De Joséphine Baker, première icône noire des années 30 avec sa ceinture de bananes à Joséphine Baker, première femme noire à être entrée au Panthéon en 2021, il n’y a qu’une vie, mais pas des moindres… Celle que se propose de nous raconter Alicia Bigot dans Si j’étais Joséphine Baker, un agréable récit dansé et chanté, évoquant un intéressant – et poignant – parallèle avec son propre parcours. On court voir (en pas chassé) sa dernière représentation au Théâtre Le Funambule Montmartre dimanche 1er septembre !
Une vie à travers une autre
À peine installé dans le théâtre, le ton est donné. Un décor plutôt dépouillé, sans artifice, aussi vrai que la personne dont la vie, pourtant extraordinaire, va nous être contée : des costumes, un podium, et une toile tendue qui servira à la fois de paravent et de machine à remonter le temps lors d’une très jolie séquence quasi cinématographique.
Entre alors en scène l’auteur et unique interprète du spectacle, Alicia Bigot. Pas un mot, juste un corps en mouvement déshabillé, vierge encore de toute histoire. Il nous emporte pourtant aussitôt de manière presque hypnotique, dans une danse silencieuse, rythmée par les bruits mécaniques de frottement du corps sur le sol, soulignant la force et la réalité de sa présence.
Soudain, Alicia Bigot prend la parole, et par là-même une identité, la sienne, mais pas seulement. Celle de Joséphine la pionnière, aussi, sans qui peut-être, sa vie aurait été différente.
Voilà alors que de costume en costume, de danse en danse (dense ?), elle nous fait traverser les époques, et les différentes périodes de la vie de Joséphine Baker. On prend une grande respiration, ça va être chargé ! De son enfance aux Etats-Unis, lorsqu’elle assiste à un massacre organisé par le Ku Klux Klan, à son arrivée à Paris où, se pliant à la vision colonialiste des meneurs de revue, elle devient danseuse « exotique » au succès retentissant. De sa tournée internationale à son hospitalisation, quand, devenue figure de la résistance française (elle travaille pour le contre-espionnage dès 1939) elle reçoit à son chevet des émissaires britanniques ou français et chante pour les troupes ; de la marche sur Washington pour les droits civiques aux côtés de Martin Luther King en 1963, pour finir, enfin, par son dernier rôle : celui de mère -ruinée- d’une famille « arc-en-ciel » de douze enfants d’origines et de religions différentes, représentant la possibilité du monde en paix qu’elle rêve de voir s’accomplir…
Un spectacle aussi riche que son sujet
Face à cette histoire foisonnante – qui, avouons-le, se suffirait à elle-même – , on admire l’humilité de la mise en scène, lorsqu’après nous avoir fait vivre un cours de danse, puis un véritable moment de cabaret, Alicia Bigot, plutôt que d’entonner « J’ai deux amours », la chanson la plus célèbre de Joséphine Baker, ne fait que la danser dans un moment symbolique fort. Tout à coup, son corps scindé par deux projecteurs bleu et rouge (on pense immanquablement à ses origines afro-américaines), incarne pourtant l’unité, en liant intrinsèquement ces lumières en apparence opposées.
Joséphine Baker était donc à la fois multiple, et constante : une idéaliste obstinée, une guerrière se battant avec les armes en sa possession (son corps et son art), non pas pour deux – ni même douze – amours, mais bien pour faire une réalité d’une unique certitude : l’amour universel, aboli de toute distinction artificielle, existe, et doit devenir la norme.
Vous l’aurez compris, cette Miss Baker est un personnage historique essentiel, à bien des égards. Tout comme l’est la vision de ce spectacle, qui fera évidemment le bonheur des professeurs, mais aussi de tout un chacun. En une heure, Alicia Bigot réussit le pari de nous faire passer un très agréable moment de culture et de divertissement. D’aller au-delà, également, grâce à l’intelligente mise en perspective permise par le parallèle avec sa propre vie. Le rideau tombe alors comme un couperet, laissant apercevoir une société actuelle encore parfois terriblement injuste et rétrograde. Si j’étais Joséphine Baker est donc tout à la fois léger, sérieux, percutant ; on en ressort un peu plus au fait du répertoire et de la vie de la grande Joséphine. Conscients, surtout, que le combat est encore loin d’être gagné, mais qu’il ne tient qu’à nous de faire de son rêve une réalité.
Crédit Photo : Jérôme Hutin
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