Critique : "Porgy and Bess" au Richard Rodgers Theatre de New York

Temps de lecture approx. 8 min.

Critique : "Porgy and Bess" au Richard Rodgers Theatre de New York"Summertime,
And the livin’ is easy
Fish are jumpin’
And the cotton is high…
"

"Summertime" est peut-être l’une des chansons les plus célèbres de George et Ira Gershwin : l’aria d’opéra qui transcende les genres musicaux est devenue un standard de jazz et est toujours une chanson populaire aujourd’hui. De même, le nouveau revival de Porgy and Bess au Richard Rodgers Theatre fait entrer avec succès ce classique des années 30 dans le nouveau millénaire.

Dès le départ, il est clair que l’ambiance de cette production est simple et sensuelle. Le rideau de scène présente le titre sur une touche de couleur et fait remonter le souvenir des logos démodés de vieux films épiques, ou peut-être même la couverture d’un roman d’amour. Et n’est-ce pas à propos ?
Porgy and Bess est l’histoire d’amour par excellence, plein de convoitise, de tentation, de fureur et d’amour sincère. Bess, une femme belle mais opprimée, tente d’échapper de sa relation abusive avec Crown et de résister aux tentations du dealer Sporting Life en trouvant une vie amoureuses stable auprès du mendiant estropié Porgy.

Tout au long du spectacle, le décor minimal (conçu par Riccardo Hernandez) et l’éclairage mélodramatique (signé Christopher Akerlind) aident à produire l’atmosphère adéquate, mais guère plus. L’action se déroule presque exclusivement sur une plateforme de planches de bois brutes. Quand un ou deux meubles usés sont employés, l’action se situe en intérieur ; quand la scène reste nue à l’exception d’une pompe à eau fonctionnelle, l’action se déroule en extérieur dans le quartier fictif de Catfish Row.
La couleur dominante est un ton doré et cuivré qui évoque la chaleur suffocante et le soleil radieux des étés à Charleston, en Caroline du Sud. Bien que le costumier ESosa ait en général habillé les membres les plus importants de la distribution de vêtements plus clairs, l’ensemble se fond parfois dans le décor, et Sporting Life disparaît presque complètement dans son costume beige.

"Porgy and Bess" au Richard Rodgers Theatre de New York

L’ocre s’étend aux planches de bois et à l’arrière-plan en demi-cercle férailleux pour donner un aspect monochrome à la scénographie qui, au fil du temps, paraît défraîchie (quoique dans un sens, cela corresponde au spectacle assez ironiquement).
Quoique l’on puisse apprécier le minimalisme branché de la scénographie, on attend un peu plus d’un décor qu’une simple table pour signifier un cercueil ou quelques plantes et un fond bleu pour évoquer une île.
Bien que le spectacle doive sans doute faire avec quelques restrictions budgétaires puisqu’il ne joue que pour une durée limitée, le décor aurait pu incorporer quelques éléments supplémentaires pour mieux suggérer le paysage de Catfish Row que cette vague ambiance paresseuse.

"Porgy and Bess" au Richard Rodgers Theatre de New York

"Oh, your daddy’s rich
And your mamma’s good lookin’
So hush little baby
Don’t you cry…"

"Rich" de talent et certainement "good lookin’", Audra McDonald et Norm Lewis captent l’attention du public et brillent sous les projecteurs.
McDonald (Ragtime ; 110 in the Shade) interprète le rôle de Bess comme s’il avait été conçu pour elle. Elle se plonge dans le personnage et incarne toutes les émotions humaines au cours des deux heures et demie du spectacle, craignant l’ire de son petit ami, pleurant les morts, se battant contre la violence et la maladie et contre elle-même pour arrêter la drogue.
Son interprétation n’est surpassée que par sa splendide voix de soprano qui s’élève avec aisance, surtout lorsqu’elle est associé à la puissance de baryton de Lewis. Ce dernier (Les Misérables ; Sondheim on Sondheim) égale les talents de comédienne de McDonald et est plus que crédible dans le rôle de Porgy le mendiant estropié. Il traîne comme un poids mort sa jambe gauche, tordue étrangement, parvenant à nous convaincre qu’il ne peut réellement pas se lever ni marcher, jusqu’à ce qu’on le voie se tenir debout lors des saluts. Son interprétation de Porgy n’est en aucun cas du registre de l’impuissance et de la fragilité : il se montre profondément conscient des dangers et assez agile, en particulier avec sa canne. Bien que Bess se batte avec ses propres faiblesses tout au long du spectacle, Porgy s’impose lorsqu’il hurle "You’ve got a man now. You’ve got Porgy!" ("Tu as un homme à présent. Tu as Porgy !") et chante plus tard un finale crève-cœur et inspirant, "I’m on My Way".
L’alchimie de ce duo vedette bouillonne sous le soleil chaud de Caroline du Sud.

"Porgy and Bess" au Richard Rodgers Theatre de New York

Dans les rôles de Jake et Clara, Josh Henry et Nikki Renée Daniels forment sur scène un couple radieux – et pas uniquement parce qu’ils jouent de jeunes parents. Leur optimisme effervescent, leur joie et leur acceptation au sein de leur communauté contrastent avec Porgy et Bess. Henry (The Scottsboro Boys ; American Idiot) est musculeux et pourrait en imposer si ses yeux souriants et son visage expressif ne le trahissaient pas. Le rire dans sa voix fait de "A Woman Is a Sometimes Thing" un des meilleurs numéros du spectacle. Dans "Summertime", son timbre plein écrase parfois Daniels (Anything Goes ; Promises, Promises), dont la voix de soprano est légère comme une brise d’été.

Philippe Boykin fait des débuts impressionnants dans le rôle de l’abusif Crown. Sa stature autoritaire et sa voix tonitruante sont à même de terrifier qui que ce soit dans le théâtre – qui que ce soit, sauf peut-être Natasha Yvette Williams (The Color Purple) qui en dimensions et en volume est son alter ego féminin.
Dans le rôle de Sporting Life, David Alan Grier (Race ; The First) forme un serpent parfait dans le jardin d’Éden de Catfish Row avec ses sourires sournois et sa voix jazz nonchalante sur &
quot;It Ain’t Necessarily So".
Bryonha Marie Parham (Ragtime) est quant à elle un petit bijou caché parmi les autres comédiens. Son timbre de soprano résonne jusqu’au fond de la salle sur "My Man ‘s Gone Now" avec une fureur comparable à l’ouragan qui frappe Catfish Row.

"One of these mornings
You’re going to rise up singing
Then you’ll spread your wings
And you’ll take to the sky…"

Cette production, qui a fait ses débuts à l’American Repertory Theatre de Cambridge dans le Massachusetts, a suscité l’intérêt pour sa nouvelle adaptation dirigée par la metteur en scène Diane Paulus (Hair) sur un nouveau livret de Suzan-Lori Parks (TopDog / Underdog) et Diedre Murray. La réaction la plus surprenante à ces changements est venue du compositeur et parolier Stephen Sondheim, qui a fait part de son indignation dans une lettre ouverte publiée par le New York Times.

"Porgy and Bess" au Richard Rodgers Theatre de New York

En dépit des ronchonnements de Sondheim, cette production trouve un équilibre parfait entre l’ancien et le nouveau. Les spectateurs d’aujourd’hui ne sont pas intéressés par un opéra de quatre heures, en particulier à Broadway, où les spectacles d’une heure et demie sans entracte sont de plus en plus populaires.
Porgy and Bess
n’est pas un musical juke-box ni l’adaptation d’un film sur scène : il s’agit d’un classique américain, mûr pour cette reprise inspirée, tout particulièrement avec à sa tête des vedettes comme Audra McDonald et Norm Lewis.

Paulus et son équipe méritent d’être félicités pour avoir pris un spectacle légendaire ancré dans une autre époque et l’avoir retravaillé afin qu’il conserve à la fois le meilleur de l’opéra original et soit un succès en tant qu’œuvre contemporaine de théâtre musical.
Le nouveau Porgy and Bess s’élève et transcende non seulement toutes ces années écoulées, mais également les styles musicaux, et continuera à faire partie des canons du théâtre musical pour de nombreux étés.

[Lire la version originale de cette critique]

Photos : Michael J. Lutch


Porgy and Bess, de George et Ira Gershwin, DuBose et Dorothy Heyward

Jusqu’au 8 juillet 2012
Au Richard Rodgers Theatre
226 West 46th Street, New York

Mise en scène : Diane Paulus ; Chorégraphie : Ronald K. Brown ; musique : George Gershwin ; paroles : DuBose Heyward, Dorothy Heyward et Ira Gershwin ; livret adapté par Suzan-Lori Parks et Diedre Murray ; direction musicale : Constantine Kitsopoulos ; orchestrations : William David et Christopher Brohn Jahnke; scénographie : Riccardo Hernandez ; costumes : ESosa ; lumières : Christopher Akerlind ; sound design : Sound Partners Acme ; Perruques, coiffures et maquillages : J. Jared Janas et Rob Greene.

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