Critique : "Show Boat" au Théâtre du Châtelet

Temps de lecture approx. 6 min.

Critique : "Show Boat" au Théâtre du ChâteletPièce fondatrice parmi les grands musicals de Broadway, Show Boat est actuellement présentée au Théâtre du Châtelet par une troupe tout droit venue de l’Opéra du Cap en Afrique du Sud. Lors de l’émission 42e rue consacrée à ce spectacle de Jerome Kern et Oscar Hammerstein II, Albert Horne, le directeur musical, a revendiqué un retour aux origines de l’œuvre créée à Broadway en 1927. Immersion dans le Mississippi du XIXe siècle, après la guerre de Sécession et avant l’avènement de Martin Luther King…

Une véritable superproduction mais…

Indéniablement, cette production de Show Boat n’a pas lésiné sur les moyens, en témoignent les décors gigantesques et sophistiqués, ainsi que les costumes aussi nombreux que magnifiques. Malgré des éléments parfois superflus, l’ensemble a fière allure, conjugué à une mise en scène conventionnelle mais bien pensée et à un très beau jeu de lumières, rendant l’ensemble fluide et très agréable à regarder. L’orchestration est au diapason et met parfaitement en valeur la partition de Jerome Kern. Malgré tout, quelques problèmes dans les réglages de micro, plutôt inhabituels à ce niveau de qualité, pénalisent parfois les artistes.

Le choix de se rapprocher des premières versions du spectacle est aussi intéressant que contestable. Cela permet d’abord une immersion totale dans cette époque charnière de l’histoire américaine, et on sent à tous les niveaux une véritable recherche historique sur le demi-siècle que parcourt Show Boat. La mise en scène, qui montre notamment la ségrégation entre populations, est d’autant plus déstabilisante qu’elle paraît tout à fait adéquate dans l’écriture, reflet d’une époque heureusement révolue. Ce "flashback" se retrouve également dans les chorégraphies, qui ne sont pas sans rappeler l’univers des opérettes en vogue à l’époque. En revanche, s’il est établi que ce musical est l’un des premiers à présenter un livret avec une dimension dramatique, l’histoire est indéniablement assez naïve et les personnages peu approfondis.

En particulier, le final du premier acte est très réussi et nous place en attente de l’intrigue qui semble enfin démarrer. Pourtant, le deuxième acte, bien que plus riche en chansons, traite trop rapidement le contenu et laisse la sensation désagréable que la fin de l’histoire est un peu expédiée. On peut, certes, le replacer dans le contexte du Broadway des années 1930, dans lequel le spectateur allait au théâtre avant tout pour se divertir. Il n’en demeure pas moins que les 2h30 de spectacle contiennent des longueurs parfois pesantes pour le spectateur de 2010, montrant que même un grand classique peut prendre quelques rides avec le temps…

Une troupe talentueuse pour des personnages inégaux

D’une façon générale, le spectacle aurait pu aller plus loin dans l’émotion. Si certains tableaux sont sublimes, tels le "Ol’ Man River" interprété magistralement par Otto Maidi ou le retour de Ravenal à la fin, les personnages restent relativement superficiels. Show Boat illustre finalement assez cette transition vers le musical, l’histoire parvenant rarement à se détacher de l’opérette gentiment désuète, et à transmettre une véritable empathie. On pourrait aussi souhaiter que la trame amoureuse légère laisse davantage la place au fond, à savoir la condition invivable des Noirs de l’époque. Julie, peu présente par rapport au couple Magnolia/Ravenal malgré son destin tragique, est le symbole parfait de ce déséquilibre.

La plus grande force de cette production est très clairement sa troupe, aussi nombreuse que talentueuse. A commencer par les personnages principaux, qui chantent aussi bien qu’ils jouent. Le couple Janelle Visagie alias Magnolia et Blake Fischer alias Gaylord Ravenal fonctionne à merveille, et confirment le talent entrevu lors de l’émission 42e rue. Otto Maidi est extraordinaire dans le personnage de Joe et a reçu une ovation méritée de la part du public du théâtre parisien. Que dire également de Malcolm Terrey, comédien jubilatoire dans ses habits de capitaine du bateau ?

Le plus réjouissant tient probablement au nombre d’artistes sur scène, avec au total plus de 50 comédiens, chanteurs et danseurs qui animent les planches. Ainsi, il se dégage une force étonnante, tant dans l’occupation de l’espace que sur le plan sonore, surtout si l’on prend en compte la formation orchestrale très complète. En bref, le rendu est saisissant, et les tableaux de groupes assez sensationnels.

Que penser, au final, de ce Show Boat ? Il s’agit d’un très beau spectacle à voir ne serait-ce que pour le témoignage historique enrichissant qu’il constitue. La troupe de l’Opéra du Cap démontre également qu’elle n’a rien à envier aux plus belles productions américano-européennes, proposant un travail de très grande qualité, et affichant un vivier d’artistes extrêmement talentueux. Malgré un propos naïvement obsolète, c’est l’occasion de découvrir un des plus grands classiques de l’histoire du musical dans une production où l’on en prend plein la vue. Le public ne s’y est pas trompé, applaudissant chaleureusement et longuement les artistes à leur sortie de scène.

Découvrez "Can’t Help Lovin’ Dat Man", interprété par Angela Kerrison :

Crédits photos : Malin Arnesson


Show Boat de Jerome Kern et Oscar Hammerstein II

du 2 au 19 octobre 2010

Théâtre du Châtelet
1, place du Châtelet
75001 Paris

Direction musicale : Albert Horne ; Mise en scène : Janice Honeyman ; Décors : Johan Engels ; Costumes : Birrie le Roux ; Chorégraphie : Timothy le Roux ; Lumières : Mannie Manim ; Capitaine de danse : James Bradley ; Musiciens : Orchestre Pasdeloup.

Personnages principaux : Janelle Visagie / Mandie De Villiers-Schutte, Blake Fischer, Angela Kerrison, David Chevers, Diane Wilson, Malcolm Terrey, Miranda Tini, Otto Maidi / Paul Madibeng, Dominique Paccaut, Byron-Lee Olivato, Graham Clarke, James Lithgow, Glenn Swart, Marie Midcalf, Anthony Downing, Alexander Tops, Christopher Dudgeon, Marvin Kernelle et Jacobi de Villiers.

Ensemble : Andrew Lightley, Revano Singh, Robert Finlayson, Surika Green, Carynn Wolff, Nallie Danelle Smuts, Suan Steyn, James Bradley, André de Beer, Ignatius Van Heerden, Peter Johnson, Bronwyn Garlick, Faye Wood, Nacia Erasmus, Simone Mann, Tshepo Mohomane, Nosiseko Mbundu, Bukelwa Velem, Michelle Saldanha, Tina Mene, Thembela Foloti, Thandiwe Mesele, Andiswa Nginingini, Lilitha Peter, Vuyisile Hlaka, Lindile Kula, Andile Tshoni, Lusindiso Dubula, Anele Tame, Nkosana Sitimela, Lubabalo Velebayi, Khaya Slevu, Akhona Dudumashe.

En gras les artistes de cette critique basée sur la représentation du 5 octobre 2010.

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