Critique : « Frozen » au Theatre Royal, Drury Lane

Temps de lecture approx. 6 min.

Alors que la production londonienne de Frozen fête ses deux ans, nous avons décidé de faire une petite visite de courtoisie au royaume d’Arendelle. Qu’en est-il de cette adaptation du célèbre film Disney ?

« Libéréeeee, délivréeeee » À moins d’avoir passé ces dix dernières années dans une grotte vous avez forcément entendu cette chanson (et maintenant vous l’avez en tête pour la journée, ne nous remerciez pas). Sorti en décembre 2013, La Reine des neiges de Disney, très librement adapté du conte éponyme d’Andersen, est rapidement devenu un phénomène de société. Les chiffres du box-office s’envolent, les déguisements d’Elsa et (dans une moindre mesure) d’Anna s’arrachent et « Let It Go » devient un tube dans le monde entier. Face à un tel engouement, Disney Theatrical Productions n’a pas raté l’occasion de transformer le film d’animation en comédie musicale, souhaitant ainsi rencontrer le même succès que Le Roi Lion.

Un succès en demi-teinte

Frozen arrive donc à Broadway au printemps 2018. Si Alex Timbers (Moulin Rouge ; Beetlejuice) a longtemps été attaché à ce projet, c’est finalement Michael Grandage, plutôt habitué aux pièces de théâtre, qui en signe la mise en scène. Jennifer Lee, co-réalisatrice du film, s’est chargée de l’adaptation, le couple Kristen Anderson-Lopez et Robert Lopez s’est attelé à étoffer la partition et Caissie Levy et Patti Murin se sont glissées dans la peau d’Elsa et Anna. Les attentes étaient grandes et les premiers retours sont… mitigés. La critique goûte peu à ce spectacle et les aficionados du film s’attendaient à plus de magie. Même les quelques nominations aux Tony Awards semblent avoir été données par défaut pour palier à une saison pauvre en nouveautés. Le spectacle tient quand même l’affiche pendant deux ans avant de s’arrêter brutalement en 2020, devenant l’une des premières victimes du COVID à Broadway.

Samantha Barks (la première Elsa londonienne) dans Frozen © Johan Persson

Mais l’aventure scénique de Frozen ne s’arrête pas là. En septembre 2021 la cour d’Arendelle pose ses valises sur l’immense scène du Theatre Royal Drury Lane, toujours dans la mise en scène de Michael Grandage mais avec quelques ajustements scéniques et musicaux. Depuis le spectacle semble trouver son public et entre confortablement dans sa deuxième année d’exploitation avec une distribution presque entièrement renouvelée. Qu’en est-il donc de cette Reine des neiges londonienne ?

Une avalanche de moyens

Comme toutes les productions Disney, Frozen en met plein les yeux. Les décors s’enchaînent avec une grande fluidité, du palais d’Arendelle aux plaines enneigées en passant par le mythique château de glace d’Elsa et l’immense pont du premier acte qui semble ne jamais s’arrêter. Il y a de l’argent dans cette production et ça se sent. Au point même qu’on ne découvre que sur les deux dernières minutes qu’il y a une plateforme montante et un plateau tournant (non utilisés jusqu’ici…). À ces éléments physiques sont couplées des projections et c’est là que le bas blesse. Les images qui apparaissent en fond de scène semblent déjà datées et nuisent à l’esthétique globale. Ce qui est particulièrement dommage car dans cette mise en scène, ce sont les idées scéniques les plus simples qui ont le plus d’impact.

C’est d’ailleurs là qu’on voit qu’il y a un homme de théâtre derrière cette grosse machinerie. Michael Grandage, sans rivaliser avec l’inventivité d’une Julie Taymor, réussit à instaurer un aspect humain au spectacle, notamment avec une très belle utilisation des membres l’ensemble. Ces dernier.e.s sont d’ailleurs très bien employés tout au long de la pièce, en particulier dans la scène du naufrage et la course poursuite dans la montagne. Cet aspect artisanal contribue bien plus à la magie du spectacle que tous les effets spéciaux réunis.

L'ensemble de Frozen © Johan Persson

Princesse Anna, reine du spectacle

Au cœur de cet ensemble se trouvent Laura Dawkes et Jenna Lee-James, respectivement Anna et Elsa, succédant ainsi à Stephanie McKeon et Samantha Barks. La première est tout bonnement impressionnante. Tout juste sortie de l’école, elle achevait sa première semaine de représentation lors de notre venue et pourtant elle semblait avoir joué ce rôle toute sa vie. Rayonnante, elle se lance à corps perdu dans le voyage émotionnel d’Anna. D’adolescente immature (et très travaillée par ses hormones) à la jeune femme sûre d’elle, Laura Dawkes donne chair à ce personnage terriblement attachant. Avec déjà un instinct comique bien présent et une voix de princesse, elle se met de suite le public dans sa poche et porte cette comédie musicale du début à la fin.

La seconde ne fait qu’une bouchée de « Let It Go » et « Monster », les deux grandes chansons de la pièce, et ce même un dimanche à 13 heures (un horaire rude pour la voix, surtout après avoir eu une représentation le samedi soir). Malheureusement le rôle d’Elsa laisse peu de place à l’interprète pour s’exprimer. C’est d’ailleurs dans ce personnage que réside le plus gros défaut de Frozen. Cloîtrée dans ses peurs et ses doutes, la reine des neiges pourrait être une figure à laquelle on peut s’identifier, mais elle est trop peu présente pour qu’on puisse s’émouvoir de son sort. Si ça pouvait fonctionner dans un film d’1h40, c’est plus compliqué sur un spectacle de plus de deux heures. « Monster » laisse entrevoir une autre facette du personnage mais intervient beaucoup trop tard pour être réellement impactante. Il aurait été plus logique de donner le « eleven o’clock number » à Anna dont on suit l’évolution depuis le début.

Stephanie McKeon (la première Anna londonienne) et Olivier Ormson (Hans) dans Frozen © Johan Persson

Malgré ce déséquilibre dans les rôles, nos deux « leading ladies » arrivent à développer une belle complicité dans leurs rares scènes communes. C’est la cas notamment sur « I Can’t Lose You », chanson rajoutée sur la fin de l’exploitation à Broadway en remplacement de la reprise de « For The First Time in Forever » (ce qui n’était pas une décision très judicieuse sur le plan musical comme dramatique).

Un divertissement très efficace

Les deux comédiennes emmènent avec elles une solide distribution. Jammy Kasongo campe un Kristoff rustique et charmant, parfaitement associée avec la candide Laura Dawkes. Olivier Ormson, parfait baryténor de comédie musicale que l’on imagine aisément en Raoul ou Fiyero, s’en donne à cœur joie en Hans. Craig Gallivan est irrésistible en Olaf et se taille un grand succès auprès des enfants (présents en nombre dans la salle). Mention spéciale à Jak Shelly, hilarant Oaken, qui entraîne toute la troupe dans « Hygge », véritable « showstopper » tout droit sorti d’un rêve fiévreux.

Au final Frozen est loin d’être un chef d’œuvre, mais il n’en reste pas moins un grand divertissement familial très plaisant. Le spectacle n’est pas à voir en priorité, mais si vous êtes à Londres et que vous cherchez un bon gros show avec de beaux décors et de belles performances vocales, il serait dommage de bouder son plaisir.

3.5/5
Frozen
Romain Lambert

Romain Lambert

Membre de Musical Avenue depuis juin 2012, je suis passionné bien évidemment de comédies musicales mais aussi de ballets. Je passe la majorité de mes soirées entre l'Opéra Garnier, Bastille et le Théâtre du Châtelet. Je voue un véritable culte a Stephen Sondheim et j'essaye de chanter "Glitter and be Gay" sous la douche.
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