Critique : "Chicago" au Théâtre Mogador

Temps de lecture approx. 6 min.

Le musical culte signé John Kander, Fred Ebb et Bob Fosse a investi le Théâtre Mogador depuis le 26 septembre dernier en version française, avec une chorégraphie légèrement remaniée pour l’occasion par la talentueuse Ann Reinking. Chic et sulfureux à souhait…

A quoi reconnaît-on les grands spectacles ? Sûrement au fait que pendant près de deux heures et demie de show, le public ne relâche à aucun moment son attention et applaudisse à tout rompre à chaque fin de morceau. Et ce, malgré une sobriété de mise en scène relativement rare dans un musical, qui plus est à Mogador qui nous avait habitués à des décors et des effets de scène fournis avec Le Roi Lion, La Belle et la Bête, le Bal des Vampires et plus récemment Grease.

En ce 11 octobre 2018, grande était notre envie de découvrir l’adaptation française de Chicago proposée par Stage Entertainment France, quelques années après celle de 2004 au Casino de Paris signée Laurent Ruquier avec Véronic Dicaire et Stéphane Rousseau dans les rôles titres. Nous avions déjà pu en avoir un aperçu lors de la découverte des coulisses puis du Média Day organisés au Théâtre Mogador peu de temps avant le début des représentations, comme une petite mise en bouche qui n’avait fait qu’aiguiser notre appétit.


 

Un show technique et épuré

Créé à Broadway en 1975 par le trio Fosse/Ebb/Kander, Chicago raconte l’histoire de Roxie Hart et Velma Kelly, deux artistes de jazz qui se rêvent tout en haut de l’affiche mais qui se retrouvent derrière les barreaux de la Cook Country Jail, l’une pour avoir assassiné son amant, et l’autre pour avoir tué sa sœur et son mari adultère. Dans une Amérique des années 1920 sulfureuse et corrompue, elles s’offrent alors les services de l’avocat véreux Billy Flinn afin de redorer leurs blasons… Multi-récompensé et toujours à l’affiche outre-Atlantique depuis 22 ans, Chicago a également été transposé au cinéma en 2002 par Rob Marshall avec Richard Gere, Catherine Zeta Jones et Renée Zellweger.

« L’histoire que vous allez voir mêle corruption, meurtre, avarice, violence, escroquerie, adultère et trahison… Toutes ces valeurs qui nous font chaud au cœur« . Dès l’introduction, sur une scène plongée dans le noir à l’exception d’une chaise côté jardin, le ton est donné. Tous les ingrédients doux-amers qui ont fait la renommée de Chicago, dont l’histoire est une critique drôle et grinçante de la justice américaine, devraient encore une fois être réunis. Et lorsque les premières notes jazzy résonnent et que Sofia Essaïdi (Star Academy 2 ; Cléopâtre – la dernière reine d’Egypte) entre en scène pour entonner « All That Jazz », adapté ici en « Faut qu’ça Jazze », la salle se tait et on est d’emblée séduits par le talent de la troupe, les chorégraphies d’une technicité parfaite réarrangées pour l’occasion par Ann Reinking, qui avait tenu le rôle de Roxie Hart lors du revival du show à Broadway en 1996, l’adaptation française très efficace et pertinente de Nicolas Engel, ainsi que par l’ambiance à la fois élégante, drôle et vénéneuse qui se dégage de l’ensemble. Tout est millimétré et l’implication artistique de la troupe est remarquable.


Bien sûr, la mise en scène étant exactement la même que celle de la version de 1996, la sobriété et le minimalisme sont de mise. En guise de décors, l’orchestre situé en fond de scène entouré d’un cadre doré, quelques accessoires qui arrivent à point nommé pour nous mettre sur la piste, et de subtils jeux de lumière. Mais la chorégraphie d’Ann Reinking, qui malgré les quelques ajustements respecte toujours à merveille l’indémodable et singulier « Fosse Style », et l’orchestre composé de cuivres, cordes et piano, personnages à part entière du show tant ils interagissent avec la troupe et agrémentent les scènes de musique autant que de bruitages, sont hypnotisants et compensent largement les lacunes en matière d’unité de lieu et de temps.

Let’s jazz !

La troupe n’est pas en reste : Jean-Luc Guizonne (Madiba ; Le Roi Lion), lui aussi ex star-académicien, campe un Billy Flynn plutôt convaincant, Sandrine Seubille (Le Bal des Vampires ; Jack, l’éventreur de Whitechapel) impressionne en Mama Morton, Pierre Samuel (Le Bal des Vampires ; Spamalot) nous fait passer du rire aux larmes en Amos Hart, en particulier lors du morceau « Monsieur Cellophane », et enfin V. Petersen, alias la journaliste Mary Sunshine, est tout à fait bluffant. Mention spéciale à Sofia Essaïdi qui se glisse dans le costume de Velma Kelly avec brio et mêle chant, danse et comédie avec une aisance remarquable. Incontestablement une artiste très professionnelle… voire presque trop perfectionniste, au point de faire parfois manquer d’aspérités à son personnage. Il faudra en revanche se hâter pour l’applaudir dans ce rôle, car dès le 1er mars 2019, elle cédera sa place sur les planches à la non moins talentueuse Fanny Fourquez (Saturday Night Fever ; Love Circus). Quant à l’ensemble, une fois n’est pas coutume, il n’est jamais relégué au second plan et maîtrise aussi bien l’acting que le chant. Sans parler de la danse, dans laquelle toute l’énergie et l’implication des artistes se ressent et ne peut que susciter l’admiration. Le célèbre « Tango des Cellules » (« Cell Block Tango ») reflète à lui seul cette exigence, bien que le niveau des artistes soit un peu inégal sur ce morceau. Carien Keizer n’avait en revanche pas revêtu le costume de Roxie Hart ce soir-là, remplacée par Marianne Orlowski dont on suppose qu’il s’agissait de la première fois dans la peau de Roxie tant le reste de la troupe l’a acclamée une fois le rideau baissé. Elle était en tout cas très crédible et semble avoir convaincu toute la salle. De notre côté, on regrette en revanche la perruque brune qui peine à la différencier du personnage de Velma.


La virtuosité du trio Bob Fosse, Fred Ebb et John Kander, couplée au talent de la troupe française et à un livret français qui n’a pas à rougir, a véritablement fait souffler un vent de scandale et de plaisir sur le Théâtre Mogador. A la fin du show, alors que les lumières se sont déjà rallumées dans la salle, le public reste d’ailleurs étonnamment assis et attentif jusqu’aux toutes dernières notes de jazz jouées par l’orchestre dirigé par Dominique Trottein, puis finit par se lever sur une dernière salve d’applaudissements. Preuve s’il en fallait qu’un spectacle de qualité mettra toujours tout le monde au diapason. So let’s jazz !

Crédits photos : Julien Vachon

Chicago
Chloe Enkaoua

Chloe Enkaoua

J'ai trois passions dans la vie : les voyages, les romans de Stephen King et les comédies musicales. En grandissant au milieu de quatre grandes sœurs, j'ai été biberonnée aux films musicaux, de "Hair" à "The Chorus Line" en passant par "West Side Story", "Grease" et "Fame". Depuis 2008 et mon arrivée à Paris pour exercer le métier de journaliste, j'écume les salles de spectacles pour y découvrir les nouvelles comédies musicales à l'affiche. Et lorsque je le peux, celles de Broadway et du West End également !
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