Le cinéma est une mine inépuisable de succès qui sont de plus en plus souvent adaptés sur scène avec plus ou moins de succès. Sister Act, The Bodyguard, Back to the Future, Burlesque ou encore Mrs Doubtfire, nombreux sont les films qui ont récemment franchi le cap dans le West End. Triomphe au box-office après avoir été adapté d’un livre de Lauren Weisberger sorti en 2003, The Devil Wears Prada fait sa première européenne dans une toute nouvelle version avec dans le rôle phare la célèbre Desperate Housewives Vanessa Williams !
le diable se cache dans les détails
Avec plus de 325 millions de dollars de recette dans le monde entier, Le Diable s’habille en Prada a marqué toute une génération à sa sortie en 2006 avec l’incroyable Meryl Streep dans le rôle de la tyrannique Miranda Priestly, et Anna Hathaway dans celle de l’ingénue Andy Sachs. Sur le papier rien ne prédestinait ce film à devenir une comédie musicale et pourtant c’est en 2017 que le producteur de Broadway Kevin McCollum annonce officiellement développer une version scénique du film réalisé par David Frankel. Alors que la première aurait dû avoir lieu à Chicago durant l’été 2020, la pandémie en décida autrement et il fallut attendre 2022 pour qu’une première version du spectacle – boudée par la critique et le public – soit présentée. Elton John, compositeur des musiques, avoue qu’il faut retravailler le spectacle pendant au moins un an avant de le représenter au public. C’est finalement près de 2 ans plus tard qu’une nouvelle version débarque en Angleterre au Théâtre Royal de Plymouth puis au Dominion Theatre où il se joue actuellement avec l’immense Vanessa Williams. Est-ce que cette nouvelle version est à la hauteur des attentes où est-ce que ce défilé aux inspirations 2000 n’est déjà plus à la mode ?

en mode démodé
Figé dans une époque sans vraiment réussir à y insuffler de la modernité, voici le véritable problème de la comédie musicale The Devil Wears Prada. Alors qu’on aurait aimé voir comment une œuvre si piquante et originale pouvait se renouveler 20 ans plus tard, on redécouvre le film sur scène parfois plan par plan mais sans aller au-delà en dépit des moyens déployés. Malgré de superbes lumières, l’immense scène du Dominion Theatre fait souvent vide et les décors peu nombreux ont du mal à donner cet effet de gigantisme qu’on aurait aimé avoir de ce voyage entre New York et Paris. Les chorégraphies à base de doigts pointés en l’air et de défilés manquent cruellement de vie et on a plus l’impression de voir l’ensemble réussir le défi de faire 10 000 pas par jour sur un podium plutôt que de les voir réellement danser pendant deux heures. Musicalement on aurait attendu de Sir Elton John des mélodies captivantes et des refrains qui tournent en boucle dans nos têtes mais il n’en est rien. A l’exception du rappel « Dress Your Way Up » qui reste plutôt bien en tête, l’intégralité des chansons est relativement oubliable et c’est un comble pour un artiste aussi respecté d’être aussi hors sujet. Il y avait tellement de possibilités pour The Devil Wears Prada de faire la Une des magazines de mode pour les bonnes raisons, mais mêmes les tenues ne sont pas à la hauteur à l’exception de la chanson titre « The Devil Wears Prada » qui, même si elle ressort rapidement de nos oreilles, offre un joli tableau fashion digne du MET gala d’il y a 20 ans. Malgré tous ces défauts, la comédie musicale réussit à sauver les meubles grâce à une distribution efficace dans ses trois rôles principaux qui apportent le piquant manquant partout ailleurs.
"this is the house of miranda"
Impossible de parler de cette œuvre sans évoquer celle qui a dû reprendre les escarpins de l’immense Meryl Streep. Avec plus de 40 ans de carrière aussi bien à la télévision, au cinéma que sur scène, l’immense Vanessa Williams est également une chanteuse renommée avec pas moins de 9 albums à son actif. Elle avait d’ailleurs déjà foulée brièvement une scène londonienne avec le très attendu City of Angels avant que la pandémie décide en 2020 de couper court à cette aventure. C’était donc une belle surprise de la retrouver à la tête de The Devil Wears Prada pour incarner le rôle de la diabolique Miranda Priestly. Après l’avoir adoré en magnifique peste dans la série Desperate Housewives, Vanessa Williams ne déçoit pas avec son charisme instantané et sa répartie sans faille. Dommage que ni le livret, ni la partition ne lui permettent de réellement briller comme elle le mérite. On la voit plus souvent monter et descendre dans son ascenseur que creuser en profondeur son personnage qui le mériterait pourtant. Elle laisse donc briller sur scène les deux véritables stars du show Andy et Emily qui récupèrent la part de la lionne pour divertir le public.
D’un côté nous avons la douce et fragile Andy interprétée par l’incroyable Georgie Buckland – qui fait ses débuts dans le West End – avec un rôle taillé pour elle. Vocalement incroyable, on suit l’évolution de son personnage avec attention et elle nous offre les plus beaux solos du spectacle. Elle risque fort de devenir une des prochaines stars de la scène londonienne. De l’autre, nous avons l’espiègle et malicieuse Emily habituellement incarnée par Amy Di Bartolomeo (seule nomination de ce spectacle aux Oliviers Awards !) mais qui était absente ce jour. C’est la toute aussi sensationnelle Maddy Ambys qui nous a bluffé par son charisme aussi bien en théâtre qu’en chant. Son solo notamment sur « Bon Voyage » lui a valu les louanges du public. Le reste de la distribution est tout aussi talentueux mais bien moins mis en valeur à l’image de Matt Henry, généralement connu pour avoir remporté un Olivier Award en 2016 grâce à son rôle dans Kinky Boots, à qui l’on ne donne pas suffisamment de quoi se défendre sur scène malgré son talent. Globalement les artistes sont très bons et défendent du mieux qu’ils peuvent une œuvre inégale mais pourtant très divertissante au final !

Cette adaptation de The Devil Wears Prada n’est peut-être pas le spectacle de l’année et pour autant elle permet au Dominion Theatre de battre un record au box-office grâce aux ventes de billets. La présence de la star Vanessa Williams (jusqu’au 18 octobre uniquement) y est surement pour beaucoup et il sera curieux de voir si le spectacle se prolonge à nouveau après sa date de fin prévisionnelle début janvier 2026. Malgré ses défauts et en y allant avec l’esprit ouvert, vous passerez tout de même un bon moment grâce à une distribution qui prend un sacré plaisir sur scène à vous faire revivre les scènes iconiques d’un film qui l’est tout autant.

Crédit Photos : Matt Crockett