Critique : « Oklahoma ! » au Young Vic Theatre de Londres

Temps de lecture approx. 6 min.

C’est un classique revisité que nous propose Daniel Fish avec son Oklahoma ! qui avait secoué Broadway quelques années plus tôt. Le spectacle s’installe à Londres pour deux mois.

Et si le thème principal d’Oklahoma! était le sexe ? C’est en tout cas la lecture que semble en faire Daniel Fish. Créé en 2018 au St Ann’s Warehouse, cette nouvelle version de l’œuvre canonique de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II a séduit la critique et s’est vue transférée au Circle in the Square, l’un des théâtres les plus intimistes de Broadway. Se vantant de ne pas être « L’Oklahoma! de votre grand-mère », cette production a fait couler beaucoup d’encre. Réinterprétation brillante pour les uns, vulgaire masturbation intellectuelle pour les autres, personne n’en sortait indifférent.e et l’éternel débat « est-ce qu’on peut toucher aux classiques ? » repartait de plus belle. Le spectacle reçoit en tout cas le Tony Award du meilleur « revival » et est actuellement en tournée aux États-Unis.

Un spectacle immersif

Cet Oklahoma! se voit également transféré à Londres. L’aspect intimiste du Young Vic Theatre, petite salle de 420 places loin du quartier des théâtres commerciaux, en fait l’écrin idéal pour accueillir cette production. Le lieu a d’ailleurs subi quelques modifications pour accueillir le spectacle. La scène y est recouverte de bois clair, comme le fond de scène et le balcon, et prend toute la place du parterre. Les spectateur.rice.s se retrouvent donc au même niveau que les interprètes. Trois grandes tables de pique-nique servent d’unique décors ainsi que des guirlandes multicolores suspendues au plafond. Si en lisant ces lignes vous visualisez une salle des fêtes de village, vous avez plutôt une bonne idée du résultat final. Cette impression est d’ailleurs renforcée par les costumes qui font penser à ceux que pourraient porter les élèves de l’atelier country de la MJC de Saint-Germain en Laye pour leur restitution de fin d’année.

Liza Sadovy (Tante Eller) et Marisha Wallace (Ado Annie) © Marc Brenner

Oui, c’est assez risible écrit comme ça, mais cette grande simplicité dans cet espace restreint avec une distribution réduite (douze interprètes seulement, les rôles faisant également les ensemble) accentue l’idée de communauté très présente dans l’œuvre. Au-delà de l’amourette entre Laurey et Curly, Oklahoma! raconte l’histoire d’un groupe d’individu.e.s, les liens qui les unissent et comment ces derniers réagissent face au danger représenté par un intrus venant bouleverser leurs habitudes. L’intrus dans ce cas est Jud Fry, ermite répugnant, obsédé par les femmes et en particulier la belle Laurey. Dans cette production, ce personnage est interprété par Patrick Vaill, qui reprend là le rôle qu’il tenait à Broadway. Ce dernier est bien loin de l’image associée à Jud. Grand, blond, chétif, le comédien nous met profondément mal à l’aise au début avant qu’on ne finisse par s’attacher à lui face aux humiliations que Curly lui fait subir. Le jeune premier est ici interprété par Arthur Darvill. Il charme d’entrée de jeu par son attitude suave et sa belle voix de crooner (même si la voix de tête est parfois hésitante) avant de laisser voir sa nature arrogante. Le contraste entre les deux hommes fait que Laurey a réellement du mal à choisir entre les deux, et si elle accepte d’aller à la fête avec Jud pour rendre Curly jaloux, elle finit par prendre en pitié le paria qu’elle méprisait.

Sexy Oklahoma!

Et c’est surtout ce qu’on retient de cet Oklahoma!, toutes les actions présentées sont une suite de mauvaises décisions prises par des personnes incapables de gérer leurs hormones. La mise en scène joue d’ailleurs cette carte à fond. Tous les personnages semblent imprégnés de désir, ce qui se ressent dans leur manière de s’exprimer, vocalement et physiquement. Seule Tante Eller, interprétée avec beaucoup de justesse par Liza Sadovy (fraîchement auréolée de son Olivier Award pour Cabaret), garde la tête froide, et observe avec compassion et impuissance ce petit monde. Les (superbes) arrangements musicaux de Daniel Kluger, dans une veine très country, vont complètement dans ce sens. Si tout n’est pas d’une grande subtilité (certaines scènes cèdent un peu la facilité, notamment celle d’Ado Annie et ses deux prétendants) l’atmosphère qui s’en dégage est très séduisante. On est surpris de se retrouver émoustillé.e devant un Oklahoma !. Oui, Rodgers et Hammerstein II peuvent faire cet effet. On comprend mieux pourquoi les internautes avaient surnommé ce spectacle « Sexy Oklahoma ».

Anoushka Lucas (Laurey) et Arthur Darvill (Curly) © Marc Brenner

Daniel Fish : génie ou imposteur ?

Malheureusement la mise en scène est assez inégale. Si Daniel Fish propose dans l’ensemble une relecture intéressante, il y a un petit côté « Broadway découvre le théâtre contemporain » qui peut vite agacer. Des scènes entièrement jouées dans le noir, une caméra qui vient filmer les comédien.ne.s sur scène pour les projeter en fond de scène, des personnages se parlant dans un micro en chuchotant… Des effets de style peu justifiables et un peu prétentieux. On sent également que Daniel Fish n’assume pas complètement les scènes romantiques du livret, certes un peu fleurs bleues mais très sincères. C’est particulièrement visible sur la direction donnée à Laurey. La pauvre Anoushka Lucas se voit obligée de dire la moitié de son texte d’une manière très monotone, le regard dans le vide. Comme s’il fallait souligner que Laurey n’est pas sûre de ses sentiments. Heureusement, la comédienne compense avec son charisme naturel, sa belle voix chaude et son intensité de jeu lors des moments plus dramatiques.

Ces péchés d’orgueil du metteur en scène sont d’autant plus regrettables car quand la mise en scène est inspirée on est complètement embarqué.e. Notamment dans la scène finale, qui semble un peu bâclée dans l’écriture du livret, qui devient ici très prenante, voire glaçante. La grande proximité avec les comédien.ne.s sert également le propos et l’on se sent comme partie intégrante de cette communauté. Le traitement des personnages est d’ailleurs la grande qualité de cette production, en accentuant leurs défauts, on finit par les trouver beaucoup plus attachant.e.s. Mention spéciale à Marisha Wallace, déjà remarquée dans Dreamgirls, qui campe une Ado Annie espiègle et hilarante, soulevant la salle avec sa reprise ébouriffante de « I Can’t Say No ». Elle est parfaitement secondée par ses deux acolytes, le touchant James Davis (Will Parker) et le magnétique Stavros Demetraki (Ali Hakim), formant un triangle amoureux savoureux.

Finalement cet Oklahoma! est-il un coup de génie ou un odieux sacrilège ? Ni l’un, ni l’autre. Malgré des défauts sur lesquels il est difficile de fermer les yeux, on ne peut qu’apprécier d’assister à une vision artistique franche, avec ses forces et ses faiblesses. Cette version n’a pas vocation à remplacer les mises en scène traditionnelle de cette œuvre (à cet égard, celle de Trevor Nunn et Susan Stroman filmée avec Hugh Jackman et Josefina Gabrielle est à voir), juste à apporter un nouvel éclairage sur cette œuvre fondatrice de la comédie musicale et à nous la faire redécouvrir.

Oklahoma!
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Romain Lambert

Membre de Musical Avenue depuis juin 2012, je suis passionné bien évidemment de comédies musicales mais aussi de ballets. Je passe la majorité de mes soirées entre l'Opéra Garnier, Bastille et le Théâtre du Châtelet. Je voue un véritable culte a Stephen Sondheim et j'essaye de chanter "Glitter and be Gay" sous la douche.
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