Critique : "Le Mardi à Monoprix", d'Emmanuel Darley au Théâtre Ouvert

Temps de lecture approx. 4 min.

Critique : "Le Mardi à Monoprix", d'Emmanuel Darley au Théâtre Ouvert"Tout le monde me regarde le mardi. Tout le monde.
Me regarde avec le coin de l’œil comme si discret mais en fait pas du tout.
Le mardi c’est le jour que je passe là-bas à lui rendre service à lui faire son ménage sa lessive. Son repassage."

"Lui", c’est André : son père, petit vieux acariâtre veuf depuis peu.
"Je", c’est Marie-Pierre, belle femme corpulente qui ne laisse personne indifférent.
Et pour cause : autrefois, Marie-Pierre était Jean-Pierre.

Le Mardi à Monoprix n’est pas une comédie musicale, mais si j’ai choisi de vous en parler aujourd’hui, c’est que dans cette pièce formidable, la musique tient un rôle de premier plan.

La prose se fait mélodie

Tout d’abord, il y a l’écriture d’Emmanuel Darley. L’auteur a su conférer à son texte une âme un peu surnaturelle : les phrases s’allongent, leur ponctuation se perd en chemin et nous déroute dans un premier temps, puis elles prennent un caractère désuet en jouant sur des tournures elliptiques ou qui s’inversent.
Le récit, banalement ancré dans le quotidien d’un mardi comme un autre, prend dans la bouche de sa narratrice une allure musicale qui l’éloigne peu à peu du simple monologue de théâtre. La poésie s’empare de la moindre phrase, et l’émotion du personnage entraîne sa voix sur le chemin du chant.
Jusqu’à l’instant magique où l’ennui d’une après-midi de sieste distant le temps au point de transformer le discours en une plainte lyrique au rythme lent, seul passage chanté de la pièce.

Omniprésente, la contrebasse de Philippe Thibault se fait à la fois le miroir de la silhouette de Marie-Pierre et celui de ses émotions : ne cherchez pas à identifier une mélodie, l’instrument opère ici un accompagnement libre qui souligne les états que traverse l’héroïne.

De par ces deux éléments fondamentaux de la mise en scène de Michel Didym, Le mardi à Monoprix s’inscrit dans un registre de théâtre musical qui va à l’encontre des codes du genre. Et en présence d’une œuvre aussi poignante, il est délicieux de se laisser dérouter de la sorte !

Jean-Claude Dreyfus plus belle que jamais

Jean-Claude Dreyfus dans le rôle de Marie-PierreDans le rôle de Marie-Pierre, Jean-Claude Dreyfus offre une interprétation bouleversante et d’une justesse redoutable. De l’instant où il investit la scène jusqu’à son ultime départ à la fin des saluts, la tension, la révolte, et toutes les autres émotions de son personnage sont palpables.
Loin du registre cocasse des cabarets transformistes dans lesquels il fit ses classes dans les années 1970 (La Grande Eugène), Jean-Claude Dreyfus compose un rôle de transsexuel débordant d’humanité, un appel à la tolérance, d’une beauté simple et tendre qui ne laisse pas indifférent. Sublime dans ce rôle féminin, on se prendrait presque à croire qu’il a toujours été "telle quelle".
La schizophrénie perpétuelle de son personnage (tantôt parlant de sa propre voix, tantôt imitant les grognements sourds de son père) est explorée avec tant de talent qu’on croirait voir le petit vieux s’animer devant nous, malgré la robe, le maquillage et les talons hauts de Marie-Pierre.

Servie par la superbe scénographie d’Olivier Irthum, la pièce offre de façon presque paradoxale sa plus belle image lors du salut des interprètes, alors que la plantureuse Marie-Pierre tient la main de son éphèbe contrebassiste, comme deux images rapprochées du jeune homme qu’elle fût et de la femme épanouie qu’elle est devenue.

On rit, on s’émeut, on déborde de tendresse à l’égard de ce personnage (pas si) atypique, et en dépit d’un dénouement cinglant et un peu décevant, on passe un moment merveilleux.
Allez-y.


Le Mardi à Monoprix, d’Emmanuel Darley
Avec Jean-Claude Dreyfus et Phillipe Thibault (création musicale)
Mise en scène : Michel Didym, assisté de Raynaldo Delattre –  Scénographie et lumières : Olivier Irthum – Son : Pascal Flamme – Régie : Delphine Grandmontagne / Bruno Berger / Virginie Galas

À Paris du 24 novembre au 19 décembre au Théâtre Ouvert.


En tournée : les 22 et 23 décembre au Théâtre Varia de Bruxelles;  le 8 janvier 2010 au Théâtre du Pays de Morlaix; le 12 janvier 2010 au ATP d’Épinal; les 14, 15 et 16 janvier 2010 à Pantin.

Le site de Jean-Claude Dreyfus : http://www.jeanclaudedreyfus.fr

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