Olivier Py affirme qu’« il serait plus juste de parler des Cages aux Folles, plutôt que de la Cage aux Folles ». Une citation qui en dit long sur cette œuvre multiforme : du théâtre de boulevard à ses multiples adaptations cinématographiques, elle a traversé les décennies en se métamorphosant, sans jamais perdre de vue son message central : l’affirmation du droit d’être soi, dans toute son ambivalence et toute sa flamboyance.
Une célébration flamboyante et assumée
En adaptant la pièce de Jean Poiret pour Broadway au début des années 1980, Harvey Fierstein et Jerry Herman (Hello Dolly!) avaient déjà donné une nouvelle coloration à l’oeuvre, atténuant la satire au profit d’une tonalité plus militante, plus frontale. Leur version déplaçait surtout une grande partie de l’action au sein même du cabaret. Cela permettait l’avènement de numéros spectaculaires qui allaient durablement façonner l’imaginaire de La Cage aux Folles. Olivier Py embrasse sans réserve cet héritage américain : paillettes, plumes, boas, escaliers vertigineux, luminaires dorées et chorégraphies millimétrées — signées Ivo Bauchiero et Aurélien Lehmann aux claquettes — composent une revue somptueuse et joyeusement assumée.
LA Cage aux folles, version théâtre du châtelet
Les costumes, dignes des plus grands cabarets, jouent un rôle essentiel dans cette architecture visuelle. Étincelants, somptueux, parfois volontairement outranciers, ils subliment chaque tableau. Les Cagelles — troupe de danseurs aussi athlétiques qu’expressifs — tiennent la scène avec une énergie remarquable. Pendant plus de deux heures, ils dansent, virevoltent, défiant le rythme au son des claquettes ou la gravité perchés sur des talons improbables, sans jamais perdre le sourire. Leur présence, leur précision et leur endurance donnent au spectacle son souffle et son caractère irrésistiblement festif !
Sur la vaste scène du Théâtre du Châtelet, un plateau mouvant déployé sur plusieurs étages multiplie les surprises visuelles. Les décors se transforment, s’emboîtent, s’ouvrent comme des coulisses vivantes, offrant au public une succession de tableaux luxuriants. L’orchestre en live participe pleinement au spectacle. « Dans la Cage aux Folles, même la fosse est vraie », s’amuse Zaza — incarnée par un Laurent Lafitte parfaitement à son aise — en saluant les musiciens qui jouent en direct.






Un duo lafitte-bigourdan au poil (ou disons... Aux plumes !)
Laurent Lafitte développe une complicité immédiate avec la salle. Ses interruptions humoristiques et ses passages dans le public paraissent si spontanés qu’ils donnent l’illusion d’un moment improvisé. L’humour est répétitif sans être lourd, avec notamment un running gag sur le son d’une cymbale qui fait claquer les blagues d’une Queen. Un parfait dosage qui laisse un sourire aux lèvres tout du long. Cette proximité réjouissante contribue largement à la réussite du spectacle. On connaissait Laurent Lafitte bon comédien, on le découvre chanteur plus que satisfaisant. Et le public ne s’y trompe pas : plusieurs fois, l’audience se lève, conquise, pour applaudir les numéros.
Côté voix, Damien Bigourdan (Les Chevaliers de la table ronde), dans le rôle de Georges, surprend par une puissance parfaitement maîtrisée et une sensibilité vocale rare. Harold Simon, en Jean-Michel, offre une émission tout aussi élégante, claire et expressive. Les rôles féminins ne sont pas en reste, avec une madame Jacqueline (Lara Neumann – Gosse de riche, Les Contes de Perrault) et une madame Dindon (Emeline Bayart – Ô mon bel inconnu) dont le jeu rappelle le côté théâtre de boulevard. On salue bien évidemment le peps de Jacob (Emeric Payet – Madagascar) qui nous offre une femme de ménage délurée qui rêve d’intégrer le show aux côtés des Cagelles.
Au final, la Cage aux Folles d’Olivier Py est un tourbillon de bonheur, un spectacle total, drôle, brillant, généreux et impeccablement exécuté. Un show sans fausse note, qui réussit ce pari délicat : rendre hommage à toutes les Cages aux Folles qui l’ont précédé, tout en affirmant fièrement la sienne — éclatante, moderne et profondément humaine. L’oeuvre continue de s’adresser à un public parfois peu familier des codes et des cultures LGBTQI+. Est-ce justement là que réside son génie ? Dans cette capacité à être un pont, un espace de rencontre, entre extravagance assumée et conventions bousculées, une tolérance accordée le temps d’un spectacle qui, nous l’espérons, laissera une marque dans l’esprit de chacune et… chacune ;).
