Tenant le rôle-titre de Pippin et jouant Georges Washington dans Hamilton, Mallory Cheminet participe aussi à In the Heights et Le Jardin, Paris. Outre le chant ou la danse, il contribue aux traductions des spectacles présentés en septembre dernier. Nous vous proposons de découvrir toutes les subtilités de ce travail et rencontrer un artiste passionné et passionnant.
Musical Avenue (M.A) : Peux-tu nous parler de ton parcours et de ton attirance pour les comédies musicales?
Mallory Cheminet (M.C) : Je crois avoir toujours été passionné par l’univers de la comédie musicale. Déjà à 7 ans, je participais à des spectacles amateurs dans une école à côté de Melun. Arrivé en Terminale, j’étais très intéressé pour rejoindre le Cours Florent mais on m’incitait aussi à suivre un cursus plus classique. J’ai alors intégré une formation qui n’a pas grand chose à voir avec le milieu artistique en rejoignant une prépa hypokhâgne (filière littéraire et sciences sociales). Un peu plus tard, je rejoins la Sorbonne pour préparer une licence d’anglais. Une fois obtenue, j’étais face à un choix difficile : soit poursuivre une carrière littéraire, soit tenter de revenir aux arts du spectacle. J’ai senti que je devais oser ce choix à mes 20 ans, avant de me lancer dans tout autre chose. J’ai donc passé l’audition et j’ai intégré la section Comédie Musicale du Cours Florent en septembre 2019. Je ne regrette pas du tout ce choix.
M.A : On commence à comprendre pourquoi tu participes à plusieurs traductions pour les TFE, as-tu aimé cet exercice ?
M.C : Très tôt j’ai ressenti une attirance pour les traductions. Pendant la préparation de ma licence, je m’essayais à ce travail en parallèle de mes études. Ma mère m’a offert le livret de Dear Evan Hansen. À ce moment-là je n’essayais pas encore de traduire une chanson, je me concentrais sur les dialogues. Je prenais cela comme un exercice supplémentaire. Nous avions rarement l’occasion de traduire des scènes de théâtre, et je sentais déjà que l’approche était différente. Il faut saisir le style théâtral, s’aligner sur un registre particulier. C’est encore plus vrai pour les comédies musicales, où les mots doivent aussi évoquer une époque, expliquer le caractère des personnages ; et on s’éloigne alors de l’exercice de traduction pure.
J’ai vraiment commencé à me concentrer sur les traductions en deuxième année du Cours Florent. Lors de notre formation nous préparons des fragments (des morceaux de spectacles d’une heure ou un peu plus) ; Kinky Boots était à notre programme ; en équipe nous avons traduit les chansons principales. Ça a été une sorte de révélation, j’ai pris conscience que j’aimais profondément ce travail. Lorsqu’on a commencé à parler des TFE pour la troisième année, plusieurs étudiants m’ont demandé de participer et m’ont fait confiance pour essayer de proposer une traduction fidèle et innovante.
M.A : Cela sous-entend qu’avec les autres élèves, vous avez apporté votre vision lors des traductions?
M.C : En effet, c’est l’équilibre que l’on tente de trouver pour les TFE. Je préfère le terme de réinterprétation des chansons plutôt que de traduction. Bien sûr, je conserve le sens d’origine, mais je veux aussi donner de la vie dans les textes, et imaginer la façon dont le personnage pourrait parler ou chanter. L’anglais est une langue beaucoup plus synthétique ; transposer en français les mêmes nuances et subtilités de langue en quelques mots est souvent beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. La richesse de notre langue autorise beaucoup de créativité, mais il ne suffit pas de remplacer un mot par un autre pour en faire une chanson.
M.A : Justement, comment abordes-tu les contraintes de traduction ?
M.C : La priorité, c’est la manière dont l’interprète va pouvoir jouer sur scène. Il faut penser à conserver la rythmique (surtout sur des bandes sonores pré-enregistrées), donc compter le nombre de mots et de pieds dans les phrases d’origine et dans la version que l’on propose, penser aux respirations, mais également aux notes. Je garde en tête la partition et j’essaie d’éviter certaines syllabes qui sont plus complexes à chanter dans les aiguës. Il faut mettre en place une gymnastique de l’esprit entre la version originale que j’écoute plusieurs fois, et ce que l’on veut proposer. Mes professeurs disaient que “traduire, c’est trahir” ; il est presque impossible de transposer la complexité d’un texte, c’est encore plus vrai en devant limiter le nombre de mots et en pensant aux rimes.
En comédie musicale, les chansons symbolisent un état émotionnel et font avancer l’histoire. Le plus important est de faire comprendre la globalité au spectateur. Je veux surtout conserver la structure rythmique originelle, car c’est ce qui amène toute la musicalité. La fidélité à l’œuvre passe par le respect de la cadence imaginée par le compositeur.
M.A : Non seulement tu traduis mais tu joues aussi dans plusieurs TFE ; comment concilies-tu ces deux aspects ?
M.C. : Mon travail de traduction est totalement influencé par celui d’acteur-interprète. Je m’imagine à la place de la personne qui va chanter. Parfois je réalise que certaines phrases, qui semblent bien traduites sur le papier, ne vont pas du tout au personnage sur scène. Il peut m’arriver de passer une semaine sur une seule chanson, ou plusieurs jours sur quelques phrases. Dans ces cas là c’est important d’avoir l’avis d’autres personnes, c’est pour cette raison que j’aime travailler en groupe.
Jouer dans plusieurs spectacles m’aide aussi à m’imprégner de l’atmosphère voulue par le metteur en scène. Pippin est le TFE pour lequel je me suis le plus investi, que ce soit pour le texte ou les chansons. Tenir le rôle principal est l’occasion de ressentir les émotions pour les instiller dans toute la traduction. En parallèle j’ai rejoint Hamilton où j’ai traduit une dizaine de chansons. Vu l’immensité de l’œuvre et les particularités du texte de Lin-Manuel Miranda, il m’a semblé impossible d’être seul sur ce projet. Je me suis concentré sur les chansons de Georges Washington. L’objectif est de garder les subtilités des sonorités anglo-saxonnes, mais aussi un style d’ensemble assez naturel, à la manière dont le personnage historique aurait pu s’exprimer. Je fais constamment l’aller-retour entre le texte brut et l’adaptation, c’est un travail en perpétuelle évolution, le plus difficile est de s’arrêter sur une version car il faut avancer sur les répétitions, même lorsque l’on n’est pas totalement satisfait du résultat.
M.A : Il y avait de nombreux TFE présentés cette année ; que retiens-tu de cette expérience et de ton investissement à des niveaux différents sur plusieurs projets ?
M.C. : Je n’ai pas vraiment mon propre TFE mais en participant à plusieurs projets en même temps j’ai pu endosser énormément de casquettes différentes. J’ai l’occasion d’être directeur musical, traducteur, m’intéresser aux costumes, à la mise en scène, au jeu d’acteur, à la technique vocale, travailler la promotion sur les réseaux sociaux. C’est un exercice incroyable qui nous est offert, avec la structure du Cours Florent.
Outre Pippin, je me suis beaucoup investi sur Le Jardin, Paris qui est l’adaptation d’un roman graphique. En plus de l’écriture d’une pièce théâtrale, on a repris des chansons existantes de comédies musicales, et j’ai imaginé de nouvelles paroles en fonction de la bande dessinée existante. Après avoir sélectionné un style de chanson qui peut correspondre (au moins musicalement) à l’émotion de la scène, je condense huit à dix pages de l’œuvre pour en faire des paroles chantées ; je me consacre à reprendre les structures des phrases qui sont vraiment dans le livre pour les rimes. Réécrire quelque chose à partir d’un matériau de base est un exercice nouveau (encore différent de la traduction) que j’ai vraiment adoré.
M.A: Nous te remercions d'avoir partagé ta passion pour les comédies musicales. Quels sont tes futurs projets ?
M.C : J’espère pouvoir continuer de traduire d’autres comédies musicales et amener d’autres spectacles sur la scène française. J’aimerais reprendre mes premiers textes sur Dear Evan Hansen, et un de mes défis serait de traduire Hadestown. Depuis que je m’y suis replongé, je découvre toujours de nouvelles subtilités. À la manière de Lin-Manuel Miranda (qui a mis huit ans à écrire Hamilton pour ne rien laisser au hasard), l’œuvre d’Anaïs Mitchelle est d’une richesse textuelle et musicale sublime.
Culturellement, les comédies musicales sont ancrées aux États-Unis et beaucoup moins en France. Chez nous on crée plutôt des spectacles chantés. De l’autre côté de l’Atlantique, le public vient plutôt découvrir une histoire (portée par des artistes qui sont souvent acteurs avant tout) plutôt que d’écouter des chansons. Il existe une immense diversité de comédies musicales, avec des dramaturgies très différentes. Proposer une traduction française me semble un bon moyen de rendre accessible tout cela au public européen, qui n’a pas la même culture. Partout on retrouve des thèmes universels ; on parle d’identité des peuples, de nos origines. Avec Pippin, on se questionne sur notre place dans le monde, sur ce qui nous rend heureux, presque une réflexion philosophique sur le bonheur. Déjà avec tous les TFE, on veut montrer que c’est possible d’ouvrir de nouveaux horizons, et qu’il y a probablement un public prêt à accueillir ces productions. J’ai l’espoir que l’on arrive à dépasser les oppositions culturelles et avoir un large choix de spectacles sur Paris. Se sentir vivant, véhiculer une diversité de sentiments, c’est l’essence même des comédies musicales.
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