Rencontre : Nos lecteurs interrogent Laurent Bentata, PDG de Stage Entertainment [1ère partie]

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Rencontre : Nos lecteurs interrogent Laurent Bentata, PDG de Stage Entertainment [1ère partie]

La distribution de La Belle et la Bête, la future production de Stage Entertainment, sera annoncée dans quelques jours à l’occasion d’une présentation à la presse programmée le 2 juillet prochain. À cette occasion, nous publions aujourd’hui la 1ère partie très attendue de la rencontre avec Laurent Bentata (Directeur général de Stage Entertainment France) et Arnaud Cazet (Directeur marketing et communication) à laquelle quatre de nos lecteurs ont pu participer il y a quelques mois.

Présentation des participants

Margot : Je travaille dans la production de spectacle dans un parc de loisirs, et suis passionnée de spectacles musicaux "à la Broadway" et de films musicaux depuis des années.

Guy : Adolescent, j’écoutais les 33 tours des Misérables, version de Robert Hossein. Puis à 18 ans, je suis arrivé à Paris où j’ai découvert le théâtre et rapidement les comédies musicales. Vingt-huit ans plus tard, j’ai vu un grand nombre de comédies musicales, de toutes sortes, petites à grandes productions.

Nathalie : J’ai assisté à ma première comédie musicale en 1999, Roméo et Juliette. J’y suis allée par curiosité. Durant les années qui ont suivi, je ne suis pas retournée voir d’autres comédies musicales. A cette époque je pensais (à tort) que les comédies musicales se limitaient aux grands shows tels que Les 10 commandements, Autant en emporte le vent… Début 2008, je tombe un peu par hasard sur Le Prince et le Pauvre, qui a été l’élément déclencheur de ma passion naissante pour les comédies musicales. Étant amatrice de photos, j’ai eu l’occasion de réaliser quelques reportages photos avec l’équipe de Musical Avenue.

Arnaud : Mon premier spectacle musical fut Notre-Dame de Paris, que j’ai eu la chance de voir 3 fois à l’âge de 6 ans ! Depuis ce spectacle, je n’ai raté presque aucune production de spectacles "à la française", puis sont arrivées les pures comédies musicales de Broadway, et un genre nouveau en France. Je suis un vrai passionné et j’adorerais en parallèle de mes études prendre des cours de chant et de comédie pour me retrouver à mon tour dans un de ces spectacles.

Ont également participé à la rencontre Baptiste Delval et Benoît Tourné, chroniqueurs du site.

Dans le vif du sujet avec l’annulation de Mary Poppins

Replongeons nous maintenant dans le contexte : quelques mois avant la rencontre, Stage Entertainment lance un appel à casting pour les rôles de Mary Poppins. Puis, la nouvelle sonne comme un coup de tonnerre, quelques jours avant la rencontre : le projet est tout simplement annulé. Nous avons voulu en savoir plus et avons saisi l’occasion pour demander plus de précisions à l’équipe de Stage.
Accompagnés de quelques uns de nos lecteurs fidèles, nous avons donc rendez-vous un soir dans les locaux de Stage Entertainment France qui jouxtent le Théâtre Mogador. Arnaud Cazet, le directeur commercial, nous accueille chaleureusement et nous entraîne dans un des salons du théâtre où nous rejoint Laurent Bentata.

Arnaud (lecteur) : C’est un grand privilège pour moi de vous rencontrer.

Laurent Bentata : Sachez que le privilège est réciproque. Quand Arnaud Cazet est venu me voir pour me dire que les gens de Musical Avenue souhaitaient organiser cette rencontre, ça a été évident pour moi de répondre positivement. Il est toujours intéressant de s’arrêter deux secondes et de pouvoir avoir cette interactivité, se nourrir aussi des réflexions, des commentaires, des questions que vous pouvez vous poser sur des décisions, sur des choix, ou des non-choix et de pouvoir essayer de nous expliquer avec vous. Arnaud Cazet et moi, nous sommes là depuis le début de Stage Entertainment en France. On l’a construit progressivement avec notre cœur, notre envie, notre vision et nos erreurs : c’est ce qui nous pousse à avancer. Vous rencontrer, pouvoir vous écouter et répondre au mieux à toutes les questions que vous vous posez sur notre quotidien et sur nos projets a un intérêt pour nous aussi.

Nathalie (lectrice) : Le sujet qui brûle toutes les lèvres, c’est l’abandon de Mary Poppins. Pour quelles raisons est-il difficile de trouver des artistes en France ?

LB : Les deux rôles principaux, Mary Poppins et Burt, nous ont posé problème. Avant toute chose, je tiens à dire que chaque projet est différent. C’est vrai que la spécificité que l’on recherche, c’est la pluridisciplinarité. Nous allons chercher des gens qui savent chanter, danser, jouer la comédie, voire jouer d’un instrument, ce qui était le cas sur Cabaret. Cette approche artistique, en France, elle est rare. Déjà, il y a très peu de cursus qui dispensent cet enseignement. En France, il y a des gens qui sont capables de chanter, des gens capables de chanter, des gens capables de jouer la comédie, mais rarement des gens qui possèdent ces trois compétences. Je ne veux pas dire qu’il n’y en a pas du tout, mais beaucoup moins que dans les pays anglo-saxons. Pour l’instant, on avait toujours réussi à en trouver. C’était souvent compliqué. Sur Cabaret, par exemple, nous avons trouvé Fabian Richard (qui a tenu le rôle de MC pendant très longtemps) une semaine avant le début des répétitions.

Vous voyez le lieu dans lequel nous nous trouvons, vous connaissez notre approche sur les prix pratiqués. Quand nous sommes arrivés ici avec Le Roi Lion, on nous a pris pour des fous par rapport aux tarifs. Désormais, lorsque les gens voient le spectacle, le prix n’est pas un problème, parce qu’ils voient la dimension artistique et la qualité qui est développée sur scène. Cela veut dire que l’exigence pour construire le spectacle doit toujours être au niveau… Les gens nous disent que c’est de la "sur-qualité". Il n’y a pas de sur-qualit&eacu
te;. Il faut toujours avoir comme fil conducteur la qualité.
On n’a jamais lésiné dessus, y compris en terme d’investissements. On pourrait se dire qu’on enlève quatre musiciens ou du monde sur scène… Cette pression artistique qu’on met, elle ne s’exerce pas seulement lors du casting mais tout au long de l’exploitation du spectacle.

Le profil du personnage de Mary Poppins est particulier. Le chant présente la particularité d’avoir une dimension très lyrique. C’est très riche également au niveau de la danse car il y a de la danse très contemporaine mais aussi des claquettes. Quand vous posez ces critères, la sélection commence à réduire. On a vu 3.000 personnes, elles étaient très bonnes en chant ou en comédie. Il y a des gens qui se sont battus pour le rôle, qui nous disaient qu’ils allaient apprendre les claquettes. À un moment, il a fallu qu’on trouve le coup de cœur sur Mary Poppins et là-dessus, nous n’avons pas voulu transiger. C’est une décision qui a été difficile à prendre, car nous y avons investi du temps, mais également de l’argent.
Cependant, mieux vaut arrêter quand il est encore temps que de s’entêter et arriver au mois de juin, deux, trois mois avant le démarrage du spectacle et se dire : "Bon, là, on n’a personne qui tient la route" et ne plus avoir aucun plan de repli. Donc la décision a été prise par rapport à cette spécificité, et sur cette exigence de qualité qui doit nous habiter au quotidien.

Baptiste (Musical Avenue) : Avez-vous envisagé d’aller chercher des talents au Québec ?

LB : Nous l’avons fait. On ne s’est pas arrêté aux frontières françaises. Après, une troupe, par rapport à un spectacle comme Mary Poppins, repose aussi l’homogénéité qui la compose. Il faut donc que ce soit un bon dosage. C’était assez déséquilibré et ça ne pouvait pas fonctionner. Il faut des personnes qui s’habituent à l’ambiance française, aux coutumes françaises, à la spécificité du marché français et ça ne fonctionnait pas à ce niveau. Nous avons donc préféré noous arrêter là.

Margot (lectrice) : Cette annulation aura peut-être un très bon impact sur autre chose : je viens d’une école de comédie musicale et je suis restée en très bons termes avec plusieurs élèves de l’école. Cette histoire les a profondément touchés : ils ont réalisé que beaucoup se contentaient d’une discipline ou deux. Sur cinquante élèves, il n’y en a que sept ou huit qui maîtrisaient les trois. Et ce n’est que lors d’auditions imminentes que l’on se met d’un coup à travailler celle qu’on ne maîtrise pas. Ils ont donc réalisé qu’il ne faut pas attendre le dernier moment pour s’inscrire au cours de claquettes et s’ouvrir aux autres disciplines. Cela aura donc peut-être de très bonnes influences pour la suite.

LB : Oui, cette discipline, chacun doit se l’imposer. Le marché du musical à Paris est tout nouveau, nous essayons de le développer. Cela va prendre du temps et maintenant nous commençons à avoir un cheptel d’artistes… D’ailleurs, nous retrouvons souvent des artistes d’anciens spectacles qui reviennent car on les a formés. Quand ils arrivent pour la première fois chez nous, ils sont assez surpris de la discipline. Au début, ils ne comprennent pas. Ils la rejettent même un peu. D’ailleurs, on a une salle de fitness ici. On prend soin de nos artistes. C’est le cœur de notre activité : ils doivent être tous les soirs au top. Cela veut dire qu’ils doivent s’imposer une hygiène de vie et ça, par moments ça pose des problèmes.
Par exemple, les artistes qui sortent le soir. Un artiste, c’est un athlète. Un artiste qui joue sept fois par semaine, doit prendre soin de son corps comme un athlète de foot. Nous essayons donc de mettre tous les moyens nécessaires à leur disposition. Après, chacun est responsable de lui-même. Cela veut dire que chacun doit s’imposer cette philosophie de vie et ce n’est pas toujours le cas en France. Les Anglo-saxons, c’est naturel pour eux. Un Anglo-saxon qui sait que la répétition commence à 8h va arriver à 7h30, pour s’échauffer. Le Français va arriver à 8h10. Attention, je ne suis pas en train de rejeter les Français. J’ai presque envie de dire qu’en France on a des talents bruts. Il faut donc qu’on arrive à les former, à leur donner des directives et des directions pour essayer de se former à l’école anglo-saxonne.

"On a tourné une page…"

Arnaud (lecteur) : Y a t-il tout de même un espoir que Mary Poppins soit monté à Paris dans quelques années ?

LB : On n’est pas à l’abri d’un coup de cœur, d’une rencontre… Nous, pour l’instant,ne travaillons plus dessus pour être honnête. Mais si demain on a une rencontre sur un autre casting…
Un spectacle, c’est une longue machine donc il faut tout redémarrer, parce qu’il n’y a pas qu’un rôle. Cela ne dépend pas que de Mary Poppins et Burt. Il faudrait donc reprendre tous les personnages du spectacle pour reconstruire tout cela. C’est un travail de longue haleine.
On a tourné une page, on a fermé un dossier qui a été ouvert il y a un an… un an de travail. Donc pour nous aussi, la frustration est là. Mais on a pris la décision de s’arrêter à temps. Ne pas prendre de décision est bien souvent synonyme de gros problèmes.

Sir Cameron MackintoshArnaud (lecteur) : De qui est constituée l’équipe décidant le casting ?

LB : Il y a l’équipe française de Stage Entertainment, l’équipe internationale et les créateurs du spectacle, ceux qu’on appelle les ayant droits, donc sur Mary Poppins : Cameron Mackintosh et Disney. Ces trois partis assistent donc au casting et ont la décision finale. Ce n’est donc pas une décision d’une personne mais collégiale, avec des avis qui peuvent être différents mais qui nourrissent la réflexion.

Margot (lectrice) : Quelle est la leçon à retenir suite à l’annulation de Mary Poppins ? Quelle stratégie va être adoptée ?

LB : Il n’y a pas de stratégie. Le business de la comédie musicale n’est pas une science exacte. Ce
qui s’est passé sur Mary Poppins est déjà arrivé à plus d’un producteur. Cela arrivera demain et ça pourra arriver sur un autre projet. Tant qu’on n’a pas lancé le casting, on ne peut pas savoir. C’est un peu une inconnue.
On essaye de maîtriser pas mal de paramètres mais on ne maîtrise pas tout. C’est ce qui fait le charme de cette profession!
La leçon à tirer est que ce n’est jamais gagné, jusqu’à la fin de l’exploitation d’un spectacle. Il faut se battre au quotidien, à tous les niveaux, pour maintenir la qualité et pour vendre les billets aussi.
On n’a jamais la garantie de trouver, donc je ne voudrais surtout pas choisir un spectacle par ce qu’il est facile à "caster". Si c’est facile à "caster", c’est peut-être un spectacle qui n’est pas au niveau, qualitativement parlant. Il y a les spectacles dont on rêve, qui sont ambitieux et il faut y aller. On va souvent sur un spectacle parce qu’on y croit mais il y a aussi beaucoup de gens qui font des études. Les études interviennent prennent une part minime dans le choix, par ce que derrière nous avons nos convictions et il faut que ça reste une conviction. Si on travaille sur les études, ça devient très mathématique. Moi personnellement, je n’y crois pas. Il y a un choix, une idée. Ce spectacle peut plaire au public français pour telle ou telle raison. C’est pour l’instant ce qui nous a habité dans le choix des spectacles. Et ça a eu pas mal de succès pour le moment. Je touche du bois ! 


Lire ou relire les autres parties de la rencontre : 


 Revenez très bientôt pour découvrir la suite de cette rencontre.

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