Chanceux, il fallait l’être pour pouvoir assister à l’une des trois dates exceptionnelles de Wonderful Town, présenté fin mars. Après une première création en 2018, qui a remporté un franc succès et a bénéficié d’un enregistrement vidéo, les artistes se retrouvent à nouveau pour nous emmener de l’autre côté de l’Atlantique.
L’adaptation toulonnaise, un pont entre 70 ans d’histoire
Créée en 1953, cette comédie musicale renferme immanquablement un côté rétro. Il ne faut cependant pas s’arrêter à la première lecture ; derrière une histoire apparemment simple, Wonderful Town contient en germe les graines des plus grands succès de Léonard Bernstein. Ruth et Eileen, les deux sœurs et personnages principaux, quittent leur petite ville de l’Ohio pour tenter leur chance à New York. L’ainée (Ruth, magistralement interprétée par Jasmine Roy) se rêve écrivaine, tandis que sa cadette Eileen (sous les traits de la tout aussi talentueuse Kelly Mathieson) est une jeune danseuse pleine de charme et de naïveté. Autour d’elles gravite une galerie de personnages pittoresques, comme le propriétaire de l’immeuble où elles logent, le gérant du night-club Le Vortex, un séduisant joueur de baseball, ou un éditeur qui finit par dévoiler son amour pour celle que l’on n’attendait pas.
Loin d’être une énième production, la version présentée à l’Opéra de Toulon se démarque par cette alliance subtile de classicisme et de modernité, que ce soit dans la mise en scène, l’interprétation musicale ou les chorégraphies. Tout est habilement dosé et, sans s’en rendre compte, le spectateur entame une sorte de voyage hypnotique pour New York. Dès l’ouverture, on se promène dans Greewich Village (chanson “Christopher Street) avec un groupe de touristes munis de perches à selfie, déambulant entre les projections visuelles immersives très modernes ; mais on est aussi ramené dans les années 1950 par l’architecture très urbaine des décors. On perd finalement nos repères et c’est tant mieux, il n’y a plus qu’à se laisser doucement porter par les performances des artistes.
Wonderful Town s’apprécie en dépassant la simple narration. En réalité, c’est une histoire éminemment actuelle. Évidemment, outre l’amour de deux êtres, c’est une déclaration d’amour à la ville de New York que nous livre Léonard Berstein. La ville est finalement son personnage principal, un personnage qui fascine (et qui explique pourquoi les deux sœurs quittent la sécurité de leur région natale pour tenter l’aventure), mais qui est aussi cruel (par les désillusions et les épreuves à dépasser pour sortir de la foule inconnue), infatigable (au son des rythmes jazz de la partition) et qui unit les individus dans un grand tourbillon de vie commune, comme une sorte d’allégorie à ce qui a forgé l’identité de cette ville.
Ce n’est plus un secret, les liens entre Wonderful Town et West Side Story sont évidents, que ce soit par la mise en valeur de la cité de New York ou par la partition. Il est plaisant de reconnaître des accords familiers, prélude aux chansons iconiques de West Side Story (comme “Somewhere”) ; même si vous n’êtes pas un fin connaisseur, vous reconnaîtrez le “style Bernstein”. D’autant que l’orchestre de l’Opéra de Toulon exécute parfaitement la partition, et complète le voyage visuel par l’évasion auditive.
Exigence et excellence de l’Opéra de Toulon
Cela fait maintenant plusieurs années que l’Opéra de Toulon programme des comédies musicales au fil de ses saisons. Après South Pacific l’année dernière, une grande partie de l’équipe se retrouve pour Wonderful Town, que ce soit à la mise en scène (Olivier Bénézach – Un Violon sur le Toit, Grease, Into the Woods), à la direction musicale, aux chorégraphies ou pour incarner les personnages (avec le duo formé par Kelly Mathieson et Jasmine Roy). Pour nous, spectateurs, c’est un délice de ressentir immédiatement cette alchimie au lever de rideau. On (re)découvre des chansons, et l’émotion nous gagne sur les titres emblématiques tels que “Ohio” ou “It’s Love”. Mention toute particulière à l’incroyable Jasmine Roy (Starmania dans la version des années 1990 à Mogador, Les Misérables, ou aux commandes du Chatelet Musical Club), ainsi qu’aux nombreux artistes masculins qui l’accompagnent sur le tableau “Conga!” ; tout le monde est époustouflant par la précision et l’énergie déployées pour le final du premier acte.
Johan Nus (Les Producteurs, Les parapluies de Cherbourg) ne ménage pas les artistes ; les chorégraphies exigeantes viennent retranscrire la vitalité et l’énergie des danses de Broadway, avec des incursions hip-hop. Les projections visuelles mêlées aux décors physiques sont en symbiose avec les danses. La différence des styles entre le premier et le second acte est marquée, la musique change aussi, et le tableau illustrant l’ambiance du club Le Vortex est saisissant. Cet esthétisme soigné dans tous les aspects qui font les spectacles, des lumières aux arrangements instrumentaux, fait la renommée de l’Opéra de Toulon.
On pourrait penser que la présentation en anglais de la pièce ferait hésiter le public ; il n’en est rien, et la salle comble manifeste son enthousiasme par des applaudissements nourris entre les scènes. Les moments musicaux, langage universel, sont simplement séduisants quand clarinettes, cuivres et cordes sont mis à l’honneur. On ne soulignera jamais assez l’énergie qu’apporte l’orchestre tout au long des 2h30 du spectacle.
Au terme de ces trois soirées exceptionnelles, le public de l’Opéra de Toulon a quitté la salle le cœur léger et l’esprit empli de souvenirs. Wonderful Town traverse les époques et initie toutes les générations à la comédie musicale, à l’image de cette jeune fille d’une dizaine d’années (qui se trouvait devant nous lors de notre venue) et qui a applaudi pendant toute la représentation. Souhaitons qu’un tel spectacle puisse être joué dans encore plus de salles, partout en France, pour conquérir les amateurs de comédies musicales.
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