En 2003, Véronic DiCaire (Roxie Hart) et Terra C. MacLeod (Velma Kelly) se partageaient la scène dans l’adaptation française de Chicago, de Montréal à Paris. Plus de 20 ans plus tard, les deux complices reprennent leurs rôles vedettes dans une toute nouvelle production, mise en scène par une équipe de Broadway, en collaboration avec le metteur en scène résident Benoit Landry (Lily St-Cyr).
une adaptation québécoise qui a du mordant
À Montréal, le début de l’été rime invariablement avec comédie musicale, grâce à la production estivale présentée chaque année par Juste pour rire. De Mary Poppins à Hair, en passant par Annie, de grands classiques du genre prennent vie dans la métropole, toujours adaptés en français. La nouvelle mouture de Chicago ne fait pas exception. Ce monument de Broadway, créé en 1975 par John Kander, Fred Ebb et Bob Fosse, bénéficie d’une nouvelle traduction signée Manuel Tadros, déjà à l’œuvre en 2003. Ici, pas de français policé, mais un parler québécois assumé, qui insuffle mordant et authenticité à la pièce.
Pour rappel, Chicago se déroule dans les années 1920. Roxie Hart, une artiste de cabaret aux rêves de grandeur, se retrouve derrière les barreaux après avoir assassiné son amant. En prison, elle fait la rencontre de Velma Kelly, une chanteuse de jazz également incarcérée pour meurtre. Rêvant de gloire et de célébrité, les deux femmes voient dans leur histoire un tremplin pour relancer leur carrière avec l’aide de l’avocat véreux Billy Flynn.
Si le public montréalais était en feu pour accueillir cette nouvelle production, le spectacle le lui a bien rendu. Dès les premières notes de « C’est ça le jazz » (« All That Jazz »), l’attention de la salle a été happée par l’univers envoûtant de la comédie musicale.
une distribution solide
L’alchimie évidente entre Véronic DiCaire (Roxie Hart) et Terra C. MacLeod (Velma Kelly) n’y est sans doute pas étrangère. Les deux artistes prennent visiblement plaisir à (re)jouer ensemble, tout en maîtrisant la complexité technique de leurs rôles. Il faut une grande rigueur et un indéniable talent pour exécuter avec précision la gestuelle et les chorégraphies exigeantes de chacun de leurs numéros. Avec énormément d’aisance, elles bougent, chantent, dansent et manient l’humour pour donner vie à ces deux femmes prisonnières de leur égo, mais étonnamment attachantes.
Le choix de la distribution ne pouvait être plus juste : Véronic DiCaire alterne à merveille une naïveté désarmante et une assurance flamboyante, tandis que Terra C. MacLeod, forte de son expérience du rôle qu’elle a également campé à Broadway et dans le West End, incarne une Velma piquante et charismatique.
À leurs côtés, les autres artistes ne sont pas en reste. Michaël Girard (Le Fantôme de l’Opéra) campe un Billy Flynn aussi charmeur que manipulateur. Sa complicité avec Véronic DiCaire se révèle pleinement dans la scène délicieusement cynique de la conférence de presse (« On s’est jetés sur le gun »), où il tire littéralement les ficelles, transformant Roxie en marionnette mimant ses paroles. Un moment de théâtre dans le théâtre, aussi drôle que dérangeant, brillamment orchestré et lourd de sens.
Avec sa voix puissante et sa présence magnétique, la chanteuse québécoise Mélissa Bédard, révélée en 2012 dans l’émission Star Académie, brille également dans le rôle de « Mama » Morton. Tour à tour autoritaire et rusée, son numéro « Vous êtes bonnes pour Mama » est un pur moment de plaisir, alliant humour, groove et subtils sous-entendus. Représentant à elle seule le thème central du spectacle, elle rappelle que tout se négocie, même la justice ou la loyauté, du moment qu’on paie le bon prix.
c'est ça le jazz !
Fidèles à la production new-yorkaise de 1996, la mise en scène et les chorégraphies parviennent à plonger les spectateurs au cœur de l’essence même de Chicago. On retrouve l’orchestre, composé de 14 musiciens, qui trône en fond de scène, encadré d’une structure dorée faisant office à la fois de décor et d’écrin scénique où les artistes se faufilent et s’élancent. Entre langueur et intensité, les chorégraphies suggestives captivent par leur élégance affûtée, accompagnant on ne peut mieux l’atmosphère oscillant entre glamour et ironie dramatique. On ne peut que saluer la bonne supervision chorégraphique de Maud Saint-Germain qui a permis de respecter le style signature de Bob Fosse tout en donnant une cohérence à l’ensemble.
Sulfureux, stylisé, sensuel, satirique… Cette nouvelle version de Chicago frappe fort. Elle mêle avec justesse raffinement et désillusion, dans un univers où les paillettes camouflent les coups bas et les jeux de pouvoir. Livrée avec panache, cette critique acerbe de la célébrité, du système judiciaire et des médias résonne encore étonnamment fort aujourd’hui – signe que, malgré les années, rien n’a vraiment changé.
Preuve du succès de ce spectacle, une nouvelle version sera également présentée à partir du mois de novembre 2025 au Casino de Paris !
