Rendez-vous désormais incontournable pour Musical Avenue, les présentations de fin d’atelier, qui viennent clôturer la troisième année de formation au Cours Florent, sont attendues chaque saison avec impatience. Cette année, c’est avec Cher.e Evan.e Hansen que nous débutons cette série annuelle des comptes rendus.
Il suffit que tu y crois, on te trouvera
Une fois de plus, le travail de présentation est immense. Tout d’abord parce que l’œuvre d’origine choisie (Dear Evan Hansen) n’a, à notre connaissance, pas encore de traduction française officielle disponible. Félicitons d’emblée la fidélité de cette version à l’œuvre originale : outre l’émotion des chansons, elle garde aussi la finesse, les traits d’humour et le rythme saccadé des textes de certaines scènes ou morceaux (à l’instar de “Sincerely, Me”).
Ensuite, parce que Dear Evan Hansen est une comédie musicale aux sujets sombres et aux chansons qui, sous une apparence de ballades aux sonorités pop, sont incroyablement difficiles à chanter. Si vous n’avez jamais entendu parler de ce spectacle, munissez-vous d’un paquet de mouchoirs et allez le découvrir ! Evan Hansen est un lycéen de 17 ans qui souffre de troubles d’anxiété sociale. Isolé et invisible aux yeux des autres, un événement dramatique le propulse au centre de l’attention. Suite au suicide de Connor, l’un de ses camarades de classe, et dans une tentative maladroite de réconforter la famille en deuil, Evan prétend que les deux garçons étaient meilleurs amis. Les mensonges s’accumulent, et Evan doit alors se débattre entre ses angoisses, la peur de décevoir, l’envie de s’intégrer et d’être reconnu, de se faire des amis ou de tomber amoureux. Mais la situation lui échappe de plus en plus. Trouvera-t-il le soutien auprès de sa mère ou de ses nouvelles relations ? Combien de temps pourra-t-il maintenir l’illusion d’une réalité d’adolescence “normale”?
Pas de grand numéro de cabaret ou de claquettes pour cette comédie musicale ; c’est véritablement l’interprétation des comédiens qui est au centre de l’attention. Avec peu de personnages principaux, les élèves n’ont pas le droit à l’erreur et relèvent encore une fois le défi avec brio. Que ce soit pour les solos ou les duos, l’alchimie fonctionne. Les ensembles apportent des moments chorales qui s’intègrent parfaitement dans les émotions traversées par les protagonistes. Les dialogues entre Evan Hansen et sa mère sont poignants d’authenticité. Quant au personnage de Connor, qui revient régulièrement sur scène tel un fantôme qui hante Evan, il est admirablement campé par Nicolas Chailley. Les harmonies vocales sont un vrai plaisir auditif et ne manquent pas de nous faire vibrer. Mentionnons également le difficile rôle de Zoé, interprété ce jour par Duru Arslan, qui nous offre un mélange sincère entre les sentiments de deuil, de colère et d’amour qui traversent l’adolescente (“Requiem”).
Cher.e Evan.e Hansen, c’est une plongée de 2 heures dans un monde tourmenté mais d’où naissent la lumière et la solidarité. Les élèves incarnent des personnages ordinaires, des gens du quotidien, confrontés à une situation désespérante et obligés d’apprendre à vivre avec la perte d’un être cher. Reconnaissons que nous avons été touchés (voire assez bouleversés) par l’interprétation proposée par les élèves le Cours Florent.
Est-ce que quelqu’un me voit, suis-je vraiment si transparent que ça?
Cette version de Dear Evan Hansen porte encore la signature d’Alexandre Faitrouni, dans une mise en scène épurée et simple mettant l’artiste au centre de l’histoire et de la scène. Dear Evan Hansen ne se prête de toute façon pas à de grands décors. Avec les habituels plateaux roulants, les artistes créent les différents espaces au fur et à mesure, modifiant les niveaux visuels pour signifier le salon des Murphy, les salles de lycée ou la chambre d’Evan ou de Connor. Et cela suffit largement à nous transporter.
L’une des spécificités des présentations du Cours Florent est de permettre à deux élèves d’assurer le rôle principal sur la même représentation (sans forcément réserver le rôle aux artistes masculins, tel qu’écrit à l’origine, mais en le proposant sans distinction à chaque élève selon son potentiel). Evan Hansen était ainsi campé lors de notre venue par Mathis Mariel et Lo Derobert (Cast A, en alternance avec Eliott Giraud, Orsanne Rouanet, Pablo Bruneau et Emilie Nicolle), tous deux présents sur scène dès l’ouverture, lorsque Evan s’écrit à lui-même. La scène se prête particulièrement bien à la transformation de ce monologue en dialogue personnel, renforçant l’impression de plonger dans l’intimité profonde du personnage dès les premières secondes. A chaque introspection intérieure, les deux artistes sont présents sur scène, mais sans forcément interagir entre eux, comme si le personnage conscient n’arrivait pas à toucher son subconscient, à prendre les décisions rationnelles. Jusqu’à ce magnifique final où les deux artistes se font face, en miroir, Evan affrontant enfin ses propres démons intérieurs et ses mensonges. Il n’est plus invisible ni pour lui-même, ni pour les autres. Cette mise en scène sublime les dialogues et paroles, et on a ressenti l’émotion qui a étreint tout le public.
A côté de ces instants intimistes, de beaux tableaux avec les ensembles viennent apporter une dimension solennelle. Le très attendu “You Will be found” (“On te trouvera” dans cette version française) – devenu culte dans les medleys de comédies musicales – tient toutes ses promesses. Enfin, des portées sont ajoutées à plusieurs reprises pour simuler les instants où Evan tombe. Le lâcher prise pour se laisser aller dans le vide, qu’il soit en avant sur “Wawing through a Window”, ou même en arrière (on imagine la confiance qu’il faut avoir en ses camarades pour se laisser tomber sans retenue) est là encore d’un réalisme saisissant. Quand la mise en scène est au service du récit, le spectateur est comblé.
Encore une fois, le Cours Florent marque nos esprits avec cette présentation de fin d’année. Nous terminerons en saluant le professionnalisme de tous : lors de notre représentation, la bande-son accompagnant “Je frappe à la fenêtre” n’était en effet pas dans la bonne tonalité pour le cast jouant ce jour-là (plusieurs arrangements étant donc prévus en fonction de chaque cast). Loin de se laisser déconcentrer, les élèves ont tout donné pour assurer le spectacle. Et lorsque Alexandre Faitrouni intervient pour expliquer les faussetés des notes et demander à chacun de reprendre la scène avec la bonne version sonore, tous s’activent et sont solidaires pour qu’en moins de 20 secondes, les éléments de décor soient replacés et la scène reprise, permettant à l’artiste soliste de nous offrir une exquise modulation finale. Toute la classe a rejoué la scène en se repositionnant comme si de rien n’était, enchaînant ensuite avec le reste du spectacle. C’est pour cela que nous aimons le spectacle vivant, pour ces instants de vérité, imprévisibles, mais qui donnent encore plus d’émotions et révèlent les talents de chacun. Nous avons hâte de découvrir le spectacle présenté par le deuxième groupe et vous donnons rendez-vous dans quelques jours.