Passion, créativité, persévérance sont quelques mots qui nous viennent en tête lorsque nous avons rencontré Nina Lacour. En choisissant Beetlejuice pour son TFE, elle marque sa différence avec une œuvre moderne (jouée à Broadway pour la première fois en 2019), sombre et drôle, en un mot originale.
Note de la rédaction : cet article est présenté comme une retranscription des échanges avec les cheffes de projet, sous forme de questions/réponses ; nous conservons volontairement certaines formulations orales dans les lignes qui suivent.
Musical Avenue (M.A.) Bonjour Nina, peux-tu nous raconter ton parcours ; comment es-tu venue à la comédie musicale et à intégrer le Cours Florent?
Nina Lacour (N.L.) : J’ai commencé à faire du théâtre à l’âge de 11 ans. J’ai suivi des cours privés, puis j’ai intégré le conservatoire d’Aix-en-Provence d’où je suis originaire. Je me suis ensuite intéressée au monde du cinéma, et c’est finalement Beetlejuice qui m’a fait revenir vers le théâtre à un moment donné. Juste avant la pandémie, j’ai repris des cours de théâtre et renoué avec ma passion. Mes parents m’ont encouragée à rejoindre le Cours Florent.
L’intérêt pour la comédie musicale a toujours été en moi, bien que je n’aie jamais osé m’y investir pleinement car nous ne sommes pas une famille de grands chanteurs (même si j’adore ça). Ma jeunesse a été imprégnée de musicals comme Mozart l’Opéra Rock, Spamalot, Mamma Mia!, et cela m’a poussé à en découvrir davantage, à m’intéresser aux productions de Broadway. À mon arrivée au Cours Florent (où j’ai été acceptée directement en deuxième année après audition), je possédais déjà une base de connaissances. Bien que je n’aie pas pu suivre le module de comédie musicale pour des raisons financières, j’ai assisté à toutes les représentations de mes camarades et me suis immergée dans l’univers de la comédie musicale.
M.A. : Pourquoi as-tu choisi Beetlejuice pour ton TFE ?
N.L. : Cela fait longtemps que j’ai cette envie dans ma tête. Lorsque la fin de la deuxième année est arrivée et que les projets de TFE ont été évoqués, j’ai plaisanté avec certains amis de classe en leur disant que je les imaginais parfaitement dans tel ou tel rôle. Cette idée continuait de me trotter dans la tête pendant l’été. A force d’en parler et de croiser des gens tout aussi motivés que moi pour s’occuper de la mise en scène ou pour jouer les rôles, le « cast » était quasiment réuni. En octobre 2022, nous avons lancé officiellement le projet. J’ai rencontré de nouvelles personnes qui sont devenues depuis de très bons amis. Bien que le projet semblait risqué, car la moitié du casting n’était pas issu du cursus de comédie musicale, nous avons persévéré. Je joue moi-même le rôle de Beetlejuice, là aussi c’est un aspect qui peut être inattendu. Malgré les doutes (et parfois un peu de scepticisme de certains de nos camarades), nous avons créé quelque chose d’extraordinaire et nous sommes fiers de notre parcours atypique.
M.A. : D’où te vient ton amour pour l’univers de Beetlejuice?
N.L. : À l’époque, je travaillais à La Poste. Tout en triant le courrier et en faisant mes tournées, j’avais l’habitude d’écouter les enregistrements des spectacles de Broadway, et la sortie de l’album de Beetlejuice a attiré mon attention, bien que je n’aie pas gardé un bon souvenir du film de Burton à l’origine. J’ai finalement décidé de lui donner une chance et j’ai été agréablement surprise. Les performances vocales des chanteurs m’ont impressionnée, les paroles étaient amusantes, et j’ai passé une semaine à n’écouter que cet album.
Au plus j’écoutais les musiques, au plus ma passion pour ce spectacle grandissait. Je suis également une fervente adepte du cosplay. Pour Halloween, j’ai décidé de créer un costume de Beetlejuice tout en écoutant l’album. C’est à ce moment-là que quelque chose s’est réveillé en moi. J’ai également repris des cours de théâtre grâce à cette comédie musicale, alors que je traversais une période de deuil ; Beetlejuice faisant écho à mes moments de vie. A tel point qu’avec ma meilleure amie nous sommes allés à New York pour voir le spectacle. J’ai aussi profité de la période de confinement (on se souvient de notre état d’esprit assez particulier pendant le COVID-19) pour confectionner des cosplay pour tous les personnages. En arrivant en troisième année au Cours Florent, j’avais déjà tous les costumes des personnages principaux, ce qui nous a fait gagner beaucoup de temps dans la préparation du TFE.
Beetlejuice est la concrétisation logique de mon parcours artistique, car il réunit tout ce que j’aime voir sur scène : une combinaison de moments drôles et profonds, un humour marqué (qui peut parfois diviser), et des acteurs qui excellent dans l’improvisation. C’est exactement ce que je recherche en tant qu’actrice. J’admire la capacité à transformer une situation difficile en quelque chose de positif. Tout comme Beetlejuice se démarque à Broadway, ce TFE sort des sentiers battus.
M.A. : Tu as eu la chance de voir le spectacle en version originale, comment puises-tu ton inspiration pour ton TFE?
N.L. : Dès le début je savais que je ne pourrai pas recréer une version exacte de Broadway et qu’il faudrait l’adapter avec nos moyens et notre culture. Mais c’est aussi difficile de se détacher d’une œuvre que j’affectionne et que j’admire. C’est pour cela que j’ai demandé à Eliott Appel (qui jouait Her Schultz dans Cabaret au spectacle de fin d’année) de s’occuper de la mise en scène. Aloïs Genestier s’est joint à nous, il est plein de bons conseils et sait prendre du recul sur une situation, il m’a aussi beaucoup aidée pour le dossier artistique. Eliott se révèle très à l’aise pour son premier projet en tant que metteur en scène. Aloïs n’est pas à son coup d’essai puisqu’il a déjà fait son propre TFE l’année dernière, cela nous apporte beaucoup, notamment en termes de chorégraphies.
Le plus dur pour moi est de choisir quels passages supprimer ou quelles parties raccourcir. Il n’y aura pas d’entracte pour le TFE. Par rapport à la version originale, nous devons donc tout repenser en termes de cohésion d’écriture, de possibilité de changement de costumes, d’enchaînements musicaux. J’ai choisi de traduire le livret et les dialogues mais de laisser les chansons en anglais, et je me suis occupé du surtitrage. Et pour l’histoire générale, je souhaite proposer ma propre vision plutôt que d’imiter Broadway. Avec Eliott nous partageons la même vision artistique et nous avons beaucoup de points communs, y compris en termes d’humour. Avec Aloïs, ils me recadrent régulièrement car ils ont l’intuition de ce qui fonctionnera le mieux pour le public.
Finalement c’est une force pour moi de connaître aussi bien le spectacle. Beetlejuice a ceci de particulier de présenter des personnages différents de ce dont on a l’habitude, parfois caricaturaux, parfois dérangeants. Il faut cependant aller au-delà des clichés pour se rendre compte qu’ils ont des psychologies compliquées avec beaucoup de problématiques non dites, mais qui expliquent leurs actions. Ce sont des personnages que je comprends à mon niveau, et ça nous a fait gagner du temps pour expliquer comment les interpréter pour les rendre profondément humains et réels.
M.A. : As-tu peur de perdre en cohérence en enlevant des scènes?
N.L. : Je fais très attention à ce que nous enlevons. Nous avons décidé de supprimer deux chansons qui figurent dans la version scénique mais ne sont pas sur l’album. Malheureusement, nous ne disposions pas des instrumentaux de ces chansons, ce qui aurait compliqué leur intégration. Nous avons aussi raccourci le passage dans le Netherworld en retirant les personnages de Miss Argentina et des nouveaux décédés, car nous n’avons pas assez d’artistes sur scène pour faire un ensemble qui peut porter ces tableaux. Ces choix ont été difficiles pour moi en tant que fan de Beetlejuice, j’ai dû renoncer à des moments que j’apprécie, mais il est vrai que ce sont des moments qui n’apportent pas nécessairement beaucoup à l’histoire dans son ensemble. Pour le reste du spectacle, j’étais très attachée à conserver l’essence des personnages, leur complexité émotionnelle et leur développement psychologique.
M.A. : A quoi peut s’attendre le spectateur en allant voir ce spectacle, va-t-on rire, pleurer, ou bien les deux?
N.L. : L’une des spécificités de Beetlejuice est le traitement de sujets graves par un prisme humoristique. D’ailleurs cet humour est un atout à double tranchant, il est très direct, parfois audacieux et peut être perçu différemment par le public. La peine est un sentiment universel, finalement facile à communiquer. Mais pour le rire, c’est beaucoup plus dur. On ne rit pas tous des mêmes choses, et le spectacle est un vrai numéro d’équilibriste sur ce point. Le livret peut être perçu comme choquant, les personnages parfois lourds, surtout quand d’autres sont remplis de peine. Lors de la traduction je me suis attaché à garder cet équilibre subtil, essayer de transcrire la minutie et la délicatesse du livret d’origine, au-delà de l’apparente décontraction du personnage principal.
Et pour que l’humour fonctionne, le timing et le rythme sont cruciaux. Il fallait en plus, au moment de la traduction, réfléchir à transposer les blagues et références culturelles américaines dans notre espace européen. Ce spectacle est rempli de jeux de mots et de bêtises qui fonctionnent très bien pour un public américain, mais qui seraient incompréhensibles pour des francophones, tant ils reposent sur les spécificités culturelles des Etats-Unis. C’était parfois un casse-tête de garder le même niveau d’humour en trouvant des références françaises. La résidence nous a permis de tester beaucoup de combinaisons, et de faire jouer les artistes pour qu’ils arrivent au meilleur niveau de précision. Je suis vraiment heureuse du résultat que nous avons obtenu. Le filage que nous avons pu faire lors de la résidence nous a permis de voir concrètement le projet prendre vie.
M.A. : Comment te prépares-tu pour interpréter Beetlejuice ?
N.L. : Ce personnage est particulièrement fascinant à travailler, car il incarne cette dualité entre être charismatique et détestable à la fois. Dans l’univers de Tim Burton, Beetlejuice est un personnage abject, mais le musical a réussi à apporter une nuance en le rendant à la fois drôle et touchant, en évoquant aussi son histoire personnelle et ses complications familiales. Mon approche consiste à capturer cette dualité et à la mettre en avant sur scène. C’est aussi le seul personnage à interagir directement avec le public, il doit avoir un côté suffisamment séduisant pour happer l’audience malgré son côté lourd et parfois agressif. Même s’il peut être détestable envers les autres personnages, il doit réussir à créer un lien d’empathie. Ce contraste ajoute une dimension complexe au personnage, c’est un vrai plaisir. Vocalement, j’ai toujours eu une voix plutôt grave, qui devient une vraie force pour incarner ce personnage. J’ai pris des cours de chant pour être la plus juste possible et protéger ma voix.
M.A. : Nous n’avons pas abordé la question des décors ou des accessoires, as-tu des anecdotes à nous partager à ce sujet ?
N.L. : Il y a tant de choses qui me viennent en tête, comme les couacs que l’on a rencontrés lors des changements rapides de costumes. Mais je crois qu’un des plus gros défis est la création de la marionnette du « sandworm » (serpent des sables). Dès le début on s’est posé beaucoup de questions en se demandant comment l’intégrer. Nous avons pensé à le supprimer, mais j’étais vraiment réticente car cela aurait entraîné des modifications importantes dans la mise en scène et le scénario, ce que je ne voulais pas.
Alors comment gérer son apparition dans le spectacle ? Assumer que l’on n’a peu de moyens et imaginer quelque chose depuis les coulisses, ou bien créer un vrai accessoire ? Finalement, nous nous sommes dit que grâce à la cagnotte en ligne (toujours disponible, à retrouver ICI), nous pourrions réaliser notre vision. Nous avons contacté des entreprises spécialisées mais tout le monde a refusé de nous construire quelque chose (faute de budget suffisant). J’ai croisé des personnes incroyablement gentilles qui ont quand même pris du temps pour nous offrir de nombreux conseils, et notamment un contact dans l’entreprise Moving Puppet, qui m’a envoyé des patrons pour construire la tête de la marionnette. Bénévolement il prend du temps pour répondre aux vidéos de construction que je lui adresse à chaque étape et m’aiguiller pour la réalisation.
Une autre anecdote amusante concerne le ukulélé. Dans le numéro d’ouverture, Beetlejuice reçoit un ukulélé, le casse, puis en reçoit un autre. Nous devions trouver un moyen de créer des instruments cassables et réutilisables. Je pense qu’à force de me rendre chez Leroy Merlin tous les matins et de poser toute sorte de question sur les types de colle, les aimants et les natures de planche, le directeur va finir par m’interdire l’entrée du magasin ! A mon avis, le conseiller du rayon bricolage n’avait jamais eu ce genre de demande quand je lui ai présenté mon ukulélé en lui expliquant ce dont j’avais besoin pour le spectacle.
Ces petites anecdotes illustrent les défis amusants et créatifs auxquels nous sommes confrontés dans la création de notre spectacle, ainsi que l’esprit d’équipe et la détermination de tout le groupe pour que chaque détail soit parfait. Maintenant nous n’avons qu’une hâte, jouer le spectacle le 3 septembre. Je ressens un mélange de stress et d’excitation mais j’espère que les spectateurs seront conquis par ce qu’on va leur montrer.
Pour soutenir le projet, vous pouvez toujours participer à LA CAGNOTTE en ligne pour financer décors, accessoires, costumes et marionnette.
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