est avec beaucoup de fascination que nous découvrons l’entourage d’Arletty grâce à Céline Espérin (Aime comme Marquise), Marc Pistolesi (A ces idiots qui osent rêver) et Cédric Revollon (Le livre de la jungle). Un entourage marquant comme Louis-Ferdinand Céline, Jacques Prévert ou encore Jean Cocteau qui nous rappellent l’importance de la présence de l’héroïne dans le milieu artistique de l’époque.
A l’aide de quelques artifices, le Général De Gaulle apparaît sous nos yeux le temps d’un appel tandis que Jean Gabin souffle « t’as de beaux yeux, tu sais » à Michèle Morgan dans Quai des Brumes sous nos yeux mouillés. Les 3 comédiens suffisent à endosser chaque personnage avec singularité. Une voix, un geste suffisent à recréer un nouveau rôle sur l’instant et nous faire oublier le précédent. C’est magistral.
Arletty est aussi cette femme qui passera les 30 dernières années de sa vie à voir partir les siens. Elle s’éteint à l’âge de 94 ans atteinte de cécité et nostalgique d’une époque révolue. L’attachement à ce personnage est sans appel ainsi que la qualité de notre rendez-vous. De nos jours, une telle liberté semble impossible. Arletty, c’est la modernité. Alors, quoi de mieux que Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty pour un retour dans un passé qui nous paraît très très loin. Un vrai et grand MERCI à toute l’équipe pour cette rencontre au sommet.