Publié en 1925, The Great Gatsby de F. Scott Fitzgerald est aujourd’hui considéré comme l’une des œuvres les plus emblématiques de la littérature américaine. En plein cœur des « roaring twenties », l’histoire de ce mystérieux milliardaire de Long Island ne cesse de fasciner et a donné lieu à de nombreuses adaptations. Sa temporalité et ses nombreuses scènes festives font de ce roman le candidat idéal pour être transposé en comédie musicale. Même Julia et Tom (les auteur.rice.s de Bombshell dans la série Smash) en rêvaient. Il aura pourtant fallu attendre presque cent ans pour voir Jay Gatsby chanter et danser sur une scène de Broadway.
Il était une fois Gatbsy le Magnifique
En 2023, deux productions différentes sont mises en chantier : The Great Gatsby au Paper Mill Playhouse et Gatsby : An American Myth à l’American Repertory Theatre. C’est finalement la première qui se voit transférée au Broadway Theatre. Le livret est de la dramaturge Kait Kerrigan, la musique de Jason Howland (Little Women) et les paroles de Nathan Tysen (Amélie). À la mise en scène on retrouve Marc Bruni (Beautiful : The Carole King Musical) et les chorégraphies sont signées Dominique Kelley. C’est Jeremy Jordan (Newsies), le golden boy de Broadway, qui endosse le rôle-titre, aux côté d’Eva Noblezada (Hadestown), l’une des leading ladies les plus en vogue de ces dernières années, dans le rôle de Daisy.
Le moins qu’on puisse dire c’est que les critiques ne sont pas tendres avec cette adaptation et le spectacle se voit ignoré lors des nominations aux Tony Awards. Seuls les costumes de Linda Cho sont cités et remportent même le prix. Mais le public n’est pas de cet avis. Sur les réseaux sociaux, les jeunes fans ne cessent de clamer leur amour pour cette comédie musicale et les ventes se portent bien. Comme beaucoup de succès new yorkais, The Great Gatsby a traversé l’Atlantique pour s’établir dans le West End, au London Coliseum où l’histoire se répète. Démonté en bonne et due forme par les critiques, le spectacle continue de faire salles combles et d’émerveiller le public.
Alors qu’est-ce qu’on en pense chez Musical Avenue ? Deux de nos chroniqueurs, aux goûts diamétralement opposés, ont eu l’occasion de faire une visite au London Coliseum et inutile de dire que The Great Gatsby marque une nouvelle scission entre ces deux passionnés.
l’avis de romain : the mediocre gatsby
Du glamour, des paillettes, du swing et all that jazz… C’est à peu près tout ce que l’équipe créative a visiblement retenu du roman. L’idée de se concentrer sur la romance entre Gatsby et Daisy n’est pas mauvaise en soi, et c’est toujours plus simple pour une comédie musicale de raconter une histoire d’amour contrariée que de se lancer dans une critique socio-économique de l’Amérique de cette époque. Malheureusement le livret a des allures de mauvaise sitcom et les personnages ont perdu de leur mystère, en particulier le rôle-titre qui paraît complètement dénué de personnalités. Seul Nick Carraway, le narrateur de l’histoire, reste attachant mais la pièce ne lui donne pas la place qu’il mérite.

La majeure partie du spectacle s’articule autour de grandes scènes de fêtes – clinquantes à souhait mais très lisse et sage, loin de toutes débauches – et de longues ballades aux mélodies génériques et aux paroles assez pauvres, avec pour seul intérêt de faire chanter aux artistes des notes très hautes. Pour masquer tout ça, l’artillerie lourde est de sortie. Les moyens mis en place en termes de décors, de machineries et de costumes sont assez impressionnants. On en prend plein les yeux et l’écrin splendide du London Coliseum sied parfaitement à cette avalanche visuelle. Malheureusement l’ensemble manque cruellement d’imagination et accentue l’artificialité de l’écriture. De plus, les quelques projections censées élargir le décors – le domaine des Buchanan en tête – ne sont pas du meilleur effet.

Heureusement, la distribution réunie pour cette production londonienne est brillante avec en tête Corbin Bleu en Nick. Comédien hyper charismatique à la voix ronde et suave, excellent danseur pour ne rien gâcher, il vole la vedette à chacune de ses apparitions. Il fait d’autant plus regretter que son rôle ne soit pas plus étoffé. Il aurait été intéressant de le voir dans le rôle-titre. En Gatsby justement, Jamie Muscato prouve qu’il a l’une des plus belles voix du West End, même s’il semble un peu restreint par la construction dramatique du personnage. La même remarque s’applique à Frances Mayli McCann (Daisy) et Amber Davies (Jordan), qui font ce qu’elles peuvent avec le peu qu’on leur donne, compensant avec leur forte présence scénique et de belles performances vocales. Au rayon des rôles féminins, Rachel Tucker est sûrement la mieux lotie en Myrtle. Bien que peu présente, elle hérite des deux meilleurs numéros du spectacle, dans des registres complétement opposés, qu’elle délivre avec brio. En résumé, un superbe plateau d’artistes qui ont à cœur de défendre une œuvre qui ne les mérite pas.

L'avis de thomas : THE GREAtEST GATBSY
Certaines comédies musicales font réfléchir, d’autres sont là pour divertir et parfois la magie opère en réunissant tous les ingrédients d’une recette unique qui rend certains spectacles spéciaux. The Great Gatbsy n’est peut être pas le plus profond des shows du West End mais a le mérite d’offrir ce qu’il y a de plus beau et de plus impressionnant sur une scène de spectacle. Au cœur du London Coliseum, un des plus grands théâtres londoniens ayant une capacité de 2400 places, on y retrouve la galerie de personnages de Francis Scott Fitzgerald dans une scénographie absolument sublime de bout en bout, mêlant immenses décors flamboyants et projections immersives. Tout est fait pour que le spectateur en prenne pleins les yeux du début à la fin et revive les « roaring twenties » de la plus belle façon possible.

Dès l’ouverture sur « Roaring On », l’énergie de l’ensemble et les superbes chorégraphies de Dominique Kelley (« So You Think You Can Dance ») donnent le ton de cette histoire iconique qui ne cessera de nous surprendre de tableau en tableau. De la mythique salle de bal au jardin extérieur, The Great Gatsby se focalise sur l’histoire d’amour entre Gatsby et Daisy sans trop rentrer dans la psychologie des personnages. Ce que l’on perd en profondeur, on le gagne en spectacle notamment avec les numéros d’ensemble « New Money », « Shady » ou encore « La Dee Dah With You » de plus en plus spectaculaires. Les amateurs de morceaux plus romantiques ne seront pas en reste avec les magnifiques « For Her » et « Past is Catching Up To Me » qui sont de véritables tours de forces vocaux pour Jamie Muscato (Natasha, Pierre and the Great Comet of 1812) qui confirme son statut de « Leading Man » du West End. Il incarne un Gatbsy peut-être un peu en retrait mais qui impressionne à chacune de ses apparitions. Francis Mayli McCann – qui nous avait séduit dans Bonnie and Clyde – est une partenaire de choix, notamment sur les sublimes duo « Go » ou « My Green Light » qui conclut magnifiquement le premier acte, sans oublier son déchirant solo « Beautiful Little Fool » qui cloue le public sur son siège. Malgré une écriture parfois inégale, les mélodies et orchestrations sont convaincantes et l’on réécoute avec plaisir les morceaux une fois le spectacle terminé. Certaines chansons devraient d’ailleurs devenir des morceaux parfaits à présenter en audition tant ils sont intéressants dans leurs constructions et dans ce qu’ils proposent d’interpréter. La comédie musicale garde ce ton jazzy/pop tout du long, et même si quelques morceaux auraient pu être supprimés, l’ensemble est relativement cohérent et offre une belle partition à défendre pour une distribution 5 étoiles.
Outre le duo mythique de Jay et Daisy admirablement interprété par Jamie Muscato et Francis Mayli McCann, The Great Gatsby réunit sur une même scène tout le gratin du West End dans un seul spectacle. La fameuse Rachel Tucker qui est aussi célèbre pour ses apparitions à Broadway qu’à Londres dans Wicked et Come From Away notamment nous offre le magnifique « One-Way Road » qui laisse la salle sans voix. On retrouve aussi Corbin Bleu (révélé par les films High School Musical et qui a aussi pu faire ses armes à Broadway dans Holiday Inn), qui fait ici ses débuts dans le West End dans le rôle du narrateur. Personnage peu utilisé, il irradie néanmoins la scène avec son charisme à chacune de ses apparitions. Amber Davies (9 to 5, Back To The Future) elle aussi brille sur ses numéros mais, à l’image des autres seconds rôles, nous aurions aimé la voir encore plus. Son solo sur « New Money » reste incontestablement une des chansons les plus inoubliables du spectacle. Difficile également d’oublier la légende du West End John Owens Jones (que vous aviez pu découvrir à Paris dans A Funny Thing Happened On The Way To The Forum au Théâtre du Lido) connu notamment pour avoir été un des plus jeunes Jean Valjean dans les Misérables à seulement 26 ans mais aussi pour avoir joué Phantom of the Opera plus de 1400 fois, un record pour ce rôle. A part le numéro d’ouverture de l’acte 2, son rôle n’est pas non plus très présent. C’est le principal reproche que nous pourrions faire à The Great Gatsby, il offre de nombreuses opportunités à ses artistes secondaires de briller lors d’une chanson solo, mais les oublie rapidement pour se focaliser sur le duo principal, ce qui peut être parfois frustrant.

Même si le spectacle n’a pas fait l’unanimité entre le public et les critiques, The Great Gatbsy mérite tout de même que vous alliez y jeter un œil. Ne serait-ce que pour découvrir son incroyable distribution, ses décors flamboyants et ses sublimes chansons, vous trouverez toujours quelque chose à votre goût. Alors que la comédie musicale continue à faire le plein à Broadway, il reste moins d’un mois pour aller applaudir cette magnifique troupe au London Coliseum qui baissera le rideau le 7 septembre. Entre les Rush Tickets sur l’application TodayTix à 30£ et les bons plans sur le site officiale tkts London, vous n’avez plus d’excuse pour ne pas vous rendre à l’une des soirées les plus en vogue du West End.
Crédit Photos : Johan Persson, Dan Kennedy & Danny Kaan