Critique : "Nelligan" au Théâtre du Nouveau Monde de Montréal

Temps de lecture approx. 4 min.

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30 ans après sa création, l’opéra romantique de Michel Tremblay et André Gagnon est revisité sur la scène du TNM à Montréal. Une version intime avec deux pianos et un violoncelle pour raconter l’histoire troublante du mythique poète québécois Émile Nelligan. Un poète maudit au génie précoce, incompris de son temps, dont la pièce retrace la destinée tragique.

Nelligan, poète incompris

C’est dans le silence que s’ouvre le spectacle. Pas une seule note pour alléger l’austérité du décor de l’asile où Émile Nelligan, âgé, se trouve. Quatre bonnes sœurs qui préparent les lits du dortoir, un professeur de littérature fasciné par le génie du poète. La mémoire défaillante, Nelligan n’arrive pas à se rappeler les vers de son plus célèbre poème : Le Vaisseau d’or.
Puis, c’est le poète, jeune, que l’on découvre, gai et insouciant, amoureux des mots qui font vibrer son âme. Si son enthousiasme est partagé par sa mère, son père ne voit pas d’un bon œil la lubie de son fils. L’Irlandais rigide, campé par Frayne McCarthy (Mamma Mia!), s’opposera en effet très tôt aux envies créatives du jeune Émile, décidant même de l’interner quand celles-ci dépasseront l’entendement.
Lourd, bouleversant, touchant… La pièce laisse peu de moments d’accalmie aux spectateurs. Frôlant parfois le mélodrame, on ne peut pourtant qu’être frappé de plein fouet par cette histoire injuste d’un jeune poète incompris d’une époque figée dans ses conventions. Nelligan, figure troublée, dévorée par son art, était aussi aux prises avec certains problèmes mentaux dans un Québec qui, au tournant du vingtième siècle, rangeait tous les êtres en souffrance sous l’étiquette de « fous ».
Transmettre l’indicible
Cette souffrance, cette émotion indicible, ce mal-être douloureux qu’habitait Nelligan est bien là, au cœur de la pièce. Un sentiment pourtant indescriptible que le spectacle transmet si bien. Dans la musique, si juste, du compositeur québécois André Gagnon. Dans les paroles, si poignantes de Michel Tremblay. Dans le jeu, si troublant, des artistes.
Émile Nelligan, jeune et fougueux, partage ainsi la scène avec son alter ego, vieux et résigné. Dominique Côté et Marc Hervieux interprètent le même personnage à 40 ans de différence. Des performances posées et émouvantes, autant dans le jeu que vocalement. Chacun nous dévoile un aspect du poète ; deux vies qui se rencontrent et qui ne forment plus qu’une au final. Marc Hervieux en Nelligan âgé ne quitte pratiquement pas la scène, spectateur de ses propres souvenirs. Dominique Côté, dans la peau du poète jeune, parvient habilement à faire la transition entre l’innocence du départ de Nelligan et la prise de conscience du sort qu’on lui réserve. 
Un spectacle qui ne laisse pas indifférent
Kathleen Fortin (Belles-Sœurs) livre une performance particulièrement émouvante en mère aimante et complètement désemparée. Isabeau Proulx Lemire et Jean-François Poulin (Mary Poppins), en amis de la bohème, nous font voir la réalité des poètes de l’époque, issus de familles humbles ou bourgeoises comme l’était Nelligan. Jean Maheux (L’Homme de la Mancha), en Père Eugène Seers, représente le rôle influent de l’Église dans la société québécoise de jadis.
Le tout est porté par des décors réduits à l’essentiel, mais extrêmement parlants. Les costumes permettent de mieux s’imaginer l’époque relatée. Les éclairages sont toujours à propos. Visuellement, la pièce reste sobre et discrète ; peu d’artifices pour se concentrer sur l’histoire.
Percutant, traitant de manière très juste l’incompréhension de la différence et de la maladie mentale, Nelligan est aussi un spectacle qui fait réfléchir. Une pièce-hommage à un grand poète, dont l’œuvre pourtant courte aura marqué le Québec. À voir jusqu’au 16 février 2020.


Nelligan, de Michel Tremblay (livret) et André Gagnon (musique)
Du 14 janvier au 16 février 2020 au Théâtre du Nouveau Monde de Montréal
Mise en scène : Normand Chouinard ; Arrangements musicaux : Anthony Rosankovic ; Direction musique : Esther Gonthier ; Décor : Jean Bard ; Costumes : Suzanne Harel ; Éclairages : Claude Accolas ; Accessoires : Normand Blais ; Maquillages : Jacques-Lee Pelletier ; Perruques et coiffures : Rachel Tremblay assistée de Sarah Tremblay ; Assistance à la mise en scène et régie : Geneviève Lagacé.
Avec : Marc Hervieux, Dominique Côté, Nadine Brière, Nathalie Doummar, Kathleen Fortin, Noëlla Huet, Laeticia Isambert, Jérémie L’Espérance, Jean Maheux, Frayne McCarthy, Cécile Muhire, Jean-François Poulin, Isabeau Proulx Lemire, Linda Sorgini, Léa Weilbrenner Lebeau.
Musiciens : Carla Antoun, Rosalie Asselin, Esther Gonthier, Marie-Eve Scarfone. 
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Image de Nathalie Katinakis

Nathalie Katinakis

Bercée par les tubes de "Starmania" durant l'enfance, c'est "Cats" qui me donne la piqûre pour de bon quand je me plonge enfin dans son univers en 2010. Dans la foulée, je découvre le West End et rejoins l'équipe de Musical Avenue dès 2011, couvrant les spectacles montréalais depuis le Québec où je réside.FB/IG:@uneportesurdeuxcontinents
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