Après Dreamgirls, c’est avec plaisir que nous sommes venus découvrir Finding Neverland, parmi les TFE présentés cette année au Cours Florent. Avec des traductions soignées, une mise en scène inventive et des performances vocales audacieuses, cette version écourtée mais tout autant émouvante est un bouleversant mélange entre rêve d’enfant et réalité.
Finding Neverland n’est pas la comédie musicale la plus connue, à en juger par les discussions que nous avons eues avec plusieurs spectateurs. Inspiré de la pièce The Man Who Was Peter Pan d’Allan Knee et du film éponyme de Marc Forster sorti en 2004, le spectacle a vu le jour en 2012 à Broadway pour une saison seulement, et n’a décroché aucune récompense. Jugé parfois trop mièvre, il recèle pourtant des petits trésors cachés tant dans ses musiques que dans les messages qu’il véhicule. Nous étions donc très impatients de découvrir l’adaptation proposée par l’équipe derrière ce TFE, que nous avions rencontrée durant l’été et qui nous avait partagé ses choix artistiques. Nous vous dévoilons, au travers des lignes à suivre, quelques unes de nos discussions.
La seule façon de changer le monde, c'est d'imaginer qu'il est différent
Londres, début du 20ième siècle, J.M. Barrie est en proie à un cruel manque d’inspiration, malgré ses talents avérés de dramaturge. Incapable d’écrire une nouvelle pièce pour la commande qu’il a reçue, c’est au hasard d’une rencontre que sa vie bascule. Avec Sylvia L.Davies et ses enfants, son imagination renaît et les aventures deviennent foisonnantes. Mais cette imagination sera-t-elle acceptée? Le jeune Peter, traumatisé par la mort de son père, oubliera-t-il ses réticences? Entre réalité et magie, on replonge avec délectation aux sources créatives du récit de Peter Pan, à la rencontre de l’enfant en chacun de nous.
L’équipe artistique a mené une profonde réflexion en adaptant le spectacle, car ce TFE tient plus d’une création originale que d’une simple transposition. En y ajoutant une vision très personnelle, les élèves explorent comment cette œuvre résonne particulièrement avec leur passage à l’âge adulte. « C’est une véritable métaphore de cette transition : on quitte le cocon de l’enfance pour entrer dans le monde adulte, un univers artistique qui peut parfois effrayer », confie l’une des membres de l’équipe.
Chacun peut s’identifier aux personnages et vivre cette expérience collective. Des choix vont été faits pour rappeler l’univers de Peter Pan, tout en se détachant de la vision traditionnelle du dessin animé de Disney ou de la production de Broadway. « Nous avons voulu représenter Clochette avec des jeux de lumière pour accentuer l’aspect magique et onirique du spectacle ». Ici, le spectateur est invité à construire sa propre vision du monde imaginaire. « Notre but est de laisser place à l’interprétation personnelle, au ressenti de chacun. Nous avons sciemment choisi de modifier des costumes ou des couleurs traditionnelles de vêtements pour pouvoir raconter autre chose. » Dans cette version, le Capitaine Crochet n’est pas forcément un être abject, il est peut-être « la part d’ombre » qui pousse le héros dans ses retranchements et l’oblige à dépasser ses peurs pour se libérer et s’envoler vers son idéal.
Conférant à son personnage un caractère à la fois inquiétant et assuré, Amélie Osso incarne tour à tour Charly Frohman et le Capitaine Crochet (un peu comme les deux faces d’une même pièce). La performance est de taille, en arrivant perchée sur des échasses et en insufflant une dimension de « créature surnaturelle » à ce personnage, celui-ci agit ainsi comme une voix intérieure qui questionne sur la maturité des personnages et leur peur de grandir – les thèmes centraux de Peter Pan -, et crée aussi quelques ressorts comiques, comme pour l’introduction de « What you mean to me »).
Sans ombre, on ne remarquerait pas la lumière
Marie Guyard, l’une des metteuses en scène, justifie ainsi la direction artistique : « Nous sommes partis de la captation de Broadway, qui nous a inspirées, mais bien sûr, nous n’avions pas les mêmes moyens. Nous avons donc dérivé vers un univers plus fantasque, mêlant cirque et imaginaire. L’objectif était de refléter, à travers le regard de James Barrie, l’anxiété qu’un adulte peut ressentir face à la société, tout en conservant une vision enfantine du monde. Nous avons multiplié les costumes, et aussi beaucoup travaillé sur le maquillage ; nous avons parfois poussé dans l’exagération pour marquer les personnages, renforcer les aspects féériques. »
L’objectif est atteint sans équivoque pour Blanche Faivre et Marie Guyard, les metteuses en scène, qui ont travaillé de concert pour apporter beaucoup de dynamisme et traduire une forme d’angoisse sociale, comme si on naviguait constamment entre réalité et imaginaire. Elles nous confiaient avoir eu rapidement des idées communes pour conserver toute la poésie du musical de Broadway, travaillant sur les lumières et les déplacements avec un public disposé de part et d’autre de la scène centrale. Cette configuration bifrontale (déjà rencontrée à l’occasion de Cabaret par exemple) a fait ses preuves, même si on se demande toujours comment les artistes arrivent à ne pas se perdre en courant d’un bout à l’autre de la salle, en sortant dans une diagonale et en réapparaissant à l’opposé en passant par les coulisses derrière le public.
Prends la deuxième étoile à droite, puis tout droit jusqu’au matin
Cette version de Finding Neverland se distingue aussi par sa remarquable traduction, tant pour le livret que pour les chansons. L’adaptation est pourtant un exercice difficile, mené avec brio par Loéline Le Rest (avec le regard complice des metteuses en scène, qui ont contribué à retravailler plusieurs passages lors de la résidence). Loéline nous expliquait avoir effectué ce travail depuis plus d’un an, sans livret original, uniquement à partir de captations vidéos du spectacle. L’ensemble est naturellement fluide et cohérent, et adapté à la langue française (notamment dans les dialogues, offrant ainsi de riches moments de théâtre permettant d’explorer la psychologie des personnages). On regrette un peu certaines ellipses au début dans la relation naissante entre J.M. Barrie et Sylvia L.Davies ; les moments clés de l’intrigue sont toujours présents et servent complètement le propos.
L’une des scènes les plus mémorables pour nous reste celle du dîner chez les Barrie, exemple parfait de ce que permet de créer une réelle alchimie entre la mise en scène, l’énergie des comédiens, les chorégraphies et l’humour. Sur l’adaptation du titre « We Own the Night », le public a été conquis, comme en témoignent les applaudissements nourris à la fin de cette séquence.
À d’autres moments, c’est la simplicité d’une lumière qui permet de sublimer l’instant, comme pour « What you mean to me », superbement interprété par Léoline Le Rest et Mathis Mariel (dont la performance nous avait déjà marqué pour Cher.e Evan.e Hansen, et qui s’illustre également lors de la reprise du solo de « Stronger » à couper le souffle). L’ensemble du cast offre des prestations vocales de haut vol, permettant de (re)découvrir les chansons de cette comédie musicale, et offrant des surprises à nos oreilles. Nous retiendrons également un très gros travail sur les harmonies et les chœurs qui accompagnent souvent les refrains, et donnent beaucoup de profondeur à tout le TFE.
Finding Neverland a enchanté le public. Au-delà de la performance artistique, nous avons ressenti un véritable plaisir de tout un chacun d’être présent sur scène. En partageant son expérience lors de la résidence de travail, Loéline nous confie : « Tout le monde est très heureux d’être là. J’ai tout de suite proposé certains rôles à des élèves, car je ne voyais personne d’autre pour incarner les personnages. Et ils ont tous spontanément accepté de participer. Nous avons eu l’impression de travailler en famille, autour d’une équipe soudée et très fortement investie. » C’est certainement cette touche d’âme en plus qui a permis à tous les spectateurs de s’envoler vers le pays imaginaire.
Crédit photos : Luc Perin et Fabrice Felez pour Musical Avenue